V. AUDITION DE M. LUC ROUSSEAU, DIRECTEUR DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA COMPÉTITIVITÉ, DE L'INDUSTRIE ET DES SERVICES DU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI

La mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires procède ensuite à l'audition de M. Luc Rousseau, directeur de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi .

M. Luc Rousseau . - Je précise en préambule que l'organisation territoriale de notre pays se traduit dans la structure de l'administration de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services.

Le phénomène de désindustrialisation se caractérise par trois évolutions :

- un recul de l'emploi, puisque l'industrie a perdu 36 % de ses effectifs entre 1980 et 2007, soit 1,9 million d'emplois ou 71.000 par an en moyenne depuis 2000 ;

- un recul de la contribution de ce secteur au PIB, le poids de l'industrie dans le PIB en valeur étant passé de 24 % à 13,8 % entre 1980 et 2008 ;

- une forte croissance du secteur des services marchands favorisée par l'externalisation de certaines tâches de l'industrie vers ce secteur.

Une approche économique en volume est de nature à tempérer ce constat d'ensemble : la part de la valeur ajoutée des branches industrielles n'a en effet perdu qu'un peu plus d'un point en dix ans (16,4 % en 2008 contre 17,7 % en 1998).

En valeur, le recul de la contribution de ce secteur au PIB de plus de dix points entre 1980 et 2008 traduit surtout les gains de productivité de l'industrie et la hausse des prix des services. Durant cette période, la progression des prix des services a en effet été deux fois plus élevée que celle des prix à la production dans l'industrie. Cette baisse des prix relatifs a été permise par des gains de productivité très élevés dans l'industrie, de l'ordre de 4 % par an entre 1998 et 2007.

Au total, le phénomène de la désindustrialisation semble surestimé, en raison surtout de l'écho donné aux délocalisations ou à l'actualité des restructurations.

Il s'explique par trois raisons majeures d'ordre structurel, communes aux pays industrialisés :

- les gains de productivité obtenus grâce à une amélioration des processus de production. En France, le recul de l'emploi industriel est plus fort que la baisse du nombre d'entreprises industrielles (-3,4 % d'entreprises depuis 2000 et -14 % d'emplois). L'impact des gains de productivité représente environ 43 000 emplois détruits par an entre 2000 et 2007, soit 65 % des destructions observées ;

- la tertiarisation de l'industrie, conséquence d'un recentrage des entreprises sur leurs activités de production et d'un mouvement d'externalisation de fonctions auxiliaires de services et de sous-traitance. La forte croissance de l'emploi des services doit en effet, être mise en perspective compte tenu du repli de l'emploi de l'industrie. La création en France au cours des vingt dernières années de 2,4 millions d'emplois de service aux entreprises a ainsi plus que compensé le déclin de l'emploi industriel ;

- l'accroissement du nombre de pays compétiteurs et la globalisation des marchés ont contribué à la destruction d'emplois industriels dans tous les pays développés. Cette évolution favorise par ailleurs les délocalisations vers des pays dits « low-cost ». Les données statistiques précises font toutefois défaut.

Toutefois, le phénomène de repli de l'industrie touche davantage la France que la plupart des autres pays européens. En 10 ans, la part de l'emploi industriel dans l'emploi total de l'Union européenne est ainsi en recul de 14,3 %, contre 19,3 % en France. Notre pays est plus touché par l'intensification de la concurrence dans la mesure où il reste encore très spécialisé dans des activités manufacturières traditionnelles, fortement exposées. Ainsi en 2009, un salarié de l'industrie sur deux travaille dans une branche où le coût du travail reste un facteur important de compétitivité (métallurgie, textile, bois). Cette spécialisation sectorielle historique pèse sur l'évolution de l'emploi. Les industries de biens de consommation et tout particulièrement le textile, mais aussi de biens intermédiaires, ont enregistré les plus fortes pertes d'emplois au cours des dix dernières années : la branche textile-habillement-cuir a perdu 70 % de ses effectifs, les industries de la filière bois 38 %, la chimie 36 %. En revanche, le secteur de la pharmacie s'est maintenu mais il ne compte que 88 000 emplois.

La comparaison avec l'Allemagne met en outre en évidence des pertes d'emploi plus nombreuses (-12 % contre -2 % pour notre voisin, l'écart étant moins grand dans le secteur automobile : respectivement -10 % et - 3 %).

