2. Des marges de manoeuvre budgétaires quasi inexistantes

Devant faire avec des moyens humains sous-dimensionnés au regard de l'augmentation de la demande de justice à La Réunion, la CA doit par ailleurs s'accommoder de ressources budgétaires fortement contraintes . Cette contrainte est d'ailleurs si forte qu'elle en vient à rendre quasi inexistantes les capacités de manoeuvre des gestionnaires de la Cour. A la chute du budget de fonctionnement au cours des dernières années s'ajoute l'impasse dans laquelle se trouvent désormais les frais de justice de la CA. Dans ce contexte très tendu, la mise en oeuvre des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) suffira-t-elle à restaurer les marges budgétaires espérées ?

Ainsi, votre rapporteur spécial estime que la situation budgétaire de la CA de La Réunion illustre les limites de la logique de recherche d'économies caractérisant la RGPP appliquée aux juridictions. Vertueuse en son principe, cette logique a aujourd'hui atteint ses limites en pratique .

a) La chute du budget de fonctionnement : - 22,4 % entre 2008 et 2011

Entre 2008 et 2011, la CA a du absorber une forte diminution de son budget de fonctionnement . Cet effort, partagé par toutes les CA de métropole et d'outre-mer, a toutefois été particulièrement marqué à La Réunion.

Le tableau ci-après illustre cette évolution à la baisse.

Le budget de fonctionnement de la CA de La Réunion (2008-2011)

(en milliers d'euros)

Budget exécuté

Dotation initiale

2008

2009

2010

2011

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Dépenses de structure

1 175,6

1 173,6

1 305,7

1 305,7

1 243,3

1 243,3

1 244,7

1 244,7

Dépenses d'activité

1 265,2

1 265

1 266,3

1 266,3

1 194,4

1 194,4

786,8

786,8

Dépenses d'équipement

278,5

278,5

257,1

257,1

154,8

154,8

112,4

112,4

Dépenses informatiques

131,9

131,9

102,4

102,4

68,5

68,5

68

68

Divers

0

0

0

0

3,4

3,4

0

0

Formation

2,7

2,7

3,1

3,1

1,5

1,5

2

2

Total

2 853,9

2 851,7

2 934,7

2 934,6

2 665,9

2 665,9

2 213,9

2 213,9

Source : CA de La Réunion

La trajectoire du budget de fonctionnement de la CA témoigne ainsi d'un net recul de ses crédits sur la période récente. Alors qu'en 2008 cette enveloppe budgétaire s'était finalement montée à 2,851 millions d'euros en crédits de paiement (CP), elle a légèrement progressé (+ 2,9 %) en 2009 pour s'arrêter à 2,934 millions d'euros. L'exercice 2010 a toutefois renversé cette tendance avec un budget finalement exécuté à hauteur de 2,665 millions d'euros (- 9,1 %). La dotation initiale pour 2011 poursuit dans cette voie en fixant le montant des CP à 2,213 millions d'euros, soit une forte baisse de 16,9 %.

Au total, entre 2008 et la dotation initiale pour 2011, le budget de fonctionnement de la CA aura donc chuté de 22,4 % .

Cette chute est d'autant plus difficile à « amortir » pour la CA qu'entretemps divers événements de gestion sont intervenus, qui sont venus rigidifier encore un peu plus le pilotage budgétaire de la Cour .

Ainsi, entre 2008 et 2009, les dépenses de loyer ont-elles grimpé de 108 milliers d'euros à 233,2 milliers d'euros . En effet, en 2009, la CA a pris un nouveau loyer pour installer le TI de Saint-Paul. Nécessaire, cette prise à bail a été d'autant plus onéreuse que le prix de location au mètre carré à Saint-Paul est particulièrement élevé, proche des niveaux observés à Paris.

Par ailleurs, les frais de stage ont explosé (+ 568,6 %) en passant de 15,6 milliers d'euros en 2008 à 104,3 milliers d'euros en 2009. Toutefois, cette hausse exceptionnelle n'est que le résultat budgétaire d'un nouveau mode d'affectation comptable de ces frais à compter de 2009. Alors que jusqu'en 2008 cette dépense était prise en charge sur le budget de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), elle s'impute à partir de l'année suivante sur le budget de fonctionnement des CA.

