B. DES PRESTATIONS PLUS GÉNÉREUSES QUE DANS LE RESTE DU PAYS

Si la structuration actuelle de la politique familiale québécoise remonte, pour l'essentiel, à la fin de la décennie 1990, les premières mesures de soutien aux familles sont bien antérieures, comme en atteste ce bref rappel historique.


Les origines de la politique familiale au Québec

Alors que l'éducation des enfants et l'assistance aux familles relevaient jusque là de la responsabilité exclusive des sphères familiale, religieuse et privée, la difficulté des conditions de vie de la population au sortir des deux conflits mondiaux et pendant la crise économique de l'entre-deux guerres incite le Gouvernement à agir. Ainsi naissent les premières interventions publiques en faveur des familles, notamment :

- le crédit d'impôt fédéral pour les familles, destiné à compenser la charge d'enfants (1918) ;

- la loi québécoise de l'assistance publique, laquelle consolide le financement des communautés religieuses pour leurs oeuvres sociales à destination des enfants (1921) ;

- toujours au Québec, la mise en place du programme d'assistance aux mères nécessiteuses (1938).

Jusque là simple supplétif à l'intervention des autorités religieuses, l'Etat voit, avec la « Révolution tranquille » 7 ( * ) des années 1960 et la laïcisation consécutive de la société québécoise, son rôle dans la sphère sociale et familiale légitimé :

- institution du ministère de la famille et du bien-être social (1961) puis du Conseil supérieur de la famille (1964), bientôt intégrés respectivement dans le ministère des affaires sociales (1970) et dans le Conseil des affaires sociales et de la famille (1971) ;

- création d'un régime québécois de prestations familiales (1967).

En réponse aux besoins nouveaux des familles, les années soixante-dix voient l'adoption de mesures éparses, entre autres :

- déduction fiscale pour frais de garde (1972) ;

- bonification des allocations familiales provinciales (1974) ;

- adoption de la loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) (1977) ;

- création de l'allocation de maternité (1978), de l'allocation pour enfant handicapé (1980) et de l'allocation annuelle de disponibilité pour les enfants de moins de six ans (1982, rebaptisée « allocation pour jeune enfant » et bonifiée en 1988).

Il faut cependant attendre la décennie suivante pour qu'émerge véritablement une politique familiale explicite, telle qu'elle ressort du rapport du Comité de consultation sur la politique familiale (1986) et de l'« Enoncé de politique familiale » (1987). Outre la création d'un Secrétariat à la famille et la renaissance du Conseil de la famille, cette politique d'aide financière, pour l'essentiel à destination des familles nombreuses, se décline en :

- prestations monétaires : nouvelle, comme la fameuse allocation à la naissance (les « bébés bonus ») dont le montant augmentait en fonction du rang de l'enfant (500 $ pour les deux premiers, 3 000 $ pour les suivants), ou bonifiée, l'allocation pour jeune enfant ;

- mesures fiscales diverses : exemption des allocations familiales de l'impôt sur le revenu, réductions ou crédits d'impôts.

C'est en 1997 qu'est fait le choix d'axer la politique familiale vers le développement accéléré des services de garde à coût réduit ainsi que vers la création d'un régime d'assurance parentale propre au Québec. Ce dernier ne sera cependant effectif qu'après l'entente signée avec le Gouvernement fédéral en 2005, sa création nécessitant le transfert à la province d'une partie des cotisations versées au régime d'assurance emploi fédéral.

Quant au déploiement des places de garde à contribution réduite - 5 $ puis 7 $ (à compter de janvier 2004) par jour à la charge des parents - celui-ci est progressif, l'objectif initial des 200 000 places disponibles devant finalement être atteint dix ans après le début du programme.

Enfin, le soutien financier aux familles est réformé avec l'instauration d'une allocation familiale unifiée, remplaçant l'ancienne allocation familiale, l'allocation pour jeune enfant et l'allocation à la naissance, et modulée selon le revenu.

D'après le Conseil de la famille et de l'enfance du Québec in La politique familiale au Québec : visée, portée, durée et rayonnement, mars 2008 (Les fondements historiques de la politique familiale, pp. 7 et suiv.).

