2. Les dépenses d'intervention : des choix douloureux en perspective
Les conclusions de la 2 ème conférence sur les déficits évoquent un « réexamen de toutes les dépenses d'intervention » dans l'objectif « de réaliser le même effort que sur les dépenses de fonctionnement, soit 10 % d'économies sur la période » . Le périmètre auquel s'applique cet engagement est moins ambigu que pour les dépenses de fonctionnement, dans la mesure où le montant de dépenses visé est précisément chiffré à « 66 milliards d'euros » , soit approximativement le montant des crédits de titre 6 des missions du budget général , hors remboursements et dégrèvements.
a) Des dépenses d'intervention très largement rigides
Les crédits d'intervention inscrits au projet de loi de finances pour 2010 totalisent un peu plus de 65 milliards d'euros, soit un quart des crédits de paiement du budget général et une augmentation de 5 % en valeur par rapport à la loi de finances initiale pour 2009 .
Selon le rapport sur la dépense publique et son évolution annexé au projet de loi de finances pour 2010, cet ensemble se décompose en :
1) 28 milliards d'euros (42,5 %) d'interventions de guichet financées par l'Etat , c'est-à-dire de dépenses dont le paiement intervient automatiquement dès lors que leurs bénéficiaires potentiels remplissent les critères d'éligibilité requis par la loi ou le règlement. Il s'agit principalement de minima sociaux, d'aides au logement, de prestations versées aux anciens combattants, de bourses scolaires et universitaires... ( cf. infra ) ;
2) 10 milliards d'euros (15 %) de dotations régies par des textes et souvent indexées , telles que les subventions d'équilibre à certains régimes spéciaux de retraite ou les transferts de l'Etat aux collectivités territoriales ;
3) et 28 milliards d'euros (42,5 %) d'interventions à caractère plus discrétionnaire , ce qui ne les empêche pas toujours d'obéir, de facto , à une logique d'abonnement rendant très malaisée leur remise en cause, à l'instar de certaines interventions agricoles.
Les ordres de grandeur qui précèdent montrent donc d'emblée que les dépenses d'intervention sont majoritairement des dépenses rigides et dynamiques. Aux deux tiers mises en oeuvre sur le fondement de dispositions législatives ou réglementaires, ces dépenses ne peuvent évoluer au seul gré des arbitrages annuels présidant à l'élaboration du projet de loi de finances, et leur remise en cause exigera de modifier les dispositions normatives qui les régissent.
Or, dans le contexte peu favorable esquissé par votre commission des finances, la stabilisation de l'ensemble des dépenses en volume implique, en 2011, une économie comprise entre 2,5 et 3,4 milliards d'euros. Cette économie par rapport à la tendance devra atteindre 6,3 à 9,3 milliards d'euros en 2013.
Dépenses d'intervention : quelles économies à réaliser par rapport à l'évolution spontanée ?
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances
Dans ces conditions, la maîtrise des dépenses d'intervention ne pourra probablement pas reposer sur les seules interventions discrétionnaires et la remise en cause de plusieurs prestations de guichet semble inévitable. Ces ajustements seront d'autant plus « douloureux » que, comme le montrent les développements qui suivent, les interventions de l'Etat sont très concentrées sur quelques dispositifs majeurs de notre politique sociale, éducative ou de l'emploi.
b) Des dispositifs très hétérogènes, tant par leur portée que par leur montant
Le tableau qui suit indique que plus de la moitié (51,5 %) des crédits de titre 6 sont concentrés sur les quatre missions « Solidarité, insertion et égalité des chances » (11,2 milliards d'euros et 17,2 % du total), « Travail et emploi » (8,9 milliards d'euros et 13,7 % du total), « Ville et logement » (7,7 milliards d'euros et 11,9 % du total) et « Régimes sociaux et de retraite » (5,7 milliards d'euros et 8,8 % du total).
Le classement des missions du budget général en fonction de l'importance des crédits d'intervention
(en euros)
Source : commission des finances, d'après le projet de loi de finances pour 2010
Une analyse plus détaillée montre, ensuite, que ces dépenses sont très concentrées sur quelques dispositifs ou séries de dispositifs coûteux pour le budget de l'Etat. En effet, un peu moins d'une trentaine de dispositifs présentent chacun un coût de plus de 500 millions d'euros, pour un coût global de près de 48 milliards d'euros sur plus de 65.
Les interventions ou types d'interventions les plus coûteux en 2009
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires.