S'agissant de ces frais de stage, votre rapporteur spécial regrette d'ailleurs que ce nouveau mode d'imputation comptable contribue encore un peu plus au fléchage des crédits des CA et rogne leurs marges de manoeuvre budgétaires, dans la mesure où cette nouvelle dépense n'a pas été compensée .

Au cours de la même période (2008-2011), la CA a cherché à dégager de nouvelles sources d'économie , notamment afin de répondre à la réduction de ses crédits. Ainsi, il convient en particulier de relever que les frais de déplacement , traditionnellement élevés du fait de la situation géographique de l'île de La Réunion, sont passés de 630,3 milliers d'euros en 2008 à 498,6 milliers d'euros en 2009, soit un recul très substantiel de 20,9 %. En 2010, ces frais s'étaient quasi stabilisés à 493,8 milliers d'euros.

b) Le caractère irréaliste de la dotation pour 2011

La dotation initiale pour 2011 traduit une forte baisse de 16,9 % des crédits par rapport aux dépenses exécutées en 2010. Une question se pose toutefois : cette anticipation à la baisse est-elle réaliste ?

Afin de répondre à cette question, il convient notamment de rappeler qu'à la fin de l'exercice 2010, la CA avait, selon les informations communiquées à votre rapporteur spécial par Denis Robert-Charrerau, procureur général, « les deux derniers mois d'impayés » . Le procureur général a ainsi craint qu'en 2011 « le risque [soit] d'en avoir trois ou quatre ! ».

Le tableau ci-après présente les prévisions réalisées par les gestionnaires de la CA pour 2011 , ces prévisions étant mises en regard des enveloppes composant la dotation initiale.

La prévision de dépense de fonctionnement pour la CA de La Réunion en 2011

(en milliers d'euros)

Dotation initiale pour 2011

Prévision pour 2011

Besoin de crédits complémentaires

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Dépenses de structure

1 244,7

1 244,7

1 286,7

1 286,7

42

42

Dépenses d'activité

786,8

786,8

1 145,8

1 145,8

359

359

Dépenses d'équipement

112,4

112,4

128,4

128,4

16

16

Dépenses informatiques

68

68

103

103

35

35

Divers

0

0

0

0

0

0

Formation

2

2

2

2

0

0

Total

2 213,9

2 213,9

2 665,9

2 665,9

452

452

Source : CA de La Réunion

Les prévisions de dépenses réalisées par les gestionnaires de la CA laissent donc apparaître un besoin de crédits d'un montant de 452 milliers d'euros . Ce besoin est conséquent puisqu'il représente 20,4 % de la dotation initiale .

L'analyse de la dotation initiale par grands postes de dépenses accrédite le caractère irréaliste de cette dernière. Ainsi, notamment, cette dotation se fonde sur des frais de stage et de déplacement estimés, respectivement, à 50 milliers d'euros et 300 milliers d'euros. Or, en 2010, ces deux postes de dépenses ont représenté, respectivement, 126,7 milliers d'euros et 493,8 milliers d'euros. Il parait difficilement imaginable que les frais de stage puissent ainsi être réduits de 60,5 % et ceux de déplacement de 39,2 %, sauf à anticiper un effondrement de l'effort de formation ou une baisse spectaculaire de l'activité de la CA.

Il semble plutôt assez évident que la dotation initiale a été sciemment sous-évaluée et qu'un complément de crédits soit nécessaire en deuxième partie d'exercice.

Une telle pratique est d'ailleurs coutumière dans les juridictions en général, et plus particulièrement pour la CA de La Réunion. Ainsi, en 2008, c'est une dotation complémentaire de 264,2 milliers d'euros qui a été attribuée. En 2009, cette dotation complémentaire s'est élevée à 211 milliers d'euros et, en 2010, à 362,2 milliers d'euros.

