B. UN RÉEL MOTEUR ÉCONOMIQUE DANS LES PROVINCES VISITÉES
Si la prise de conscience du gouvernement fédéral peut apparaître relativement tardive, votre délégation a été impressionnée par la stratégie volontariste des villes dans lesquelles elle s'est rendue, pour faire des industries numériques culturelles un fer de lance des trois provinces concernées.
1. Québec et le Grand Montréal : l'économie numérique au coeur de la croissance
a) Une filière TIC très dynamique
Si la province du Québec peine à faire émerger le secteur du commerce électronique, le secteur des TIC y est cependant très dynamique, dont le coeur se situe dans le Grand Montréal 11 ( * ) .
En effet, dans cette métropole, le secteur compte 5 800 entreprises et 120 000 salariés, dont 12 500 dans la R&D, pour un chiffre d'affaires d'environ 16,5 millions d'euros, dont 75 % dans les services et le développement de logiciels.
Il est caractérisé par son ouverture à l'international, 70 % de la production québécoise des TIC étant destinée à l'exportation. En effet, la région bénéficie de la proximité des États-Unis, destinataire de 62 % de ces exportations (soit 4,4 milliards de dollars américains en 2006).
Cette industrie est spécialisée dans quatre grands champs d'activités :
- les télécommunications ;
- les nouveaux médias, qui regroupent l'animation 3D, l'imagerie interactive et les jeux vidéo 12 ( * ) ;
- les logiciels ;
- les services et l'optique-photonique.
Le Québec a encouragé la création de nombreux technopôles et de la grappe industrielle « Techno Montréal », ce qui a permis d'accélérer la valorisation de la province comme acteur incontournable de la filière des TIC au Canada .
Votre délégation a rencontré M. Gérald Tremblay, maire de Montréal, sous l'impulsion duquel a été créée cette « grappe » alors qu'il était ministre de l'industrie.
« Techno Montréal » regroupe 50 % des activités de TIC de la région. Il regroupe vingt organismes et représente 120 000 emplois. Il est financé à parts égales par la fédération canadienne, la région du Québec, la ville de Montréal et les entreprises privées.
Il a pour mission de rassembler et de soutenir les acteurs des TIC du Grand Montréal afin d'accroître leur croissance et leur rayonnement.
Votre délégation a été frappée par la richesse et la diversité des acteurs de « Techno Montréal », qui bénéficie de la présence de tous les secteurs des nouvelles technologies, ce qui permet de disposer d'une expertise multi-disciplinaire (logiciels, services informatiques, fabrication de composants, télécommunications,...). En outre, les entreprises de jeux vidéo, arts numériques et médias représentent 10 % des activités, 12 000 emplois et la croissance la plus forte, faisant de la grappe une plateforme internationale des jeux vidéo.
Précisons que 90 % des entreprises de la région sont des PME, très actives dans le domaine de la recherche et du développement.
Les grands axes de développement de cette grappe industrielle sont fondés sur :
- une main-d'oeuvre très diversifiée et qualifiée . Des liens étroits sont développés avec les universités, ce qui facilite des transferts informels de technologie vers les entreprises, ainsi que les créations d'entreprises, lesquelles ne requièrent que deux semaines ! Le secteur semble pourtant manquer de main-d'oeuvre, celle-ci étant très mobile et parfois insuffisamment qualifiée compte tenu du faible nombre de doctorants. Ceci incite d'ailleurs certaines entreprises, telles Ubisoft, à créer leur propre centre de formation ;
- une fiscalité attractive , comme il sera précisé ci-après.
Par ailleurs, votre délégation a rencontré les dirigeants d'« Alliance numérique », réseau d'affaires de l'industrie des nouveaux médias et des contenus numériques interactifs du Québec. Il compte près de 150 membres issus des secteurs du jeu vidéo, de la formation par Internet (« e-learning ») et des services et applications Internet. Il a pour mission de soutenir et d'accélérer la croissance et la compétitivité des industries concernées.
b) Une stratégie volontariste d'attractivité, notamment en faveur du secteur du jeu vidéo
Le gouvernement du Québec et la ville de Montréal ont développé une stratégie volontariste en vue de favoriser l'implantation d'entreprises innovantes, en particulier dans le secteur du jeu vidéo. Ainsi, ce secteur y occupe aujourd'hui près 12 500 salariés.
