B. LA CHAMBRE D'APPEL ET LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE (TGI) DE MAYOTTE : À PEINE CRÉÉS ET DÉJÀ CONFRONTÉS À LA PROBLÉMATIQUE DE LA PÉNURIE DE MOYENS
Le système judiciaire à Mayotte s'est longtemps caractérisé par un régime dérogatoire. Depuis la départementalisation, celui-ci n'a plus cours. La nouvelle organisation établit désormais un lien direct avec la CA de La Réunion.
Les conséquences de cette transition semblent toutefois avoir été assez mal anticipées, voire pas du tout. Dans ces conditions, la chambre d'appel et le TGI de Mayotte se retrouvent confrontés à un redoutable effet cumulé : aux difficultés traditionnelles inhérentes aux spécificités mahoraises s'ajoutent celles résultant de la réorganisation induite par la départementalisation.
1. Le pilotage à vue des conséquences de la départementalisation de Mayotte
a) La transition d'un tribunal supérieur d'appel (TSA) à une chambre d'appel
Jusqu'à la récente départementalisation , l'organisation juridictionnelle de Mayotte est demeurée spécifique.
La juridiction du premier degré était le tribunal de première instance (TPI) , qui exerçait les compétences qui relèvent, dans le droit commun, du TGI, du TI, du tribunal de commerce et du tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). Le TPI statuait à juge unique. En matière civile, commerciale et de sécurité sociale, il pouvait toutefois statuer en collégialité dans une formation complétée par des assesseurs.
Le tribunal supérieur d'appel (TSA) remplissait, pour sa part, à Mayotte les attributions d'une CA. Il statuait en formation collégiale. Lorsqu'il ne pouvait être composé par trois magistrats professionnels, il était complété par des assesseurs.
Les affaires criminelles étaient jugées à Mayotte par la cour criminelle , qui exerçait les attributions de la cour d'assises. Cette cour était présidée par le président du TSA et complétée par quatre assesseurs (six en appel) 17 ( * ) . Elle coexistait avec une cour criminelle des mineurs.
La départementalisation de Mayotte a toutefois impliqué une transformation de l'organisation administrative et judiciaire de l'archipel , afin de l'aligner sur le régime de droit commun applicable aux autres départements régis par l'article 73 de la Constitution.
C'est l'ordonnance n° 2011-337 du 29 mars 2011 modifiant l'organisation judiciaire dans le département de Mayotte qui a précisé les contours de la nouvelle carte judiciaire. Cette ordonnance est en cours de ratification, le Parlement ayant définitivement adopté, le 12 juillet 2011, la loi relative aux collectivités de Guyane et de Martinique elle-même en cours de promulgation 18 ( * ) .
Ainsi, un TGI , un TI, un tribunal mixte de commerce, un TASS et un tribunal du contentieux de l'incapacité succèdent au TPI.
La chambre d'appel de Mamoudzou , qui est une chambre détachée de la CA de La Réunion, se substitue au TSA.
Un greffe détaché du TI de Mamoudzou est créé à Sada.
La chambre de l'instruction compétente pour statuer sur l'appel des ordonnances du juge d'instruction du TGI de Mamoudzou siége à la CA de La Réunion avec la faculté, que précise l'ordonnance précitée du 29 mars 2011, de « recourir à la visioconférence ».
Enfin, la cour d'assises se substitue à la cour criminelle et elle est assortie des adaptations rendues nécessaires par les particularités locales, par exemple concernant sa composition. La cour d'assises des mineurs, quant à elle, se substitue à la cour criminelle des mineurs.
b) L'anticipation approximative des incidences budgétaires de cette réorganisation
Selon les informations recueillies lors de son déplacement à Mayotte par votre rapporteur spécial 19 ( * ) , la justice sur l'île peut compter sur les effectifs de magistrats décrits dans le tableau ci-après.
