D. L'AMÉLIORATION DE LA PRISE EN COMPTE DU CONGÉ DE MATERNITÉ POUR LES DROITS À LA RETRAITE (art. 30)
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Le projet de loi initial
Dans le droit en vigueur, la période d'interruption d'activité liée à la maternité, est considérée par le régime général comme une période d'assurance : conformément aux articles L.351-3 et R.351-12 du code de la sécurité sociale, les assurées bénéficient de la validation forfaitaire d'un trimestre au titre de leur accouchement.
Cette période ne donne pas lieu à versement de salaires mais à des « indemnités journalières de maternité ». Or les indemnités journalières versées pendant le congé de maternité ne sont pas intégrées à la rémunération prise en compte pour le calcul de la retraite, dans la mesure où elles sont exonérées de cotisations - elles sont néanmoins soumises à la CSG au taux de 6,2 % et à la CRDS au taux de 0,5 %. Le montant maximal de l'indemnité journalière de maternité est de 77,24 euros au 1 er janvier 2010. L'absence de report au compte de ces indemnités réduit le salaire perçu par les femmes au cours de l'année de l'accouchement et peut donc conduire in fine à minorer le montant de leur pension calculé sur la base d'un salaire annuel moyen.
Pour mettre fin à ce désavantage, l'article 30 du présent projet prévoit que les indemnités journalières versées à compter du 1 er janvier 2012 seront désormais assimilées à des salaires pour la constitution des droits à retraite.
E. LA SANCTION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES NE RESPECTANT PAS LEURS OBLIGATIONS EN MATIÈRE D'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE (art. 31)
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Le projet de loi initial
L'article 31 institue une sanction pour les entreprises qui manqueraient à leur obligation d'information en matière d'égalité professionnelle, et contraint celles de plus de trois cents salariés à publier leurs données sur l'égalité professionnelle.
L'étude d'impact indique à propos de l'article 31 du projet de loi initial que l'amélioration de la situation des femmes au regard des droits à retraite implique une réduction des inégalités constatées pendant l'activité tant en matière de carrière qu'en matière de salaire. Or l'obligation légale d'élaborer un rapport de situation comparée , créé par la loi n°83-635 du 13 juillet 1983 et perfectionné par la loi n°2001-397 du 9 mai 2001, qui constitue un préalable indispensable à cette réduction des écarts, n'est que peu respectée. Les opérations ciblées de contrôle menées sur la question de l'égalité femmes-hommes l'ont confirmé : aujourd'hui, le rapport de situation comparée n'est établi que dans la moitié des entreprises de plus de 300 salariés 2 ( * ) . Quant aux entreprises de 50 à moins de 300 salariés, il est difficile de contrôler leur respect de l'obligation d'information en matière d'égalité professionnelle. L'inspecteur du travail est, en effet, destinataire du rapport de situation comparée et de l'avis motivé du comité d'entreprise issu de sa consultation. Dans les entreprises de moins de 300 salariés, le rapport sur la situation économique de l'entreprise, accompagné de l'avis du comité d'entreprise, est tenu à la disposition de l'inspecteur du travail.
Il convient de rappeler que ce rapport, soumis pour avis aux institutions représentatives du personnel, rassemble les indicateurs chiffrés et qualitatifs permettant d'apprécier la situation respective des femmes et des hommes en matière salariale, de temps de travail, de formation, de promotions et d'articulation des temps de vie. La confection de ce document est un pré-requis fondamental à la négociation obligatoire sur l'égalité entre femmes et les hommes visant à programmer des mesures de suppression des écarts de rémunération en application de la loi du 23 mars 2006.
Compte tenu des observations de terrain, l'article 31 prévoit une pénalité financière pour les employeurs de plus de 300 salariés qui ne respecteraient pas l'obligation de transmettre annuellement au comité d'entreprise un rapport de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des hommes et des femmes dans l'entreprise. L'étude d'impact précise que cette sanction financière est conçue comme « une menace forte pour les entreprises et revêt un caractère avant tout incitatif, l'objectif n'étant pas de récolter des fonds . »
En l'état actuel du droit, la sanction encourue est celle qui s'applique au délit d'entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel : trop lourde tant au niveau de la procédure que des peines applicables - un an d'emprisonnement et une peine de 3 750 euros d'amende - elle n'est dans les faits jamais appliquée pour défaut de production d'un rapport de situation comparée. Le projet de loi fait l'hypothèse qu'une sanction de type administratif a plus de chance d'être appliquée et donc de rendre effective l'obligation pour l'entreprise de produire un rapport de situation comparée.
L'article 31 crée également l'obligation, pour les entreprises de plus de 300 salariés, de publier les indicateurs et objectifs présents dans le rapport de situation comparée avant le 31 décembre 2011, date à laquelle l'employeur sera tenu de les communiquer à toute personne qui en formulera la demande.
La commission des affaires sociales et la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale ont considéré comme tout à fait insuffisant le dispositif prévu par l'article 31 du projet de loi initial.