C'est ainsi qu'en 1997, la société de jeux vidéo, Ubisoft , a ouvert à Montréal sa première implantation canadienne. Elle a bénéficié d'un programme spécifique, avec un soutien financier sur 13 ans comportant à la fois un crédit d'impôt remboursable de 37,5 % et une aide financière de plus de 37,4 millions d'euros. Cette entreprise souhaitait alors une expansion internationale sur le marché du jeu vidéo. Le Québec s'est avéré intéressant sur le plan culturel puisqu'au croisement de la sensibilité nord américaine et de la langue française.
A Montréal, l'entreprise comptait environ 1 600 employés en 2009 sur ses 2 200 collaborateurs au Québec, soit une progression de + 60 % en 3 ans.
D'après les informations données à votre délégation, qui a visité ses locaux, Ubisoft prévoit de porter ses effectifs au Québec à 3 000 d'ici 2013.
Le secteur des « serious games », jeux vidéo ludiques utilisés notamment dans les ressources humaines ou pour l'apprentissage ludique, se développe de plus en plus au Canada, notamment au Québec, où les entreprises françaises sont attirées, compte tenu du développement prévisible de ce marché porteur.
M. Julien Villedieu, délégué général du SNJV 13 ( * ) , évalue à 350 millions d'euros, sur 10 ans, le niveau des aides consenties par le Québec en faveur de la production de jeux vidéo . En outre, la classe politique devrait poursuivre un effort financier massif dans ce secteur pour les 5 prochaines années, de l'ordre de 700 millions d'euros, afin d'encourager l'implantation de sociétés étrangères ou la création d'entreprises canadiennes.
Votre délégation a constaté l'efficacité de cette politique volontariste, conduite dans une certaine continuité. Elle ne peut que regretter que la France ne soit pas autant préoccupée du soutien à l'industrie du jeu vidéo, alors même que notre pays est réputé pour sa créativité et ses compétences dans ce domaine.
Notre pays n'a sans doute pas suffisamment reconnu, ou en tout cas tardivement, toutes les potentialités de ce secteur qui agit sur un marché très porteur 14 ( * ) et s'avère créateur d'emplois très qualifiés . En effet, il est un véritable creuset de créativité associant différentes industries connexes (animation, bandes dessinées, etc.).
Précisons cependant qu'il bénéficie de deux types d'aides à la création 15 ( * ) en France : un accompagnement en amont de la production au travers du fonds d'aide au jeu vidéo (à hauteur de 3 à 4 millions par an) par le biais du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et un soutien à la production via le crédit d'impôt spécifique en faveur de la production de jeux vidéo (pour une dépense fiscale de 11,6 millions d'euros en 2010).
En outre, les entreprises concernées bénéficient du crédit d'impôt recherche , très attractif, surtout depuis 2008, qui permet d'entretenir la compétitivité des entreprises françaises du secteur sur le marché mondial.
Enfin, elles ont pu profiter de la création du statut des Jeunes entreprises innovantes (JEI) par l'article 131 de la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004, même si votre commission regrette de n'avoir pu obtenir la suppression de l'article 78 de la loi de finances pour 2011 qui tend à limiter l'intérêt de ce dispositif.
Elle forme le voeu que les récents efforts, importants, de notre pays en matière de soutien à la recherche privée et d'aides spécifiques au secteur du jeu vidéo permettront de combler son retard et de créer un environnement favorable à son développement .
Car on peut regretter le fait qu'après s'être hissée au 5 e rang mondial des jeux vidéo, il y a 3 ans, la France occupe désormais la 7 e place.
2. L'Ontario : l'objectif d'être au premier rang pour le développement de l'économie numérique au Canada
a) Une priorité donnée à l'innovation
L'Ontario, notamment avec Toronto et Waterloo, est aussi emblématique de la forte politique volontariste en faveur de l'économie numérique.
En effet, en 2008, cette province a lancé un ambitieux programme d'innovation de 1,9 milliard d'euros sur 8 ans, pour la période 2008-2016, destiné à faire de l'innovation un moteur économique de l'économie ontarienne.