Votre rapporteur spécial déplore toutefois cette pratique qui crée d'inutiles tensions, empêche les gestionnaires en juridictions d'anticiper efficacement et témoigne d'un dialogue de gestion défaillant entre la Chancellerie et les chefs de juridiction lors de la préparation du budget de l'année n+1. Au surplus, elle a pour conséquence d'altérer la sincérité et la lisibilité du projet de loi de finances présenté au Parlement .

Votre rapporteur spécial estime au contraire que l'esprit de la LOLF amène à placer les gestionnaires des juridictions en situation de responsabilité dès le 1 er janvier de l'exercice budgétaire, en leur octroyant une enveloppe budgétaire réaliste et justement calibrée .

c) Les difficultés pour gérer le « quotidien »

Dans un contexte budgétaire dégradé et placés en situation d'incertitude manifeste quant à la capacité à financer les dépenses de fin d'exercice, les gestionnaires au sein de la CA éprouvent de nombreuses difficultés à « tenir le cap » au quotidien .

Les propos qui ont été tenus à votre rapporteur spécial lors de son contrôle sur place à La Réunion ne laissent d'ailleurs planer aucune ambiguïté sur ces difficultés et, même, un certain sentiment de désarroi : « Sur le terrain, nous n'avons plus aucune marge de manoeuvre », « On atteint l'os » , « On n'y arrive plus, malgré nos efforts de gestion depuis deux-trois ans », « On fonctionne sur la corde raide, en équilibriste ».

Philippe Cavalerie, président du TGI de Saint-Pierre, a ainsi indiqué à votre rapporteur spécial qu' « en 2010, il nous a manqué 2 000 euros pour acheter les codes. Nous en avons finalement acheté un que tout le monde se partage » .

Ainsi, les difficultés matérielles se multiplient et donnent un sentiment d'abandon aux magistrats et aux fonctionnaires de justice à La Réunion . Denis Robert-Charrerau, procureur général, cite l'exemple de la climatisation, particulièrement vitale sous le climat réunionnais et que la CA a failli ne pas pouvoir refaire quand elle est tombée en panne il y a quelques mois. De même, redoute-t-il que l'Autocom 14 ( * ) tombe en panne : « dans ce cas, nous serions obligés de faire une demande de crédits exceptionnels ».

Le budget particulièrement serré impose d'ailleurs de prendre des décisions qui pourraient se révéler particulièrement préjudiciable à terme. Ainsi en est-il des dépenses relatives à l'entretien immobilier . Les crédits dédiés à ce poste étant passés de 139,8 milliers d'euros en 2008 à 78 milliers d'euros en 2011 (soit une baisse de 44,2 %), certaines travaux sont différés d'une année sur l'autre, voire indéfiniment reportés.

Votre rapporteur spécial considère qu'une telle politique n'est pas tenable sur le long terme, surtout dans une zone géographique où les conditions climatiques peuvent considérablement éprouver le matériel et les bâtiments. Elle fait courir le risque d'une dégradation accélérée des palais de justice avec en perspective des travaux beaucoup plus lourds à financer dans quelques années .

d) L'impasse des frais de justice

Votre rapporteur spécial porte une attention particulière et soutenue à l'évolution des frais de justice au sein de la mission « Justice » depuis plusieurs années. Sans reprendre le détail de cette évolution, il convient d'en rappeler la tendance. Après un emballement de ces frais au début des années 2000, une certaine maîtrise de la dépense est intervenue avec l'entrée en vigueur de la LOLF et une plus grande responsabilisation des magistrats, principaux prescripteurs de la dépense. Cette embellie n'a pourtant été que de courte durée puisque, dès 2009, un inquiétant redémarrage de la dépense a été enregistré. En 2010, ce poste de dépense s'est ainsi élevé à 440 millions d'euros, en dépassement de 10,6 % par rapport à l'autorisation initialement accordée.

Le problème posé est tel que, malgré une enveloppe de 459,4 millions d'euros dédiés à ces frais en 2011, votre rapporteur spécial a estimé que « la sous-budgétisation constatée en 2009 et 2010 se poursuit en 2011 », « remettant en cause le principe de sincérité budgétaire au sein de la mission « Justice » » 15 ( * ) .

La situation de la CA de La Réunion ne fait malheureusement qu'illustrer ce constat .