Les états généraux de l'industrie ont permis de dresser un diagnostic précis de la désindustrialisation. Ils montrent que l'une de nos difficultés majeures réside dans le niveau des coûts salariaux, particulièrement élevé en France. Depuis 2000, l'écart avec l'Allemagne s'est même creusé de 10 points. Une autre faiblesse résulte du manque de dynamisme des dépenses de recherche et développement (R & D). En effet, loin de l'objectif de la stratégie de Lisbonne de 3 % du PIB en 2010, la France stagne à 2,2 % du PIB, dont 1,3 % de dépenses issues des entreprises. Tous nos concurrents sont meilleurs que nous en la matière. En outre, la France a créé relativement moins d'emplois et de richesses que les autres économies occidentales s'agissant des nouveaux secteurs à fort potentiel, comme les technologies de la communication et de l'information (TIC), les biotechnologies ou les technologies vertes. Nous ne disposons pas de grandes entreprises compétitives dans ces secteurs. Tous les grands groupes industriels français compétitifs au niveau international appartiennent à des secteurs plus traditionnels.

En termes de stratégie macroéconomique, les priorités sont les suivantes :

- limiter les prélèvements obligatoires et agir sur leur structure. Les prélèvements pénalisants doivent être évités. La suppression de la taxe professionnelle va dans ce sens ;

- encourager l'innovation, matérielle comme immatérielle. Le bilan positif du crédit d'impôt recherche (CIR) doit être souligné, même si son coût est important puisque estimé à 4,2 milliards d'euros sur l'année 2008. Les secteurs à forte valeur ajoutée doivent être privilégiés, de manière à les ancrer durablement sur notre territoire ;

- faciliter le travail en réseau. La politique des pôles de compétitivité, mise en place en 2005, répond à une telle logique. Ainsi que le montre aujourd'hui l'une des conclusions des états généraux de l'industrie, il s'agit de renforcer les partenariats et la structuration des filières. Les grands groupes et leurs sous-traitants ne doivent plus être opposés, mais être envisagés collectivement en tant que filière. Il est nécessaire de conduire un travail fin d'analyse et de suivi des forces et des faiblesses des filières industrielles dans nos territoires. Il permettra d'identifier les capacités de mobilisation des acteurs au niveau local et de renforcer notre compétitivité à moyen et long terme.

M. Jean-Jacques Mirassou , président . - Je vous remercie de cet exposé. Toutes les questions sont ouvertes, y compris celles qui suscitent des débats, à l'image de la suppression de la taxe professionnelle

M. Alain Chatillon , rapporteur . - Au terme de vos analyses et de manière synthétique, quels seraient les trois leviers significatifs sur lesquels il reste possible d'agir pour favoriser la réindustrialisation ?

Mme Nathalie Goulet . - Je m'interroge sur l'impact des mesures et des aides versées par les collectivités territoriales en matière d'attractivité.

M. Jean-Claude Danglot . - Je me félicite de votre intervention qui refuse le fatalisme alors que les discours dominants invitent le plus souvent à prendre acte de la fin de l'industrie en France. Dans les régions les plus en difficulté telles que le Nord, comment relancer l'activité industrielle ? Quelles sont les politiques de formation les plus adaptées ? Je regrette que la réduction des coûts salariaux soit souvent la principale recommandation des experts de la compétitivité économique. J'observe, en outre, que le protectionnisme allemand est une réalité.

M. Edmond Hervé . - Je voudrais faire plusieurs remarques. Le coût global de la réforme de la taxe professionnelle pour l'Etat ne doit pas être sous-estimé. Il s'élève en effet à 11 milliards d'euros en 2010. Par ailleurs, la préconisation d'une réduction des prélèvements obligatoires n'est pas suffisante : un lien doit être fait entre leur niveau et les services qu'ils permettent d'offrir. Ainsi, le dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires relève, à cet égard, nos atouts :

- des politiques de formation satisfaisantes ;

- un excellent système de transports ;

- une politique énergétique qui permet d'enregistrer de bons résultats ;

- un marché de l'immobilier, y compris locatif, qui fonctionne de manière satisfaisante ;

- une administration et des services publics de qualité.

