II. UNE NOUVELLE OPPORTUNITÉ POUR RENFORCER LA COOPÉRATION ET LE PARTENARIAT ENTRE LA FRANCE ET LA GRANDE-BRETAGNE

Douze ans après Saint-Malo, cette période d'intense réflexion constitue une nouvelle opportunité pour renforcer la coopération franco-britannique en matière de défense. Les orientations du Livre vert comme de la réforme de l'acquisition ouvrent des perspectives de renforcement du partenariat entre les deux pays. Toutefois, si les raisons objectives de coopérer existent, les différences d'approches « philosophique » et pratique entre les deux pays constituent également des freins non négligeables.

A. UNE FORTE LOGIQUE DE COOPÉRATION

1. Des responsabilités, des ambitions, des engagements internationaux, budgétaires et militaires de même niveau

La France et le Royaume-Uni, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, entendent tous deux jouer un rôle mondial appuyé par leur puissance économique, leur réseau diplomatique et leurs forces armées.

Comme le montre la déclaration conjointe sur la sécurité et la défense adoptée à l'issue du dernier sommet franco-britannique du 6 juillet 2009, les deux pays ont une très grande concordance de vues sur tous les dossiers majeurs (Afghanistan, lutte contre le terrorisme, soutien au Pakistan, lutte contre la piraterie, Kosovo, Proche-Orient, Iran, RDC, Géorgie....). La même concordance de vues existe s'agissant de la réforme de l'OTAN comme de celle de l'ONU, en particulier du Conseil de sécurité. Les deux pays réaffirment leurs engagements sur les principes de l'OSCE et partagent les mêmes analyses sur la mise en place du SEAE. 3 ( * )

Dans le domaine nucléaire, les deux puissances partagent les mêmes analyses sur le rôle de la dissuasion et ont travaillé étroitement sur la préparation de la conférence de New York d'examen du Traité de non-prolifération (TNP) qui a concrétisé la recherche commune de progrès importants sur les trois piliers que sont l'utilisation pacifique de l'atome, le désarmement et la non-prolifération. L'envoi tardif des instructions de la délégation britannique à la conférence d'examen tient à la mise en place du nouveau gouvernement mais ne signifie pas que les mêmes analyses n'aient pas été partagées.

La participation pleine et entière de la France à l'OTAN a fait tomber un certain nombre de barrières et de préventions qui étaient prêtées à notre pays. La France, participant pleinement, n'est plus accusée d'avoir un « agenda caché ». Elle a toutefois clairement affiché son objectif de développement parallèle et de complémentarité entre l'Union européenne et l'Alliance atlantique. S'il fait tomber des soupçons, le retour de la France dans l'OTAN et le rapprochement avec les États-Unis font perdre au Royaume-Uni une partie de son statut d'interlocuteur privilégié. Sa politique pourrait évoluer dans la mesure où l'administration Obama affiche clairement son intérêt pour la complémentarité entre les deux organisations.

À l'ONU, les convergences d'intérêt entre les deux pays sont manifestes. Ils sont à l'origine d'environ 80 % des textes adoptés par le Conseil de sécurité. Ils partagent un intérêt commun : celui de préserver leur statut de membre permanent tant vis-à-vis des autres membres que vis-à-vis de l'Union européenne.

Ces convergences politiques font a priori des deux pays des partenaires naturels.

De plus, la France et le Royaume-Uni fournissent un effort de défense comparable en termes de pourcentage de PIB consacré à la défense.

2008

FRANCE

ROYAUME UNI

AED à 26

Budget d'investissement de défense (dont R&D, dont R&T)

9,5 milliards d'euros

10,9 milliards d'euros

41,857 milliards d'euros

Budget de défense réalisé 2008

45,8 milliards d'euros

42 milliards d'euros

200 milliards d'euros

R&T de défense

835 millions d'euros

649 millions d'euros

2,479 milliards d'euros

Source AED

La conjugaison de leurs efforts représente 40,69 % de l'effort européen en matière de budget de défense et 68 % en matière de R&D, 44,23 % des dépenses en capital et 25 % des effectifs de l'Europe à 27.