D'une part, il exclut la majorité des salariées, puisqu'il ne concerne que les quelques 6 000 entreprises de plus de 300 salariés recensées dans notre pays qui en compte au total 1,45 million. L'article n'apporte donc pas de réponse suffisante au retard pris par les entreprises moyennes en matière de connaissance de la réalité des écarts de situation professionnelle entre les femmes et les hommes. Or on compte 33 200 entreprises employant entre 50 et 300 salariés.
D'autre part, l'obligation de fournir annuellement des informations relatives à l'égalité professionnelle au comité d'entreprise, qui existe depuis 1983 pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés, ne permet pas à elle seule de déboucher sur des mesures concrètes en faveur de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes au sein de l'entreprise.
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Le texte adopté par
l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a entièrement réécrit l'article 31 en adoptant le texte issu des travaux de sa commission des affaires sociales. Celle-ci s'est prononcée à l'unanimité en faveur d'un amendement qui prévoit, dans la lignée de la loi de 2006, la création d'une pénalité en cas d'absence d'accord d'entreprise ou de plan d'action relatif à l'égalité professionnelle, pénalité qui pourrait servir à financer des actions en faveur de l'égalité. Sur le modèle des dispositifs relatifs à l'emploi des « seniors », cette contribution est fixée à 1 % de la masse salariale brute. Pour mémoire, l'article 5 de la loi du 23 mars 2006 prévoyait, si nécessaire, le dépôt d'un projet de loi « instituant une contribution assise sur les salaires, et applicable aux entreprises ne satisfaisant pas à l'obligation d'engagement des négociations » sur la réduction des écarts salariaux entre hommes et femmes avant le 31 décembre 2010.
Par ailleurs, il maintient l'obligation de publier des indicateurs relatifs à l'égalité professionnelle pour les entreprises de plus de trois cents salariés, qui sont sensibles à leur image extérieure.
Comme l'a résumé en séance publique Mme Marie-Jo Zimmermann, la nouvelle rédaction de cet article « muscle » le dispositif, et met à la charge des entreprises une obligation de résultat et non plus seulement une obligation de moyens en substituant à la sanction du défaut de rapport de situation comparée, une sanction applicable aux entreprises non couvertes par un accord sur l'égalité professionnelle ou, à défaut d'accord, par un plan unilatéral de réduction des inégalités.
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La position de votre
délégation
(1) La nécessité d'une très forte incitation
Votre rapporteure note tout d'abord que les représentants de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) entendus par la commission des affaires sociales du Sénat le 14 septembre dernier ont manifesté une certaine réserve à l'égard des sanctions prévues par cet article 31.
Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales à la CGPME, a présenté l'argumentation suivante « L'égalité salariale entre hommes et femmes, qui a déjà fait l'objet d'accords signés par les entreprises et les branches, nécessite une réflexion sociétale. Pourquoi les femmes, à salaire égal aux hommes en début de carrière, rencontrent-elles tôt ou tard le fameux plafond de verre ? C'est une question d'organisation. J'évite, par exemple, d'organiser des réunions à dix-huit heures à la confédération, où les femmes sont nombreuses. Mais, en définitive, n'est-ce pas aussi aux femmes de se battre pour obtenir des augmentations de salaire, de mieux se former et de postuler à des postes de responsabilité ? Trop souvent, elles n'osent pas. Bref, sanctionner les entreprises à raison de 1 % de la masse salariale n'apportera aucun progrès. »
M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales à la CGPME a, pour sa part, attiré l'attention sur « l'effet anti-emploi du seuil de cinquante salariés. Pas moins de trente-quatre obligations sont liées à ce seuil, ce qui dissuade de nombreux entrepreneurs d'embaucher... Les mesures prévues par ce projet de loi vont encore renforcer cette situation. »
Sur ce point précis, la présidente de la délégation et votre rapporteure ont pu conjointement recueillir auprès du ministre du travail de la solidarité et de la fonction publique la certitude que le Gouvernement :
- considérait bien, comme un échec le bilan de l'application par les entreprises de leurs obligations légales en matière d'égalité professionnelle ;
- et estimait nécessaire, à partir de cette constatation, d' exercer une pression sur les entreprises pour qu'elles s'y conforment en instituant une sanction particulièrement forte de 1 % de leur masse salariale , tout en observant que les entreprises sont aujourd'hui soucieuses de leur image environnementale et sociale.
Remédier à la situation actuelle est donc devenu une priorité ; par ailleurs, on peut faire observer qu'un des objectifs qui peut être assigné à une prochaine loi sur l'égalité professionnelle est de simplifier le code du travail.
(2) La garantie de l'élaboration d'une grande loi sur l'égalité professionnelle
Votre rapporteure, par ailleurs membre de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, souligne que cet article 31 interfère, en réalité, avec le processus législatif spécifique à l'égalité professionnelle.