1. Une aide financière conséquente accordée aux parents

Le soutien financier aux parents se décline en trois volets : soutien aux enfants , prime au travail - deux mesures propres à la province du Québec de même que certaines aides financières spécifiques - et programmes fédéraux en direction des familles , dont, pour l'essentiel, la prestation fiscale canadienne pour enfants.

a) Le soutien aux enfants : une prestation universelle, versée dès le premier enfant et modulée en fonction du revenu

A la suite de la réforme intervenue en janvier 2005, le soutien financier attribué aux familles par le Gouvernement québécois a été profondément remanié et bonifié : ainsi, les allocations préexistantes 8 ( * ) ont été remplacées par un dispositif unifié, dénommé « soutien aux enfants » qui, bien que prenant la forme d'un crédit d'impôt annuel remboursable, peut, pour une large part, être comparée à nos allocations familiales.

? Comme pour les allocations familiales versées en France, il comporte une composante universelle servie à l'ensemble des familles 9 ( * ) , qui varie suivant le nombre d'enfants ; il s'en distingue cependant par le fait que la prestation est versée dès le premier enfant de moins de dix-huit ans à charge qui réside dans la famille - et que son montant est même plus élevé pour la première naissance que pour les suivantes.

En plus d'une majoration à compter du quatrième enfant, un supplément est également attribué aux familles monoparentales et aux familles dont l'enfant est handicapé. Tout comme les allocations familiales françaises, le soutien aux enfants est une prestation non imposable.

? Outre le versement dès le premier enfant, c'est surtout par sa composante variable, modulée selon le revenu familial , que le soutien aux enfants se distingue nettement de la pratique française. Un montant minimal est attribué à toutes les familles - 619 $ pour le premier enfant - tandis qu'un coefficient de réduction des prestations s'applique à compter d'un certain niveau de revenu, le soutien maximal pouvant par ailleurs atteindre jusqu'à 2 204 $.

Le soutien aux enfants est versé chaque trimestre ou, sur demande, chaque mois, de même que les parents peuvent demander à recevoir la prestation par dépôt direct en ligne.

Principaux paramètres du soutien aux enfants en 2011 1

(en dollars)

Montants

Soutien maximal

1 er enfant

2 204

2 e enfant

1 102

3 e enfant

1 102

4 e enfant et enfants suivants

1 652

Famille monoparentale

+ 772

Seuil de réduction 2

Couple

44 788

Famille monoparentale

32 856

Taux de réduction

4 %

Soutien minimal

1 er enfant

619

2 e enfant et enfants suivants

571

Famille monoparentale

+ 309

Montant mensuel pour un enfant handicapé

174

1 Les montants de Soutien aux enfants sont indexés en janvier de chaque année.

2 Revenu total familial à partir duquel le soutien maximal est réduit.

Source : Régie des rentes du Québec 10 ( * )

? Autre caractéristique à souligner : en cas de partage de la garde des enfants , le soutien aux enfants est, depuis janvier 2007, versé simultanément aux deux parents , sans interruption et selon la fréquence des versements choisie par chacun - trimestrielle ou mensuelle 11 ( * ) .

Au total, 883 370 familles, pour 1 476 560 enfants, auront bénéficié de la mesure en 2009 - dont 37 %, disposant d'un revenu annuel moyen de 21 266 $, étaient éligibles aux montants maximaux et 23 % à la somme minimale, pour un revenu moyen de 148 116 $. Le montant annuel moyen perçu s'est élevé à 2 418 $, pour une dépense globale de plus de 2,1 milliards de dollars 12 ( * ) .


Les pistes de réflexion retenues par la mission

Proposition n° 1 : s'inspirer du modèle québécois pour accroître l'aide financière à destination des familles les moins aisées et des classes moyennes ; pour ce faire, réfléchir à la création d'une part additionnelle d'allocations familiales, modulée en fonction du revenu, en complément de la part universelle actuellement versée à l'ensemble des familles, quel que soit leur revenu.

Pour tenir compte des contraintes budgétaires actuelles, ce supplément pourrait être financé, dans le cadre d'une réforme globale du soutien aux familles, par l'extinction de certains avantages fiscaux : suppression progressive de la demi-part fiscale supplémentaire accordée à tout parent célibataire, divorcé ou veuf, sans enfant à charge, qui a élevé seul un enfant 13 ( * ) , voire réforme de la règle du quotient familial 14 ( * ) afin d'améliorer la lisibilité et la cohérence de notre politique familiale. A niveau égal de dépenses de la collectivité en faveur des familles, cette dernière réforme conduirait à une redistribution forte des familles aisées vers les familles à revenus faibles ou moyens.