Les deux pays entretiennent chacun environ 12 à 13 000 hommes en opérations extérieures, et ce, pour la France, hors des forces pré-positionnées et des forces de souveraineté. Dans le cadre des opérations extérieures, la France et le Royaume-Uni ont arrêté, lors du dernier sommet franco-britannique de juillet 2009, des procédures de « soutien mutuel outre-mer », permettant à l'un des pays d'utiliser des installations dans les bases de son partenaire, si nécessaire.

Source : site du ministère de la défense

2. Une coopération ancienne et une gouvernance efficace

Le Sommet de Saint-Malo de décembre 1998 a constitué un jalon majeur en affirmant l'engagement partagé de la France et du Royaume-Uni à travailler ensemble pour renforcer la capacité européenne de défense, pour contribuer à la paix et à la sécurité internationales et pour répondre aux menaces en termes de sécurité auxquelles les deux nations font face ensemble. C'est dans cet esprit du sommet de 1998 que le groupe de haut niveau (High Level Working Group, HLWG) a été institué, à l'occasion du sommet bilatéral de juin 2006. Le communiqué stipulait :

« ... nous souhaitons que la coopération entre nos deux pays nous aident à maintenir sur nos territoires les technologies essentielles pour notre souveraineté ... nous décidons d'instituer un groupe de haut niveau, dont les membres sont issus de l'administration et de l'industrie des deux pays, pour examiner les moyens de développer et d'améliorer la coopération existante en matière de recherche et de défense ».

La relation bilatérale franco-britannique a évolué suivant quatre grandes périodes :

- 1998-2001 : sommet de Saint-Malo et dispositions post 11 septembre

Le Sommet de St Malo, qui a réuni le Président Chirac et le Premier ministre Blair est souvent décrit comme le point de départ de la politique européenne de sécurité et de défense. Il a donné lieu à une déclaration commune appelant à l'établissement de moyens militaires « autonomes » et « crédibles » pour l'Union Européenne. Les attentats du 11 septembre ont entraîné la signature d'accords entre la France et le Royaume-Uni délimitant les zones, la classification et les règles d'engagement à appliquer en cas d'intervention sur un aéronef civil.

- 2001-2003 : pré-Irak

Durant cette phase, les discussions entre Londres et Washington se sont intensifiées sur la préparation d'un engagement en Irak. La décision de Paris de ne pas participer a entraîné des difficultés dans la coopération bilatérale et un refroidissement dans les relations.

- 2003-2007 : Irak et Afghanistan

Cette période a vu la poursuite d'un engagement britannique important en Irak et la montée en puissance de celui-ci en Afghanistan. La France participe, dans un cadre OTAN, aux opérations en Afghanistan, ce qui contribue à une amélioration des relations.

- 2007-2010 : réchauffement des relations

L'arrivée simultanée au pouvoir du Président Sarkozy et du Premier ministre Brown, la visite d'Etat à Londres du Président de la République, l'étroite association des Britanniques dans la PFUE et la pleine participation de la France dans l'OTAN ont contribué à lever les derniers obstacles et à rétablir une relation de confiance entre les deux pays. La récente visite du Président de la République au Royaume-Uni, les 12 et 13 mars 2010, a pleinement confirmé ces orientations tant auprès du Gouvernement que du leader de l'opposition, M. Cameron.

Le HLWG a pleinement joué son rôle de catalyseur de la coopération franco-britannique comme le montre l'avancement des actions issues des sommets franco-britanniques de 2008 et 2009. En novembre 2009, le secrétaire d'Etat aux équipements de Défense (Quentin Davies) et le DGA ont signé le mandat du High Level Working Group, confirmant 4 ( * ) le HLWG comme organe central du développement de la coopération en matière d'armement. Le mandat incite à développer la coopération au sein de groupes étatiques à tous les niveaux. Il précise que le HLWG rend compte aux sommets franco-britanniques et doit être informé des impacts industriels identifiés par les groupes capacitaires, R&T...

3. Les relations entre les trois armées sont excellentes

La coopération bilatérale Air s'inscrit dans le cadre de la lettre d'intention (LoI) signée par les ministres de la défense français et britannique en mars 2007, qui formalise les relations entre l'armée de l'air française et la « Royal Air Force » (RAF). Elle souligne le besoin de coopération entre les deux armées de l'air qui, par leurs missions, leurs moyens, leurs activités et leurs structures, sont très proches. Afin de concrétiser cette LoI, une directive d'objectifs de coopération est signée annuellement par les chefs d'état-major. La plus récente a été signée le 22 février 2010. Ce document définit le processus de coopération, dresse la liste des autorités militaires françaises et britanniques impliquées, affecte des objectifs ainsi que des actions à conduire aux officiers généraux désignés. Dix domaines de coopération sont identifiés dans la directive d'objectifs actuelle dont six seront mis en exergue en 2010 : opérations, plans, transformation, préparation opérationnelle, logistique et ressources humaines.