De plus, les collectivités territoriales sont insuffisamment considérées comme des acteurs économiques, alors qu'elles jouent un rôle essentiel, appuyé sur leurs compétences considérables en matière de commande publique. Des secteurs tels que les transports et les technologies vertes pourraient être favorisés par une politique d'achat volontariste.

En outre, une plus grande proximité à l'égard des petites et moyennes entreprises (PME), en particulier des très petites entreprises (TPE), doit être recherchée, de manière à mieux les accompagner, notamment sur le plan de leur financement. Les technopôles représentent une voie à creuser.

J'observe que la nomination de M. René Ricol, le 29 janvier 2010, au poste de commissaire général à l'investissement, constitue un signal positif en direction du monde industriel.

M. Marc Daunis . - Je m'interroge sur quatre points :

- le rôle des collectivités territoriales, en particulier des régions, à l'égard des PME. Les pôles de compétitivité représentent une avancée louable mais il faut continuer d'accompagner leur développement. J'estime qu'au sein des filières industrielles les relations entre les groupes et leurs sous-traitants doivent s'établir selon des termes de l'échange équitables ;

- les capacités d'intervention des pouvoirs publics en matière de propriété industrielle et de brevets. Les incitations fiscales sont à rechercher. Les transferts technologiques résultant de la recherche publique ou privée doivent être finalisés dans le monde industriel ;

- l'impact de la financiarisation sur la politique des entreprises, en particulier dans le secteur industriel. En dépit de ses succès, l'entreprise Amadeus a ainsi dû faire face à un mouvement de grève, pour la première fois de son histoire, le 27 mai 2010 à la suite de l'annonce de l'attribution de bonus exorbitants. L'Allemagne et les pays d'Europe du Nord semblent plus raisonnables en matière d'écarts de rémunération ;

- les raisons de la forte valeur ajoutée du secteur pharmaceutique.

Mme Élisabeth Lamure . - Je souhaite que l'on rappelle les conclusions des états généraux de l'industrie. Quels sont, parmi les filières industrielles en difficulté, les secteurs à sauver ?

M. Jean-Jacques Mirassou , président . - Comme le montre l'exemple d'EADS, les marges de manoeuvre des gouvernements européens en matière de stratégie industrielle restent incertaines. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils favoriser la conquête de parts de marché par nos grands groupes ?

M. Alain Chatillon , rapporteur . - Je souhaite avoir des précisions sur les modalités de la représentation de l'Etat au conseil d'administration d'EADS.

M. Luc Rousseau, directeur de la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi . - Pour favoriser la réindustrialisation, quatre leviers doivent être mobilisés, comme le recommandent également les états généraux de l'industrie :

- l'innovation et sa diffusion dans les entreprises. Dans la compétition internationale, notre pays doit, en effet, accroître son attractivité. Le crédit d'impôt recherche y contribue aujourd'hui efficacement, notamment à l'égard des investissements étrangers en France. Les liens entre la sphère publique et les entreprises privées doivent être renforcés, à l'image de la mise en place des pôles de compétitivité. Entre les entreprises, des synergies sont à rechercher. Le rôle d'OSEO doit être souligné, de même que les crédits mobilisés au titre du grand emprunt. Sur les 35 milliards d'euros de crédits ouverts, environ 22 milliards d'euros sont destinés à la recherche et à l'innovation ;

- la formation. Les passerelles entre le monde de l'éducation et celui des entreprises doivent être développées. L'apprentissage peut apporter sa contribution ;

- l'investissement. Deux types de décision des chefs d'entreprise ne contribuent pas à notre compétitivité : le renoncement à l'investissement, faute de moyens suffisants d'une part, le choix d'investir dans un pays étranger, d'autre part. En outre, la question des ratios de solvabilité se pose. En vue de répondre aux défis d'une politique d'investissement plus ambitieuse, les états généraux de l'industrie ont confié un mandat à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi ;

- les actions de proximité, dont les pôles de compétitivité sont une illustration. Ces derniers ne regroupent que 10 % de l'emploi industriel, mais concentrent la plus grande partie des dépenses de R & D.

En réponse à Mme Nathalie Goulet, je précise que l'impact des aides versées par les collectivités territoriales sur la compétitivité de notre économie est faible, surtout au regard des effets de premier ordre de la politique fiscale. Leur intérêt réside donc principalement dans leurs conséquences microéconomiques. En effet, elles peuvent orienter les décisions prises par les acteurs économiques au niveau local. A l'avenir, il conviendrait de les cibler sur les secteurs les plus stratégiques, à fort potentiel de croissance.