Le tableau ci-après rend compte de l'évolution des frais de justice de la CA.

L'évolution des frais de justice de la CA de La Réunion (2007-2010)

(en milliers d'euros)

Exécution 2007

Exécution 2008

Exécution 2009

Exécution 2010

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Traitement et jugement des contentieux civils

345,8

345,8

250

250

333,7

333,7

348,6

348,6

Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales

1 680,8

1 680,8

1 841,1

1 841,1

2 016,7

2 016,7

2 060,8

2 060,8

Soutien

424,6

424,6

499,9

499,9

514,8

514,8

450,5

450,5

Total

2 451,2

2 451,2

2 591

2591

2 865,2

2 865,2

2 859,9

2 859,9

Source : CA de La Réunion

Entre 2007 et 2010, les frais de justice ont ainsi augmenté de 16,7 % à la CA de La Réunion. Alors que les frais relatif aux affaires civiles sont restés relativement stables (348,6 milliers d'euros en 2010, contre 345,8 milliers d'euros en 2007), ceux concernant les affaires pénales ont progressé de 22,6 % (2,06 millions d'euros en 2010, contre 1,68 million d'euros en 2007). L'impact de cette progression est d'autant plus fort sur la dépense dans son ensemble que les frais de justice pour les affaires pénales représentent 72 % de l'enveloppe globale dédiée aux frais de justice.

A la fin de l'exercice 2010, il restait par ailleurs, selon les informations communiquées à votre rapporteur spécial par la CA, environ 589 milliers d'euros à payer 16 ( * ) .

Au regard de ce reste à payer, on peut s'interroger sur le montant de la dotation consacrée aux frais de justice en 2011. Cette dotation se monte à, seulement, 2,183 millions d'euros . Elle se situe donc déjà très en deçà des crédits consommés en 2010 (2,859 millions d'euros). Qui plus est, une partie est déjà automatiquement absorbée par le règlement des mémoires et d'autres dépenses restant à payer à la fin de l'exercice 2010 (soit 589 milliers d'euros environ).

Au final, l'enveloppe de crédits pouvant couvrir les dépenses nouvelles engagées en 2011 se réduit à la portion congrue et ne représente plus que 1,594 million d'euros .

Eu égard au montant des dépenses en 2010 et à leur rythme de croissance depuis 2007, l'équation des frais de justice pour la CA en 2011 s'apparente donc à une impasse budgétaire .

Celle-ci est d'autant plus préoccupante que l'insuffisance de crédits pour couvrir les frais de justice met en péril le bon fonctionnement de la CA et des juridictions relevant de son ressort, avec le risque, notamment, de ne plus pouvoir faire appel aux experts dont les travaux tardent à être payés .

Par ailleurs et comme votre rapporteur spécial aura l'occasion d'y revenir infra , l'ancien Tribunal supérieur d'appel (TSA) de Mamoudzou est devenu, dans le cadre de la départementalisation de Mayotte, une chambre d'appel placée dans le ressort de la CA de La Réunion (tout comme le nouveau TGI de Mamoudzou). Ses frais de justice vont donc désormais venir s'imputer sur les comptes de la CA , qui devra ainsi faire face à de nouvelles dépenses. Celles-ci correspondent notamment aux frais d'interprètes, auxquels le recours est très fréquent à Mayotte .

S'agissant des frais de justice supportés par les tribunaux à Mayotte , le bilan n'incite guère plus à l'optimisme qu'à La Réunion. D'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial auprès des magistrats sur l'archipel, il restait à payer, au titre de l'exercice 2010, 271 milliers d'euros . Sur le seul premier trimestre de l'année 2011, la consommation des crédits s'élevait déjà à 115 milliers d'euros , soit une prévision de 460 milliers d'euros si ce rythme est maintenu sur l'exercice en cours. Ces montants doivent être rapprochés de la dotation annuelle pour 2011 pour couvrir les frais de justice à Mayotte : 315 milliers d'euros .

Il apparaît donc évident que la nouvelle donne résultant de l'intégration de Mayotte dans le ressort de la CA de La Réunion rend d'autant plus fragile la position de cette Cour s'agissant de l'enjeu des frais de justice.