La coopération navale franco-britannique s'appuie depuis 1996 sur une structure de 12 groupes de travail, également dans le cadre d'une Letter of intent (LoI signée en 1996 et modifiée en 2003). Les contacts sont très réguliers 5 ( * ) , notamment dans le domaine des opérations. Les CEMM respectifs ont fixé comme objectif la réécriture de la LoI pour 2011, avec le souci d'adapter la relation aux conditions actuelles après 15 années d'existence de cette structure. La Royal Navy connaît une situation difficile aujourd'hui, compte tenu du poids des opérations menées en Afghanistan et en Irak et des contraintes budgétaires, que ce soit dans le domaine du maintien de compétences ou le développement capacitaire. Les capacités de projection de puissance du Royaume-Uni sont ainsi fragilisées. Cela a conduit à accroître les échanges respectifs entre états-majors. Un axe d'effort souhaité est la préparation des Jeux Olympiques de 2012 à Londres . Dans le domaine de la sécurité maritime, il est nécessaire de s'y préparer dès aujourd'hui et d'inciter nos partenaires britanniques à y intensifier leur collaboration.

Compte tenu des nombreuses similitudes, en termes de formats, d'ambitions et de préoccupations, les relations entretenues entre les armées de Terre française et britannique sont étroites, pragmatiques et résolument tournées vers l'opérationnel . La volonté partagée est que les échanges débouchent sur des actions concrètes. Le futur exercice commun Flandres, qui se déroulera en 2011, est ainsi un objectif majeur, qui permettra d'aller vers une plus grande interopérabilité entre nos forces. Cette coopération est dorénavant suivie par un comité de pilotage, structuré en quatre groupes de travail permanents. Au niveau stratégique , nous n'avons pas de projet emblématique d'armement 6 ( * ) . De plus, bien que nos nations soient toutes les deux présentes sur le théâtre afghan, nous ne sommes pas dans la même zone , ce qui ne facilite ni les échanges ni la coopération opérationnelle.

Ainsi, en complément du sommet annuel franco-britannique, les deux pays échangent surtout au sein des organisations internationales que sont l'OTAN et l'UE. Les positions françaises et britanniques convergent sur la nécessité de lier la rédaction du nouveau concept stratégique à une réforme des structures civiles et militaires de l'OTAN . Cependant, l'approche britannique lie exclusivement cette réforme à la relation entre l'UE et l'OTAN. L'idée de doter les deux organisations de mécanismes et de structures communs de planification de défense et de conduite des opérations ne correspond pas à notre perception du positionnement des deux organisations, qui repose plutôt sur chacune des organisations de gestion des crises auxquelles nous participons.

La décision de Londres d'assurer le commandement de l'opération Atalanta, première opération maritime autonome de la PESD, ne doit cependant pas être interprétée comme le signe de l'évolution des Britanniques en matière d'Europe de la défense . En effet, Londres n'engage pratiquement pas de moyens et ses bâtiments participent à l'opération de lutte contre la piraterie pilotée par l'OTAN. Cette situation devrait évoluer puisqu'il est question qu'une frégate britannique participe à Atalanta.

Cela étant, comme l'indique le Livre vert, les initiatives prises dans le cadre de l'UE ont pour principale valeur de renforcer l'OTAN et la relations avec les Etats-Unis.

4. Deux industries de défense majeures 7 ( * )

Grâce à ses investissements, la France possède aujourd'hui une industrie importante et performante, au deuxième rang en Europe, juste derrière le Royaume-Uni. Le chiffre d'affaires « défense » est de l'ordre de 15 milliards d'euros, dont le tiers environ est réalisé à l'exportation, la France se plaçant au quatrième rang mondial des exportateurs.