Ainsi, depuis 1983, les entreprises de plus de cinquante salariés doivent produire un rapport sur la situation comparée de leurs employés hommes et femmes en matière de rémunération, conditions de travail, avancement et formation. S'y sont ajoutées, en 2001, une obligation de négociation sur l'égalité professionnelle et, en 2006, une obligation de négocier avant le 31 décembre 2010 pour réduire les écarts salariaux, qui s'appliquent aux branches et aux entreprises. Une pénalité était prévue pour le cas où les résultats à mi-parcours ne seraient pas concluants. Or, à quelques mois de l'échéance, le bilan est plus que décevant : 35 accords sur l'égalité salariale ont été signés en 2009, 6 % des accords de branche abordent le thème de l'égalité en moyenne depuis 2007, et 69 branches, soit 43 % du total, n'avaient pas entamé de négociations sur ce sujet en 2008.
Le rappel du déroulement de cette séquence législative spécifique permet d'expliquer pourquoi des réserves se sont manifestées, à propos de cet article 31, fondées sur la crainte que l'adoption d'un dispositif insuffisamment énergique ne vienne court-circuiter un processus qui doit se prolonger par l'examen et l'adoption d'une nouvelle grande loi exclusivement consacrée à au chantier de l'égalité professionnelle.
Le ministre du travail a cependant confirmé la poursuite des travaux d'élaboration d'un nouveau chantier législatif sur l'égalité professionnelle en précisant à la présidente de la délégation et à votre rapporteure que l'Observatoire de la parité y jouerait un rôle majeur d'initiative et de proposition.
Lors de son audition, Mme Brigitte Grésy, membre de l'Inspection générale des affaires sociales et auteure du Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes publié en juillet 2009, a signalé l'importance de l'élaboration d'un nouveau texte qui pourrait permettre de simplifier le code du travail en unifiant les deux filières de négociation sur l'égalité professionnelle qui se sont additionnées au fil de l'adoption successive des lois.
Plus précisément, le rapport précité propose, « compte tenu de la complexité actuelle de la négociation sur l'égalité professionnelle qui juxtapose une négociation spécifique annuelle, dont la périodicité est portée à trois ans en cas de signature d'accord, et une négociation sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes intégrée dans la négociation annuelle sur les salaires et la durée du travail », de fusionner ces deux dispositifs.
(3) Une condition essentielle : l'élaboration d'un décret suffisamment précis pour ne pas vider l'article 31 de sa substance
Le quatrième alinéa de cet article 31 dispose que « Le montant de la pénalité prévue au premier alinéa est fixé au maximum à 1 % des rémunérations et gains au sens du premier alinéa de l'article L.242-1 du code de la sécurité sociale versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours des périodes au titre desquelles l'entreprise n'est pas couverte par l'accord ou le plan d'action mentionné au même premier alinéa. Le montant est fixé par l'autorité administrative, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État, en fonction des efforts constatés dans l'entreprise en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que des motifs de sa défaillance quant au respect des obligations fixées au premier alinéa. »
Le montant de 1 % constitue donc un maximum , et l'inspection du travail en déterminera le montant dans des conditions fixées par voie réglementaire « en fonction des efforts constatés de l'entreprise ».
La rapporteure note que le recours au décret en Conseil d'État , qui se situe au sommet de la pyramide des normes réglementaires, est prévu par le texte adopté par l'Assemblée nationale.
Cependant, toute l'efficacité du dispositif repose sur la définition de critères précis pour permettre de mesurer la réalité et l'efficacité des « efforts » de l'entreprise en matière d'égalité professionnelle.
La démarche la plus aboutie, dans ce domaine, figure dans le rapport de Mme Gresy qui a précisé, lors de son audition, la méthodologie permettant de « donner du contenu aux accords » en ayant recours à dix leviers du changement. Ces leviers qui devraient être définis par décret, ont vocation à figurer obligatoirement dans l'accord sur l'égalité ou, à défaut, dans un plan unilatéral proposé par l'employeur, si aucun accord n'est intervenu ou en l'absence de délégué syndical. Ils doivent être assortis d'indicateurs et d'objectifs chiffrés de progression sur trois ans et être mobilisés en fonction de la taille de l'entreprise (2 pour les moins de 300 salariés, 4 de 300 à 1 000, 6 au-dessus). Concrètement, les efforts de l'entreprise ne peuvent être mesurés que sur la base d'indicateurs chiffres sur l'évolution par sexe des taux d'embauche, de promotion professionnelle, d'accès à la formation qualifiante...
Au final, votre délégation souligne que l'unanimité recueillie lors de l'adoption du dispositif à l'Assemblée nationale ne peut être que le signe de la volonté du législateur d'inciter les entreprises trop peu respectueuses de la réglementation relative à l'égalité des chances à se mobiliser dans ce domaine. Rejoignant la conclusion des délibérations intervenues sur ce thème fondamental à l'Observatoire de la parité, la délégation exhorte le Gouvernement à prendre soin lors de l'élaboration du décret d'application de ce texte de définir des critères suffisamment précis pour ne pas vider de sa substance l'obligation légale.
* 2 Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes établi par Mme Brigitte Grésy, membre de l'Inspection générale des affaires sociales, juillet 2009.