En réponse à M. Jean-Claude Danglot, je souhaite rappeler que la France bénéficie toujours d'un secteur industriel dynamique. Même la région Nord-Pas-de-Calais conserve des entreprises. La sidérurgie y est certes en fort déclin, comme en témoigne la réduction par 2,5 de la production d'acier depuis 1980. Toutefois, deux pôles de compétitivité parmi les six que compte la région sont une réussite : « Nutrition-santé-longévité » et « Industries du commerce » .

Par ailleurs, il existe en effet une forte valeur ajoutée dans le secteur pharmaceutique en France.

De manière générale, je rappelle que le projet de « pack PME » doit être relancé et qu'une annonce du Premier ministre devrait être faite dans ce sens dès la semaine prochaine. Ce pack ne représente pas une atteinte au droit de la concurrence, ni vis-à-vis des règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC), ni à l'égard du droit communautaire.

Par ailleurs, je relève l'objectif de financer par le grand emprunt à hauteur de 400 millions d'euros sur 4 ans le fonds démonstrateur de recherche, qui selon l'engagement du Grenelle de l'environnement doit faciliter le développement expérimental et accélérer l'essor de nouvelles technologies de l'énergie.

En réponse à M. Edmond Hervé , et s'agissant de la suppression de la taxe professionnelle, j'estime essentiel de maintenir un lien entre les territoires et les entreprises en particulier dans le secteur industriel. En effet, les entreprises de ce secteur sont plus souvent que les autres sources de nuisances (bruit, pollution...). Le lien doit donc aller plus loin que l'emploi et doit permettre de faire bénéficier la collectivité territoriale concernée d'une source de revenus. J'ai entendu votre propos pour ce qui concerne le rapport étroit entre la fiscalité et les services rendus aux citoyens ainsi qu'aux entreprises.

S'agissant du cadre institutionnel de la politique industrielle, il est important de faire bouger les lignes au niveau de l'Union européenne. La définition des contours de la politique industrielle en Europe remonte à la fin des années cinquante et aux années soixante. Elle apparaît aujourd'hui naïve et inadaptée. Ainsi, les droits de douane sont à redéfinir : ils sont en effet relativement favorables à des concurrents, qui se sont développés au cours des trente dernières années et sont de plus en plus puissants. La nomination de M. Yvon Jacob au poste d'ambassadeur de l'industrie française auprès de l'UE représente un élément positif.

En réponse à M. Marc Daunis , je tiens à souligner l'importance des entreprises de taille intermédiaire. Le rapport de votre collègue, M. Bruno Retailleau, fournit des pistes intéressantes à ce sujet, auxquelles il reviendra au gouvernement de donner éventuellement suite.

Le crédit d'impôt recherche (CIR) représente un levier d'action pertinent. Le grand emprunt et les investissements d'avenir fournissent un cadrage de long terme. L'idée de feuilles de route élaborées en fonction des besoins de l'économie sur 10 à 20 ans est, à cet égard, opportune.

Je souligne par ailleurs que le rapprochement entre l'Etat, les collectivités territoriales et les entreprises est nécessaire. Il convient de viser des actions structurelles, à l'image de ce qui a été réalisé à Sophia Antipolis depuis 30 ans ou à Grenoble au cours des 20 dernières années. Le travail en commun est indispensable. Dans les transferts de technologie, les ingénieurs développeurs assurent un rôle transversal.

S'agissant de l'actionnariat public, l'intervention et la légitimité de l'Etat varient en fonction du pourcentage de parts détenues. Son influence doit être reconnue, surtout lorsque l'intérêt national est en jeu. Pour ce qui concerne les gros porteurs, les nouveaux avions ont ainsi conduit à une redistribution des lots des marchés en tenant compte des projets d'implantation territoriale.

Le financement de l'investissement par les outils nouveaux que représentent le fonds stratégique pour l'investissement (FSI) ou les fonds spécialisés pour les équipementiers automobiles et l'aéronautique est stratégique. Ces instruments doivent conduire à améliorer la compétitivité de notre économie.

Page mise à jour le

Partager cette page