Les prises de commandes à l'export sont en très nette progression pour la France, passant de 6,57 milliards d'euros en 2008 à 8,15 milliards en 2009 et à 10,5 milliards en 2010 (estimations). Cette bonne progression est de nature à réduire l'écart entre les deux pays puisque jusqu'à présent le Royaume Uni se caractérise par une excellente performance à l'export.

L'industrie de défense au Royaume-Uni génère un chiffre d'affaires « défense » de l'ordre de 20 milliards d'euros. Les points forts de l'industrie britannique se retrouvent dans les secteurs aéronautique et terrestre, des missiles, de l'électronique de défense et, dans une moindre mesure, de l'armement naval. Il est, en revanche, moins présent dans le secteur spatial, exception faite du domaine des télécommunications militaires.

On estime à environ 4 000 le nombre de PME impliquées dans les programmes d'armement, dont 1 500 technologiques. Quant aux plus grandes entreprises françaises de défense, leurs performances financières et leur rentabilité se situent dans la moyenne sur le plan mondial.

Le sommet franco-britannique du 6 juillet 2009 a souligné l'importance de cette coopération industrielle sans pour autant annoncer d'initiatives compte tenu des incertitudes liées à la crise économique et financière et aux décisions que le Royaume Uni sera amené à prendre dans le cadre de la revue de défense à venir.

Déclaration franco-britannique de défense et sécurité (Évian, 6 juillet 2009)

« La France et le Royaume-Uni sont les deux Etats d'Europe qui consacrent le plus d'investissements à la défense. Nous continuerons à élargir et approfondir notre coopération industrielle de défense, notamment dans le cadre de l'Agence européenne de défense et du Plan de développement des capacités de l'Union européenne.

...................................

Il est dans notre intérêt commun et conforme à notre intérêt stratégique de soutenir et de développer les capacités industrielles et technologiques de l'Europe. Les activités de recherche et de technologies (R&T) sont essentielles et la France et le Royaume-Uni jouent un rôle moteur en Europe en investissant dans ce domaine.

...................................

Nous réaffirmons notre soutien total au groupe de travail franco-britannique de haut niveau chargé des acquisitions en matière de défense. Ce groupe constitue l'instance appropriée pour proposer des projets communs et des solutions innovantes et pour favoriser le dialogue en vue de développer les capacités de défense. Il s'attache également à étudier selon quelles modalités nous pouvons faciliter les activités industrielles bilatérales, tant de part et d'autre de la Manche que, dans un cadre plus large, des entreprises actives, à la fois en France et au Royaume-Uni, en apportant davantage de souplesse et de coordination à nos systèmes nationaux de délivrance de licences d'exportation. »

Le marché mondial de l'armement, évalué à 300 milliards d'euros, est largement dominé par l'industrie américaine, qui détient à elle seule plus de 50 % de parts du marché.

L'activité industrielle de défense en Europe représente aujourd'hui un chiffre d'affaires total d'environ 55 milliards d'euros. Elle est concentrée, à 90 %, sur six pays : Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède.

Quatre groupes européens (BAE Systems, EADS, Finmeccanica, Thalès) figurent parmi les quinze premiers mondiaux, les onze autres étant américains. Ils ont atteint la taille, la surface financière, la compétitivité et les capacités leur permettant d'assumer la responsabilité de projets complexes.

Sur les dix premiers groupes européens, quatre sont français (Thalès, DCNS, Safran, Dassault Aviation), auxquels s'ajoute EADS, dont la composante française est importante.


* 3 Voir le texte de la déclaration conjointe sur la sécurité et la défense (sommet franco-britannique du 6 juillet 2009)

* 4 Voir la déclaration Défense et Sécurité du Sommet franco-britannique de juillet 2009

* 5 Les CEMM se sont rencontrés ainsi cinq fois en 2009 (cadre bilatéral ou multilatéral).

* 6 Les discussions bilatérales pour construire en commun un porte-avions ou un avion de chasse n'ont pas abouti. L'A 400M est réalisé en partenariat avec d'autres pays.

* 7 Les chiffres cités sont des estimations de la part défense des industries française et britannique. Outre le fait qu'un certain nombre d'industriels ne communiquent pas le détail de la composition du CA entre activités militaires et civiles, le périmètre retenu peut être sujet à caution, notamment pour des groupes ayant de fortes implantations aux Etats-Unis du fait de la comptabilisation de l'activité des filiales.

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