Un dernier point mérite d'être souligné concernant cet enjeu : l'impact de la réforme de la médecine légale . Mise en oeuvre à compter du 15 janvier 2011, cette réforme concerne à la fois l'activité de médecine légale thanatologique et celle de médecine légale du vivant au sein des structures hospitalières répertoriées dans un nouveau schéma d'organisation de la médecine légale.

La réforme de la médecine légale

La nouvelle organisation de la médecine légale résulte de la circulaire interministérielle CRIM2010-27/E6 (JUSD1033099C) du 27 décembre 2010 élaborée conjointement par les services des ministères de la justice, de la santé et de l'intérieur, et complétée par la circulaire CRIM-10-30E6 du 28 décembre 2010 du ministère de la justice. Par ailleurs, le ministre de la justice et des libertés, Garde des sceaux, a adressé, le 5 avril 2011, à l'ensemble des parquets, une circulaire sur les protocoles relatifs à la mise en oeuvre de la réforme de la médecine légale.

L'objectif de cette réforme, entrée en vigueur le 15 janvier 2011, est de structurer une médecine légale de qualité, pratiquée par des médecins dûment formés au sein de structures et d'organisations adaptées aux besoins judiciaires et économiquement équilibrées . En d'autres termes, il s'agit de mettre à la disposition des acteurs judiciaires et des citoyens, auteurs ou victimes d'une infraction pénale, la médecine légale de qualité à laquelle ils sont en droit de prétendre.

Cette réforme rationalise donc, tout d'abord, l'implantation des structures de médecine légale . La réorganisation des structures hospitalières dédiées à la médecine légale a ainsi été décidée au regard des besoins judiciaires recensés à plusieurs reprises auprès des juridictions et des capacités en médecine légale répertoriées par le ministère de la santé.

Elle cherche, en outre, à améliorer la qualité des structures de médecine légale . L'implantation de ces structures a été également décidée au regard de critères de qualité, en thanatologie comme en médecine légale du vivant.

Le nouveau schéma directeur de la médecine légale prévoit ainsi une réorganisation des activités médico-légales sur trois niveaux :

- un niveau régional , composé de structures hospitalières dédiées aux activités de thanatologie et de médecine légale du vivant, et chargées de l'animation du réseau et de la formation des médecins légistes ;

- un niveau départemental , composé de structures hospitalières départementales dédiées à la seule médecine légale du vivant ;

- un niveau local, dit « réseau de proximité » , comprenant des médecins libéraux, des structures associatives ou privées, et les services des urgences hospitalières.

Sur le plan budgétaire , la réforme prévoit de nouvelles modalités de financement de la médecine légale. Auparavant le paiement des prestations médico-légales s'effectuait à l'acte. Désormais, les structures dédiées sont financées sur la base d'un transfert de crédits entre le ministère de la justice et celui de la santé. Seuls les actes réalisés par des praticiens relevant du réseau de proximité continuent d'être rémunérés à l'acte.

Le coût de l'intervention des structures hospitalières a été fixé à 54,2 millions d'euros en année pleine, soit un accroissement des frais de justice de l'ordre de 30 millions d'euros . Un montant de 26 millions d'euros a d'ailleurs, d'ores et déjà, été mis à disposition des structures dédiées.

Compte tenu des modifications que ce nouveau schéma est susceptible d'entraîner dans un premier temps pour les juridictions, les praticiens de médecine légale et les services d'enquête, il sera procédé, au 30 septembre 2011, à une évaluation conjointe de la mise en oeuvre de la réforme de la médecine légale sur l'ensemble du territoire national, par les ministères de la justice, de la santé et de l'intérieur. Cette évaluation aura pour but de recenser les éventuelles difficultés rencontrées et, le cas échéant, de procéder à tout réajustement utile du schéma directeur.

Source : JO Sénat du 26 mai 2011 (page 1397), réponse du ministère de la justice et des libertés à la question écrite n° 17152 de Roland Courteau

Denis Robert-Charrerau, procureur général, a indiqué à votre rapporteur spécial que, dans le cadre de la mise en oeuvre de cette réforme au sein de la CA de La Réunion, une enveloppe d'environ 1,3 million d'euros a ainsi été allouée par le ministère de la justice et des libertés pour le centre hospitalier régional (CHR) de La Réunion.