Dans ce cadre, en novembre 2009, un investissement de 17 millions d'euros a été annoncé en faveur du « Carrefour Communitech ». Il s'agit d'un centre destiné à soutenir le secteur des médias numériques émergents, tant au niveau national qu'international. Son périmètre d'action dépasse celui du secteur du divertissement pour se concentrer sur les entreprises créatrices de composantes matérielles et logicielles pour les industries, notamment la fabrication de pointe, les soins de santé et les finances.
La province mise sur ses atouts (milieu créatif, culture diversifiée, main-d'oeuvre qualifiée, système d'éducation et milieu de la recherche réputés) ainsi que sur d'importants incitatifs fiscaux pour se positionner comme un des grands secteurs des TIC en Amérique du Nord et comme le premier centre en TIC au Canada, face à la sérieuse concurrence du Québec et, dans une moindre mesure, de la Colombie Britannique.
b) Numéro un du secteur ludique et créatif au Canada
L'Ontario compte actuellement le troisième plus grand secteur ludique et créatif en Amérique du Nord, derrière la Californie et New York.
L'industrie des médias numériques de la province génère plus de 749,2 millions d'euros chaque année . De grands centres de technologie de pointe se trouvent dans le Grand Toronto et à Ottawa. Toronto est le plus grand centre d'activités au Canada pour les communications, la culture et les médias.
Ainsi, Ubisoft s'y est aussi implantée. Elle a bénéficié d'une aide du gouvernement ontarien de 196,8 millions d'euros sur 10 ans pour la création de 800 emplois .
Par ailleurs, c'est en Ontario, à Waterloo, qu'est basée l'entreprise emblématique des TIC au Canada, Research in Motion (RIM) , le créateur - en 1999 - et fabricant canadien du BlackBerry.
3. La Colombie britannique : un acteur croissant du secteur des jeux vidéo
La Colombie britannique, elle aussi, mais dans un moindre mesure, devient un acteur croissant du secteur des jeux vidéo.
Ainsi, depuis 2009, Ubisoft est également installée à Vancouver, avec un studio de développement de jeux vidéo.
4. Des facteurs d'attractivité communs bien identifiés
Pour M. Henri Verdier, président de Cap Digital, pôle de compétitivité des contenus numériques, auditionné par notre commission le 24 mars 2010 : « le succès ne repose pas sur une tradition ou une capacité particulière d'innovation, mais résulte plutôt d'une forme de dumping permettant d'attirer des entreprises et des chercheurs étrangers, notamment au Québec , dont la politique dans ce domaine est très active. On compte ainsi 116 000 emplois et 12 000 chercheurs dans le domaine des technologies de l'information et de la communication. De plus, la cité du multimédia à Montréal a bénéficié d'une localisation en centre ville : le Canada a ainsi attiré 7 000 étrangers dans le secteur des jeux vidéo ».
Par comparaison, relevons que cette industrie représente 5 000 emplois en France , avec une grande entreprise comme Ubisoft, mais également de nombreuses petites et moyennes entreprises de 10 à 15 salariés réparties sur l'ensemble du territoire. M. Nicolas Gaume, président du syndicat national du jeu vidéo (SNJV), auditionné par votre commission le 31 mars 2010, estime qu' en l'espace de 10 ans, le secteur a perdu la moitié de ses salariés, notamment du fait de leur expatriation vers le Canada .
a) La création d'écosystèmes performants en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'industrie
La France dispose d'atouts dans le design et la création ainsi que dans le domaine des infrastructures (éducation, très haut débit, qualité des centres villes, etc.). On peut ainsi notamment se réjouir de la qualité de la formation dispensée en France en matière de jeu vidéo et de multimédia interactif, incarnée par plusieurs écoles réputées dont celle des Gobelins, ce qui permet au secteur de disposer d'une main-d'oeuvre très polyvalente et excellemment formée. Mais, comme l'a souligné M. Henri Verdier, il souffre notamment :
- d'un fonctionnement en « silos » qu'illustre, par exemple, le fossé croissant entre les PME et les grandes entreprises ; le Canada a, de façon plus précoce, développé des écosystèmes et grappes industrielles très efficaces et attractifs ;
- d'un système éducatif qui n'encourage pas suffisamment la confiance en soi, l'échec - peu admis dans notre pays - pouvant survenir à tout moment à la suite d'une erreur d'aiguillage sans possibilité de seconde chance, contrairement à ce que l'on observe au Canada comme aux États-Unis.
