XXVII. AUDITION DE MME CHRISTIANE CECCALDI ET DE M. MICHEL LEHALLE, CONTRÔLEURS GÉNÉRAUX ET DE M. JEAN-YVES NICOLAS, ADMINISTRATEUR AU CGEFI

M. Martial Bourquin , président . - Arrivés presque au terme de nos auditions (il ne nous restera plus que le ministre à écouter), nous aimerions connaître votre point de vue sur la désindustrialisation.

M. Michel Lehalle, contrôleur général économique et financier. - Le contrôle général économique et financier est issu du regroupement de quatre corps d'inspection et de contrôle du ministère de l'Economie et des finances. La première de ses trois missions est de contrôler quelque 650 organismes publics et autonomes, des plus grands comme EdF aux moindres comme l'Institut national de la consommation, de regarder leur gestion et la qualité de leurs performances. Nous jouons ensuite un rôle de conseil pour les ministres ou pour d'autres autorités, tels des parlementaires en mission. L'audit, qui constitue notre troisième mission, s'est développé avec la RGPP et l'ingénierie administrative.

Héritiers de l'ancienne inspection générale de l'industrie et du commerce, nous avons été missionnés il y a deux ans dans les Ardennes lors de l'affaire Thomé-Génot. L'opération Mutecos a onze ans. Créée à l'initiative de l'inspection générale de l'industrie et du commerce, elle a connu deux phases. Elle a commencé par l'organisation de séances de sensibilisation des cadres supérieurs de la fonction publique aux délocalisations, grâce à des débats, des échanges, des tables-rondes. Cela a mis du temps à se développer puis, en 2004-2005, on en a élargi le champ à tous les partenaires afin d'engager une approche multifactorielle, incluant la veille, l'analyse et l'anticipation. Cela n'a pas marché tout de suite et il a fallu attendre 2008 et une session en Provence-Alpes-Côte-d'Azur sous l'égide du préfet de région pour que se révèle toute l'utilité de mettre tous les acteurs autour de la table, des élus aux syndicalistes, des patrons aux universitaires : on a vu émerger une logique de territorialisation et de technique. On a ensuite pu faire remonter des thématiques générales car les divisions ne facilitent pas la recherche de solutions. Après une phase de consolidation, notre dispositif s'organise en trois parties : les échelons régionaux, comme en Lorraine, ou à l'horizon de mars 2012 le Nord-Pas-de-Calais, un échelon national pour les grands enjeux stratégiques, et, maintenant, un site internet pour fédérer tous les acteurs mobilisés depuis dix ans, et échanger les bonnes pratiques comme les expériences. Mutecos qui joue un rôle de facilitation dans la durée, en flux plutôt qu'en stocks, nourrit une intelligence collective de toutes les informations ainsi amassées.

M. Martial Bourquin , président . - Mais l'industrie ?

Mme Christiane Ceccaldi , contrôleur général . - Les ateliers régionaux sont opérationnels ! Leur action sous la présidence du préfet est nécessaire car, quand une entreprise de 1 500 emplois disparaît, l'onde de choc atteint des sous-traitants qui disparaissent à leur tour, d'où de nouvelles pertes d'emplois, bien difficiles à réparer. Comment procédons-nous ? La première question qui se pose est celle de notre incapacité à prévoir : pourquoi n'a-t-on pas su travailler en amont ? Alors, la crise aurait été moins dure. On réunit donc tous les acteurs, de l'Etat aux syndicats de salariés et l'on travaille sur la situation en s'aidant parfois des solutions trouvées à l'étranger.

M. Martial Bourquin , président . - Pourquoi ? Nous avons connu ces situations en Lorraine. On nous propose parfois une unité de stockage pour une grande surface... En réalité, l'industrie n'est plus une priorité depuis vingt ans.

Mme Christiane Ceccaldi. - Il faut voir tout le tissu économique. De quels outils dispose-t-on pour les entreprises de 400 salariés et comment mesure-t-on les pertes à n - 1 ou n - 2 ? Les pertes d'emploi et de savoir-faire sont dramatiques. Les évolutions à cet égard sont récentes et l'on n'avait guère d'évaluations - je pense au PSE. Du coup, les déperditions en ligne de moyens et d'énergie étaient colossales. Dès que l'on travaille en cohérence et en amont, on peut penser conversion et accompagnement en intégrant les rangs n - 1 et n - 2, et cela sans négliger la vie des villes. Songez à la restructuration de la Défense : quand une garnison de 3 000 personnes quitte une ville de 5 000 habitants, il n'y a plus de commerces ! L'on voudrait faire entrer un temps long dans un temps court ; nous préférons anticiper pour mieux gérer la crise, accompagner les salariés, les aider à se reconvertir vers d'autres filières. Ce travail se mène au niveau des territoires.

M. Martial Bourquin , président . - Le prélèvement sur l'industrie est énorme - y compris pour rémunérer les actionnaires. Envisage-t-on une fiscalité qui pénalise moins la production et favorise l'investissement ? On travaille sur des faits accomplis, pour en limiter les dégâts. Comment prévoir, comment armer les PME ? Nous agissons peu dans la durée.

Mme Christiane Ceccaldi. - Le ministère commence à produire de bonnes analyses sur la transmission des entreprises. Nous avons un vivier énorme. Encore faut-il aider à construire un avenir : on n'achète pas un passé... Il s'agit pourtant de transmettre de la compétitivité et de la compétence, de l'innovation et des brevets grâce à un accompagnement et à des techniques : les entreprises se transmettent alors très bien.