La comparaison des effectifs de magistrats à Mayotte
avant et après la départementalisation
Avant la départementalisation |
Après la départementalisation (depuis le 1 er avril 2011) |
||
Chambre d'appel (TSA avant la départementalisation) |
Siège |
3 |
4 |
Parquet |
1 |
1 |
|
Ensemble |
4 |
5 |
|
TGI (TPI avant la départementalisation) |
Siège |
7 |
15 |
Parquet |
4 |
5 |
|
Ensemble |
11 |
20 |
|
Total |
Siège |
10 |
19 |
Parquet |
5 |
6 |
|
Ensemble |
15 |
25 |
Source : Chambre d'appel de Mayotte
Les effectifs de magistrats à Mayotte ont ainsi cru de façon substantielle (dix magistrats supplémentaires) dans le cadre de la départementalisation . Proportionnellement, l'augmentation a davantage concerné le TGI (qui passe de onze magistrats à vingt) que la chambre d'appel (qui passe de quatre magistrats à cinq).
Cet accroissement est en phase avec la charge de travail pesant sur les juridictions sur l'île. Il convient en effet de rappeler que, même si la chambre d'appel n'a pas à traiter du contentieux de l'instruction (reporté sur la CA de La Réunion, cf. supra ), le principe de collégialité s'appliquant dans un nombre important de procédures lui impose de siéger dans des formations composées de trois juges. Par ailleurs, la nécessité de traiter des stocks d'affaires très lourds requière une mobilisation en nombre des magistrats. Ainsi, le JAF a-t-il à absorber des affaires remontant à plus de deux ans, tandis que certains dossiers en instance au registre du commerce ont plus de deux ans d'ancienneté. Un retard très conséquent (pouvant aller jusqu'à trois ans) est par ailleurs à déplorer en matière de tutelles et de délégation de l'autorité parentale.
La départementalisation s'est en outre accompagnée de l' entrée en vigueur des vacances judiciaires , qui n'existaient pas en tant que telles auparavant. Ces vacances rendent plus difficile le lissage des absences dans le temps.
Les problèmes d'effectifs à Mayotte ne portent pourtant pas tant sur les magistrats que sur les fonctionnaires de justice . A cet égard, les magistrats rencontrés sur place par votre rapporteur spécial se sont accordés à considérer que les quarante-quatre fonctionnaires de justice les accompagnant dans leurs missions correspondent à un format a minima . Il semblerait qu'au moins dix emplois équivalents temps travaillé (ETPT) supplémentaires permettraient de supporter la charge de travail dans des conditions plus acceptables.
Qui plus est, parmi les quarante-quatre fonctionnaires de justice actuellement en poste, certains ne maîtrisent pas, ou maîtrisent mal, le français et/ou manquent de connaissances juridiques solides . Ces personnels en question proviennent de reclassements et sont issus de la Commission de révision de l'état civil (CERC) dont les travaux devraient s'achever d'ici le 31 décembre 2011 (c f. infra ).
Particulièrement aigu dans ces cas là, le déficit de formation tend à devenir un problème récurrent avec la montée en puissance des juridictions à Mayotte sous l'effet de la départementalisation . Les personnels faisant l'objet d'une mobilité au sein des services de justice sur l'île ou arrivant en renfort découvrent trop souvent des postes qu'ils ne connaissent pas et pour lesquels ils doivent pourtant se former rapidement et « sur le tas ». Cette situation est bien évidemment susceptible de nuire au bon fonctionnement de la justice sur l'île (erreur de procédures, pertes de temps...).
La diversité de statut des greffiers réserve en outre certains désagréments . Sur Mayotte, cette catégorie est en effet composée d'agents de l'Etat mais aussi d'agents du conseil général mis à disposition. Or, pour des raisons ayant trait à la fiscalité qui leur est appliquée, les greffiers fonctionnaires d'Etat sont enclins à ne pas rester plus de quatre ans sur l'île. Cette obligation de mobilité de facto ne fait qu'aggraver les problèmes rencontrés au niveau de la formation des personnels.
Dans une période de profonde mutation des juridictions à Mayotte, on ne peut en outre que déplorer certaines lacunes dans la gestion des ressources humaines au niveau de la Chancellerie. Ainsi, lors de sa visite (le 29 avril 2011), votre rapporteur spécial a-t-il eu la surprise de constater que le président du nouveau TGI n'avait toujours pas été affecté , Alain Mancini, vice-président du TGI de Mamoudzou, faisant fonction de président. Selon les informations recueillies sur place, la nomination du président ne devait pas intervenir avant, au plus tôt, le mois de juin 2011. Un tel « retard au démarrage » sur un poste aussi stratégique ne peut, bien évidemment, que freiner la mise en place d'une organisation efficace de la justice à Mamoudzou.