En outre, le Canada a su, plus tôt que notre pays, créer des écosystèmes permettant de rapprocher établissements d'enseignement supérieur, organismes publics de recherche et entreprises.
Votre délégation se réjouit que la France prenne désormais les moyens de rattraper son retard dans ce domaine.
Il faut notamment souligner la puissance de l'écosystème francilien (avec 180 000 entreprises, 400 000 emplois et 8 % des chercheurs) et l'excellent niveau mondial des aides françaises à la création et à l'innovation, dont on peut en revanche regretter la lenteur dans l'attribution et la complexité.
b) De puissants instruments d'incitation fiscale
Les avantages fiscaux évoqués par les interlocuteurs rencontrés par votre délégation sont notamment les suivants :
- un crédit d'impôt recherche et développement (R&D) au niveau fédéral et provincial. Ce crédit d'impôt, qui peut être remboursable, a pu atteindre jusqu'à 75 % des frais de personnel pour ce qui concerne les petites et moyennes entreprises qui bénéficient d'un régime plus favorable que les grandes. Les modalités du crédit d'impôt R&D varient selon les provinces : son taux peut varier et il peut être remboursable ou non remboursable ;
- un crédit d'impôt multimédia , qui comprend une prime supplémentaire en faveur de la francophonie.
Relevons que le Canada n'a pas hésité à créer un crédit d'impôt spécifiquement pour attirer Ubisoft sur son territoire, en 1997, aide ensuite généralisée à l'ensemble du secteur du jeu vidéo. Elle prenait alors en compte jusqu'à 50 % de la masse salariale directement destinée à la production de jeux au départ, niveau fixé à 37,5 % depuis sept ans, ce qui reste relativement attractif, même si d'autres pays ont développé des incitations fiscales depuis lors ;
- divers outils de financement , tels que des prêts de sociétés publiques d'investissement accordant des avances sur le crédit d'impôt.
Les freins à la croissance du secteur ne tiennent donc pas à des problèmes de financement d'investissement mais à une main d'oeuvre insuffisante , en particulier pour ce qui concerne la création et les sciences fondamentales. Il a été signalé à la délégation une véritable « guerre pour les talents de haut niveau ».
Le Québec lance une nouvelle initiative en faveur des diplômés étrangers, qui pourraient bénéficier d'un permis de travail.
Tout en saluant les nouvelles aides créées en France, les interlocuteurs rencontrés ont jugé leur attribution plus compliquée : les subventions, au Québec, sont allouées en fonction des métiers et des emplois, le critère français étant plutôt lié aux projets, alors que ceux-ci sont par nature évolutifs.
c) Faible coût de la vie et souplesse du marché du travail
Montréal présente, par ailleurs, un avantage lié à la faiblesse du coût de la vie, et donc du coût de la main d'oeuvre.
Enfin, les dirigeants de « Techno Montréal » soulignent aussi un atout essentiel : la plus grande souplesse du marché du travail canadien.
5. Un souhait de partenariat avec la France
Les représentants de « Techno Montréal » ont indiqué à votre délégation vouloir développer des échanges avec des entreprises et des universités françaises du secteur des TIC, en particulier travailler en réseau . Des contacts ont d'ailleurs été pris avec les régions Île-de-France et Rhône Alpes.
* 11 Le Grand Montréal accueille environ 50 % de la population du Québec.
* 12 Ce dernier secteur faisant l'objet d'un développement spécifique ci-après.
* 13 Auditionné par votre commission, le 31 mars 2010.
* 14 La France à elle seule compte 22 millions d'adeptes de ce loisir, dont 40 % de femmes, la moyenne d'âge des joueurs étant de 33 ans. En outre, ce secteur est mondial et structurellement exportateur, à la différence des autres industries culturelles. En effet, les jeux français sont exportés pour moitié vers les États-Unis et pour un tiers vers le continent asiatique.
* 15 Voir en annexe au présent rapport.