Votre rapporteur spécial estime qu'il s'agira de tirer les conséquences budgétaires de l'évaluation de cette réforme, prévue d'ici au 30 septembre 2011 ( cf. encadré supra ), et de redimensionner en conséquence l'enveloppe des frais de justice dans l'ensemble des CA, et notamment dans celle de La Réunion .

D'une manière plus générale et dans le respect de la LOLF, votre rapporteur spécial juge nécessaire de travailler à la mise en place d'une « réserve budgétaire », clairement identifiée et pour chaque CA, en vue de pouvoir couvrir les dépassements de crédits sur les frais de justice en fin d'exercice . Une telle « réserve budgétaire » devrait permettre d'apaiser les craintes des magistrats-prescripteurs, de préserver les principes de responsabilité et de liberté de prescription, ainsi que d'assurer une meilleure lisibilité de la trajectoire budgétaire de chaque CA au cours de l'année.

e) Le défi à relever des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC)

L'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) représente pour la CA de La Réunion, comme pour toutes les autres CA, une voie à emprunter afin de dégager des gains de productivité et, partant, de nouvelles marges de manoeuvre budgétaires . Cette voie ne constitue pas, bien sûr, un remède miracle et ne permettra pas de lever toutes les hypothèques pesant sur la gestion de la Cour. Pour autant, elle ne doit pas non plus être minimisée : les NTIC peuvent contribuer aux économies de moyens et à l'amélioration des conditions des magistrats et des fonctionnaires de justice.

Le principal progrès réalisé au cours des dernières années au niveau de la CA de La Réunion porte sur le recours à la visioconférence . Cette technique, opérationnelle au sein de l'institution judiciaire de La Réunion depuis mai 2005, limite les transfèrements de détenus et débouche sur d'appréciables gains de temps (temps d'attente réduits dans le cabinet du juge d'instruction, notamment).

Selon les estimations communiquées par les gestionnaires de la CA à votre rapporteur spécial, l'économie ayant pu être dégagée grâce à la visioconférence correspond à un montant de l'ordre de 600 milliers d'euros .

Une telle économie est substantielle et démontre bien les retombées positives résultant d'une plus large diffusion des NTIC au sein de l'institution judiciaire. Cependant, elle ne doit pas occulter deux écueils majeurs .

Tout d'abord, les NTIC et singulièrement la visioconférence ne doivent pas avoir pour conséquence une déshumanisation de la procédure et, au-delà, du système judiciaire dans son ensemble . La justice est avant tout une affaire d'hommes (et de femmes), où le contact direct et la relation intuitu personae sont souvent irremplaçables. Dans certains cas, l'écran et la relation à distance (manquant parfois de fluidité et de souplesse) peuvent empêcher une juste appréciation de la situation et biaiser le jugement du magistrat.

A cet égard, votre rapporteur spécial a pu constater, lors de ses échanges avec les personnels de la CA de La Réunion, une adhésion d'ensemble à la technique de la visioconférence, cette adhésion étant toutefois teintée d'une certaine réserve et de quelques craintes relatives au risque de déshumanisation.

Votre rapporteur spécial partage à la fois cette adhésion de principe et ces réserves. Il estime que les magistrats sont désormais placés dans des conditions de travail nouvelles qui appellent, dès lors, de leur part de nouvelles méthodes et un discernement encore plus aiguisé quant aux choix à faire dans le cadre de la procédure. Ce choix entre la visioconférence et la réunion « physique » doit assurément procéder d'une appréciation au cas par cas .

Par ailleurs, les économies réalisées grâce à un recours accru aux NTIC et notamment, dans le cas de la CA de La Réunion, à la visioconférence doivent également donner lieu à un « retour sur investissement » en faveur des personnels au sein de la CA. En d'autres termes, les gains budgétaires réalisés grâce aux efforts des personnels pour s'adapter à une nouvelle technique et la rendre opérationnelle doivent se traduire par une redistribution, au niveau de la CA, des crédits dégagés. Or, il apparaît que tel n'a pas été le cas pour la CA de La Réunion. Selon les gestionnaires de la Cour, ces gains ont en effet été « captés » par le ministère sans bénéfice direct pour le ressort de la dite CA.