Parmi les autres éléments de surprise de votre rapporteur spécial lors de son déplacement, l'absence d'information précise des gestionnaires à Mayotte concernant leur budget de fonctionnement ne peut que laisser profondément perplexe. Il signifie concrètement que le 29 avril 2011, soit quasiment un mois après la mise en place des nouvelles juridictions suite à la départementalisation, les tribunaux de Mamoudzou étaient encore contraints de piloter leur budget à vue. Ainsi ne pouvaient-ils pas, par exemple, lancer la moindre commande d'enveloppes ou de cartouches d'encre...
Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial à la CA de La Réunion, le budget consacré à Mayotte serait de l'ordre de 1,1 million d'euros pour un besoin réel estimé à 1,5 million d'euros .
Dans ce contexte, le seul élément notable d'anticipation matérielle des conséquences de la départementalisation sur l'institution judiciaire à Mayotte renvoie au chantier, visité par votre rapporteur spécial, en voie d'achèvement afin d'héberger certains services judiciaires sur l'île. Modeste par sa taille (reconversion d'un bâtiment existant), ce chantier est toutefois loin de répondre à toutes les questions posées par la réorganisation de la justice à Mayotte.
c) Le service administratif régional (SAR) en apnée
Le pilotage à vue de la transition judiciaire opérée à Mayotte n'est pas sans conséquence sur le service administratif régional (SAR) de La Réunion, placé en situation extrêmement délicate .
Ce SAR se trouve en effet devant un cas défi peu fréquent, celui d'intégrer une nouvelle juridiction dans sa planification. Ce défi nécessite non seulement de repenser certaines méthodes de travail mais aussi de repenser les circuits d'information et de dialogue de gestion. Il impose en outre une capacité (en temps, en emplois, en espace) à traiter un nombre supérieur de dossiers et de questions.
Or, à ce jour, le SAR n'a pas été renforcé en conséquence . Il manque par ailleurs d'une visibilité budgétaire claire sur le coût global de l'opération de restructuration de la carte judiciaire à Mayotte . Celle-ci n'est pas anodine dans la mesure où la mise en concurrence est très difficile sur l'île (du fait d'un marché restreint et du faible nombre de prestataires), avec pour corollaire des prix relativement élevés. Il faut par ailleurs relever que, jusqu'à la départementalisation, aucun SAR n'existait en propre à Mayotte et que les points de référence font donc défaut.
Dans le chiffrage précédemment indiqué sur les besoins non financés actuellement au niveau de la CA de La Réunion (soit 452 milliers d'euros, cf. supra ), il convient de souligner que les dépassements éventuels pouvant survenir à Mayotte ne sont pas compris .
Certains besoins sont en tout cas d'ores et déjà clairement identifiés et votre rapporteur spécial y reviendra infra . A ce stade, il est toutefois possible de lister les principaux. Les difficultés informatiques rencontrées à Mayotte, qui viennent s'ajouter à celles de La Réunion, rendraient nécessaire la création d'un poste de responsable informatique. Par ailleurs, les besoins en formation ( cf. supra ) tendent à rendre incontournable un renforcement en la matière au niveau du SAR.
Au total, le SAR de La Réunion doit relever un périlleux défi : gérer une situation déjà très tendue sur la CA de La Réunion avec, qui plus est, le cas spécifique et nouveau de la réorganisation de la carte judiciaire à Mayotte.
* 17 Les dispositions spécifiques applicables en matière pénale figurent au titre II du livre VI du code de procédure pénale.
* 18 La ratification est prévue par le 3° du V de l'article 15 de la loi relative aux collectivités de Guyane et de Martinique.
* 19 Entretien du 29 avril 2011 avec les magistrats de la chambre d'appel et les chefs de juridiction du TGI de Mamoudzou.