Proposition n° 2 : réfléchir à l'attribution d'allocations familiales dès le premier enfant 15 ( * ) ; comme la précédente proposition, cette mesure pourrait être financée par un redéploiement des économies résultant de la suppression de certains dispositifs fiscaux.

Le soutien aux enfants peut par ailleurs être complété par une série d'aides financières spécifiques, telles que :

- la détaxation d'articles courants pour les jeunes enfants , exonérés de la taxe de vente du Québec (TVQ) (produits d'allaitement, biberons, couches et culottes de propreté pour enfants, etc.) ;

- la subvention aux naissances multiples , aide financière attribuée à tous les parents de triplés ou plus pour leur permettre de faire face à l'accroissement soudain et important de leur charge financière : cette aide, qui relève du ministère de la santé et des services sociaux, est fixée à 6 000 $ pour des triplés, 8 000 $ pour des quadruplés, et majorée de 2 000 $ supplémentaires pour chaque naissance multiple additionnelle ;

ainsi que, sous conditions de ressources :

- les aides au logement , dont l'allocation-logement qui s'adresse en particulier aux familles à faible revenu avec au moins un enfant à charge ;

- les prestations spéciales - telles que les prestations spéciales de grossesse ou d'allaitement (55 $ par mois, respectivement pendant toute la durée de la grossesse ou jusqu'à ce que l'enfant atteigne l'âge d'un an) ou le soutien à l'achat de préparations lactées - au titre de l'aide financière de dernier recours 16 ( * ) .

b) La prime au travail : une prestation familialisée d'incitation à l'activité

Si la prime au travail n'est pas réservée aux familles, elle est souvent présentée comme une mesure d'aide à leur intention dans la mesure où son montant tient compte des charges additionnelles occasionnées par la présence d'un enfant .

Elle obéit cependant, à titre principal, à un objectif différent : celui de répondre à la problématique des « trappes à inactivité » 17 ( * ) en incitant à la reprise d'un travail ou au maintien dans l'emploi.


La prime au travail

Instaurée en janvier 2005 en même temps que le soutien aux enfants, la prime au travail, crédit d'impôt remboursable, a remplacé le programme d'aide aux parents pour le revenu du travail (Apport). Répondant à une logique similaire à celle du système français de la prime pour l'emploi (PPE) et du mécanisme d'intéressement à la reprise d'activité prévu dans le cadre du revenu de solidarité active (RSA), ce dispositif a pour objet d'accroître l'incitation des ménages à entrer ou à rester sur le marché du travail en majorant le produit de l'activité des familles à faibles revenus.

Le montant de la prime varie en fonction :

- du revenu du travailleur et, s'il y a lieu, de son conjoint ;

- et de sa situation familiale.

Pour y être éligible, le revenu annuel ne doit pas excéder 15 343,80 $ pour une personne seule, 23 605,60 $ pour un couple sans enfant, 32 856,00 $ pour une famille monoparentale ou 44 788 $ pour un couple avec au moins un enfant.

Quant aux montants maximaux annuels de la prime, ils varient de 532,98 $ pour une personne seule à 2 942,00 $ pour un couple avec au moins un enfant.

Enfin, sous certaines conditions, des versements anticipés, sur une base mensuelle à compter de l'année 2011, peuvent être accordés sans attendre la production de la déclaration de revenus ouvrant droit au bénéfice de ce crédit d'impôt.

Données chiffrées 2010

c) Des programmes fédéraux intervenant en complément des aides financières provinciales

En plus des prestations du Gouvernement provincial, les familles québécoises auront bénéficié, en 2009, de près de 3 milliards de dollars d'aides fédérales , dont 2,3 au titre de la seule prestation fiscale canadienne pour enfants.


Principales mesures fédérales de soutien financier aux parents

Prestation fiscale canadienne pour enfants et supplément de la prestation nationale pour enfants

La prestation fiscale canadienne pour enfants et le supplément de la prestation nationale pour enfants sont des paiements non imposables versés aux familles admissibles pour les aider à subvenir aux besoins de leurs enfants de moins de dix-huit ans. En 2008, l'aide maximale était de 3 332 $ pour le premier enfant, 3 099 $ pour le deuxième et 3 011 $ pour les suivants.