S'il apparaît nécessaire de veiller à la trajectoire budgétaire de la mission « Justice » du fait de la situation très dégradée des finances publiques, il semble aussi impératif à votre rapporteur spécial de permettre aux gestionnaires, au niveau de chaque CA, de profiter d'une part des économies réalisées par leurs efforts de gestion (cette quote-part restant à déterminer dans le cadre du dialogue de gestion entre les chefs de Cour et le secrétariat général du ministère) . Il s'agit là, d'ailleurs, de l'un des principes au fondement même de la LOLF, qui vise à responsabiliser les gestionnaires tout en leur assurant un « juste retour sur investissement ». Dans le cas contraire, le risque réside dans une démobilisation et l'émergence d'un certain sentiment de frustration de ne pas voir les efforts récompensés. Ainsi qu'a pu l'entendre votre rapporteur spécial, l'absence de retour « crée du désespoir » chez les gestionnaires à la recherche de nouvelles marges de manoeuvre budgétaires.

Ce dilemme est d'autant plus préjudiciable que les efforts d'adaptation aux NTIC sont réels et importants de la part des personnels de justice. Ainsi, par exemple, la démarche de numérisation des pièces des dossiers se révèle, aux dires même des acteurs, « difficile à mettre en place ». Elle requière des efforts de formation, d'équipement (achat de logiciels d'indexation des pièces pour ne pas perdre du temps...) et de maintenance. S'agissant en particulier du système Cassiopée permettant la dématérialisation de la chaîne pénale, le greffe (notamment son bureau d'ordre) doit s'engager dans une refonte de son organisation. Alors que la CA de La Réunion est l'une des dernières à s'engager dans cette modernisation (pour un passage à Cassiopée prévu en septembre 2011), des retards sont déjà prévisibles. Face à cette situation, la Cour peut compter sur l'appui d'experts du ministère, mais dont l'éloignement géographique (le service soutien est basé à Nantes) ne facilite pas les choses.

Parmi les difficultés rencontrées du fait de l'implantation de nouveaux outils informatiques, la transition vers Chorus, le progiciel de gestion intégrée à l'échelle de l'ensemble des ministères, ne va pas sans heurts au niveau de la CA de La Réunion . Partagé avec la direction de l'administration pénitentiaire et la direction régionale de la PJJ (ce qui est une originalité au regard de la norme appliquée en métropole où chaque direction est raccordée à son propre outil), la plateforme Chorus fonctionne aujourd'hui avec le soutien de personnels vacataires. Mais il s'agira certainement à plus ou moins brève échéance de pérenniser ces emplois. En outre, cette plateforme ne dispense pas les services gestionnaires réunionnais de devoir continuer à travailler sur des fichiers Excel afin de suivre la consommation des crédits. Un tel mode de pilotage ne paraît, pour le moins, pas optimal ni conforme aux objectifs fixés lors du déploiement de Chorus. A cela s'ajoute les difficultés ressenties par les personnels, qui regrettent une « formation théorique au rabais » : « On a découvert Chorus sur un manuel ! ».

L'engagement de la CA sur les projets liés aux NTIC se traduit par des avancées en concertation avec les autres acteurs du système judiciaire . Ainsi, s'agissant de la communication électronique, un comité de pilotage a été créé et il réunit les magistrats, les greffiers et les avocats. Ce comité traite des questions relatives aux bulletins de mise en état, aux convocations pour les audiences... Il assure ainsi une étroite coopération entre les différents maillons de la chaîne judiciaire et constitue la garantie qu'aucun ne décroche par rapport aux autres, ce qui aurait pour conséquence de bloquer l'ensemble du système.


* 14 Matériel téléphonique.

* 15 Sénat, rapport spécial n° 111 (2010-2011) - Tome III - annexe 16.

* 16 Ce montant représente une estimation, dans la mesure où certains mémoires d'experts pouvaient encore être produits au titre de l'exercice 2010.

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