M. Michel Lehalle. - Je n'ai pas d'éclairage particulier sur la fiscalité même s'il est sûr que le ministère réfléchit sans cesse à son efficacité. Mutecos vise à décloisonner, à faire ressortir les points forts dans un champ complexe. Il ne se plaque pas sur un socle particulier ; en revanche, l'ingénierie de veille sur la cartographie des risques aide à prévenir, car l'on peut consolider un tissu économique fragile où les entreprises sont mal reliées entre elles. L'on a travaillé sur cette thématique en région PACA.

La transmission pose quant à elle le problème de la disparition de nombreuses entreprises durant les cinq premières années.

Troisièmement, il est difficile de faire payer l'innovation : comment faire en sorte que la recherche-développement bénéficie d'un intérêt collectif dans le monde réfracté qui est le nôtre ? Voilà des thématiques que l'on essaie de formaliser.

M. Martial Bourquin , président . - Quel est le rôle des territoires ?

M. Michel Lehalle. - Il est décisif !

Mme Christiane Ceccaldi. - L'action de l'Etat forme un tout. Le comité de pilotage est interministériel, et encore plus avec la réforme des services déconcentrés.

M. Martial Bourquin , président . - On le fait pendant la crise, mais après ?

Mme Christiane Ceccaldi. - Laissons une place à l'imagination des acteurs du terrain. On se demande souvent pourquoi un moyen est plus efficace ici, pourquoi l'emploi est plus cher là... Le territoire a une intelligence collective, ses acteurs savent ce qui leur manque. Pourquoi ne pas grouper les PME en des GIE d'achat ? Il y a toute une trousse d'outils pragmatiques. Comment affronter la crise avec plus de sérénité ? L'isolement est terrible : que peut faire une PME à laquelle un client presqu'exclusif demande de baisser ses prix de 30% ?

M. Martial Bourquin , président . - Dans le Doubs, certains nous ont dit que cela allait mieux, d'autres ont parlé de rapports de maîtres à esclaves.

Mme Christiane Ceccaldi. - C'est souvent vrai. Je fais intervenir des chefs d'entreprise responsables, qui mettent en place des partenariats avec leurs sous-traitants, les aident à répondre aux appels d'offres. Pour soumissionner à ceux de Dassault, il faut connaître le logiciel CATIA. On a commencé des locations de deux ou trois jours, pour répondre aux appels d'offres. Sinon, l'achat serait hors de prix pour les PME. Nous devons les mettre ensemble. Des entreprises demandent pourquoi elles ne se mettraient pas à quinze ou vingt pour emprunter.

M. Martial Bourquin , président . - Comme dans les travaux publics ?

Mme Christiane Ceccaldi. - Pourquoi cela ne pourrait-il pas se développer ?

M. Martial Bourquin , président . - Des plates-formes d'échange se services se mettent également en place, comme dans le Nord.

Mme Christiane Ceccaldi. - On connaît de bonnes pratiques. Elles sont efficaces quand deux ou trois personnes jouent un rôle de catalyseur et qu'il y a un accompagnement. Pourquoi cela marche-t-il ici et pas ailleurs ? Parce qu'il y a un chef de projet. C'est déterminant, ainsi que la délégation dont il dispose.

M. Martial Bourquin , président . - Aide-t-on les entreprises à s'installer rapidement ?

Mme Christiane Ceccaldi. - Diagnostics, incubateurs ou pépinières, les schémas, publics ou privés, sont nombreux. Il convient toutefois de prendre garde aux seuils ainsi qu'aux besoins d'accompagnement. On peut citer le programme Challenge + d'HEC.

M. Martial Bourquin , président . - Comment intervenez-vous en cas de défaillance ?

Mme Christiane Ceccaldi. - Ce sont les spécialistes des ex-DRIRE qui essaient d'accompagner les entreprises. Si Oseo est encore récent, les montages financiers et les procédures seront d'autant plus intelligents et efficaces qu'on aura découvert plus en amont les difficultés de ces entreprises.

M. Jean-Pierre Sueur . - Pourquoi y a-t-il désindustrialisation en France et quelles mesures prendriez-vous d'abord si vous étiez ministre de l'industrie ?

Mme Christiane Ceccaldi. - La première mesure concernerait l'information économique. Des entreprises délocalisent parce qu'elles surestiment les gains qu'elles réaliseront et minimisent les difficultés.

M. Jean-Pierre Sueur . - Vous leur expliqueriez que la délocalisation, ce n'est pas le Pérou...

Mme Christiane Ceccaldi. - La deuxième mesure consisterait à inciter les entreprises de moins de 200 salariés à être moins dépendantes des grands groupes : ceux-ci représentent parfois jusqu'à 80% de leur chiffre d'affaires, cela ne devrait pas être plus de 50%. Aussi ont-elles besoin d'investir et d'être accompagnées.

M. Martial Bourquin , président . - J'entends le même discours dans mon territoire, mais comment rentre-t-on en action ? Il s'agit de faire bouger un territoire !

Mme Christiane Ceccaldi. - En Lorraine, lors d'une conférence sur l'accompagnement de projets, une représentante CFDT nous a demandé : « voilà trois ans qu'on en parle, quand commençons-nous ? ». Je lui ai répondu : « Demain matin ! ». Nous avons créé cet observatoire et une cellule opérationnelle pour agir dans la cohérence.

M. Martial Bourquin , président. - Un rôle plus opérationnel est-il envisageable ?

Mme Christiane Ceccaldi. - Oui, sous la forme d'une « task force » d'accompagnement, mise à disposition gratuitement : il faut amorcer la pompe du transfert de technologies.

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