Crédit d'impôt non remboursable pour enfants

Un crédit d'impôt non remboursable pour enfants de moins de dix-huit ans à l'intention des parents est accordé dans le régime fiscal fédéral. En 2008, le crédit d'impôt pour enfants était calculé sur la base d'un montant de 2 038 $ pour chaque enfant âgé de moins de dix-huit ans à la fin de l'année. Le montant est converti en crédit d'impôt à raison d'un taux de 15 %.


Crédit d'impôt non remboursable pour personne à charge admissible

Le régime fiscal fédéral accorde aux personnes sans conjoint un crédit d'impôt non remboursable pour une personne à charge admissible. Les personnes admissibles sont soit un parent, un grand-parent, un enfant, un petit-enfant, un frère ou une soeur. En 2008, le crédit d'impôt pour personne à charge était calculé selon un montant maximal de 9 600 $. Le montant est converti en crédit d'impôt à raison d'un taux de 15 %.

in La politique familiale du Québec : où en sommes-nous ?
Budget 2009-2010, ministère des finances du Québec


* 7 Période historique correspondant pour l'essentiel à la décennie 1960 et marquée, au Québec, par des bouleversements sociétaux et politiques rapides sous l'effet de la sécularisation, de l'industrialisation et de l'urbanisation progressives de la société : émergence d'un véritable Etat-providence, séparation définitive de l'Eglise catholique et de l'Etat, construction d'une nouvelle identité nationale, réformes sociétales, etc.

* 8 Allocation familiale, allocation pour enfant handicapé, crédit d'impôt pour enfant à charge et réduction d'impôt à l'égard de la famille.

* 9 Et contrairement aux allocations familiales telles qu'elles existaient au Québec avant 2005 qui, depuis septembre 1997, ne s'adressaient qu'aux familles à revenu faible ou moyen.

* 10 C'est la Régie des rentes du Québec qui administre le soutien aux enfants pour le compte du ministère de la famille et des aînés.

* 11 Dans les autres cas, le chèque est envoyé par défaut à la mère mais peut, sur demande, être adressé au père. Pour une famille recomposée, le chèque est expédié au parent qui a le plus d'enfants et, si le nombre d'enfants est le même, à celui qui a le plus jeune enfant. Cependant, si les conjoints s'entendent, le chèque peut être envoyé au parent désigné par le couple. Enfin, l'inscription de la naissance à l'état civil du Québec vaut inscription automatique au soutien aux enfants.

* 12 Soutien aux enfants : statistiques de l'année 2009, Régie des rentes du Québec (août 2010).

* 13 A compter de l'imposition des revenus de l'année 2009, le bénéfice de cet avantage fiscal est d'ores et déjà limité aux contribuables célibataires, divorcés, séparés ou veufs vivant seuls et qui ont supporté seuls à titre exclusif ou principal la charge d'un enfant pendant au moins cinq années, avec une extinction progressive d'ici à 2012 pour les parents ne remplissant pas cette condition. Une telle majoration de quotient familial favorise par ailleurs les situations de rupture du couple (séparation, divorce, rupture de Pacs) là où le système du quotient familial se devrait d'être neutre par rapport à la situation maritale des contribuables.

* 14 Au travers, par exemple, de la suppression du quotient conjugal - soit l'imposition conjointe des couples mariés ou pacsés - et de l'individualisation consécutive de l'impôt sur le revenu, voire de la fusion du quotient familial entendu au sens strict - soit l'attribution de demi-parts ou parts fiscales supplémentaires pour chaque enfant - dans un dispositif plus global de crédit d'impôt remboursable pour enfant.

* 15 Précisons que le droit au supplément familial de traitement est déjà ouvert aux agents de la fonction publique dès le premier enfant, même si son montant reste minime dans ce cas (2,29 euros au 1 er juillet 2010).

* 16 L'aide financière de dernier recours se décline en deux minima sociaux, l'allocation d'aide sociale et l'allocation de solidarité sociale, selon que la personne présente des contraintes sévères à l'emploi ou non.

* 17 La notion de trappes à inactivité désigne les situations où, en raison de la proximité entre le montant d'un minimum social et le revenu d'un travail peu qualifié ou à temps partiel, il pourrait ne pas être intéressant, pour un allocataire, de reprendre une activité professionnelle faiblement rémunérée.

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