Hors concours de l'Etat aux collectivités territoriales et subvention de l'Etat aux régimes spéciaux, la lecture du tableau qui précède indique que bon nombre des interventions les plus importantes en montant concernent :
1) la politique de l'emploi et de la formation : financement des contrats aidés (2,15 milliards d'euros) et des exonérations ciblées de charges (1,98 milliard d'euros), dotation de décentralisation de la formation professionnelle (1,69 milliard d'euros), politique de formation et de qualification en alternance (1,82 milliard d'euros), exonérations de charges patronales outre-mer (1,56 milliard d'euros), subvention à Pôle emploi (1,17 milliard d'euros) ;
2) le secteur sanitaire et social : politique du handicap (9 milliards d'euros), centres d'hébergement d'urgence (1,1 milliard d'euros), familles vulnérables (0,9 milliard d'euros), aide médicale d'Etat (0,59 milliard d'euros), gestion sociale de l'après-mines (0,77 milliard d'euros) ;
3) la politique du logement : aides personnelles au logement (5,5 milliards d'euros), financement des primes d'épargne logement (1,16 milliard d'euros), lutte contre l'habitat indigne (0,65 milliard d'euros) ;
4) le secteur de l'éducation : bourses de l'enseignement supérieur (1,56 milliard d'euros), rémunération des assistants d'éducation, des contrats aidés et des assistants placés auprès des élèves handicapés (1,42 milliard d'euros), autres bourses et fonds sociaux de l'éducation nationale et de l'enseignement technique agricole (0,69 milliard d'euros).
On observe également que les contributions acquittées par la France au titre de sa participation à diverses organisations internationales représentent un montant substantiel de 1,82 milliard d'euros.
Si elles d'atteignent pas de tels montants, d'autres interventions à caractère sectoriel n'en présentent pas moins des enjeux budgétaires non négligeables. Les dépenses d'intervention de la mission « Culture » atteignent ainsi 838 millions d'euros en 2009, dont la moitié sont dévolus au soutien à la création et notamment à la politique du spectacle vivant . Les interventions agricoles sont également significatives (2,3 milliards d'euros en 2009), et prennent la forme de nombreuses primes et indemnités versées aux exploitants (prime nationale supplémentaire à la vache allaitante pour 142 millions d'euros, indemnité viagère de départ pour 73 millions d'euros, dotation aux jeunes agriculteurs pour 53 millions d'euros, indemnité compensatrice de handicap naturel pour 244 millions d'euros...). L' aide juridictionnelle servie par le ministère de la justice atteint, quant à elle, 300 millions d'euros en 2009.
A l'extrême opposé de ces dispositifs de portée significative, figure enfin un nombre incalculable d'interventions de portée très limitée . Les trois épais tomes du « jaune » budgétaire retraçant l'effort financier de l'Etat en faveur des associations (soit près de 1.900 pages) en sont l'illustration la plus frappante. Le collationnement des données inscrites dans ces documents montre que c'est plus d'un milliard d'euros qui a été distribué sous forme de subventions aux associations en 2008, soit un montant en augmentation de près de 17 % par rapport à 2007 ( cf . tableau). Ces subventions sont particulièrement concentrés sur le ministère de la culture (148 millions d'euros en 2008), le ministère de l'économie , de l'industrie et de l'emploi (457 millions d'euros) et le ministère chargé de la jeunesse et des sports (152 millions d'euros). Elles atteignent la plupart du temps quelques milliers d'euros et le libellé parfois surréaliste des organisations attributaires conduisent à s'interroger sur le bien-fondé d'un tel saupoudrage .
Les subventions de l'Etat aux associations
(en euros)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
c) Les principes d'un réexamen exhaustif des crédits d'intervention
En dépit de l'extrême variété que recouvrent les interventions de l'Etat, plusieurs règles de conduite peuvent être dégagées pour procéder à leur rationalisation et à leur diminution. Les développements qui précèdent montrent bien que le Gouvernement et le Parlement devront surmonter un dilemme entre l'ampleur des économies à réaliser et la facilité avec laquelle elles pourront être réalisées . En effet, les gisements d'économies les plus importants sont aussi ceux qui reposent sur les mécanismes les plus rigides, alors que les dispositifs discrétionnaires facilement réversibles correspondent souvent à des montants plus limités.
Il ne faut pas se dissimuler, en tout état de cause, que l'atteinte des objectifs annoncés par le Gouvernement impliquera de remettre en cause l'ensemble des dispositifs , qu'ils soient discrétionnaires ou qu'ils répondent à une logique de guichet.
S'agissant des diverses prestations de guichet, à caractère notamment sanitaire ou social, un réexamen exhaustif doit être entrepris, selon les principes suivants :
1) commencer par les dispositifs les plus anciens , dont les raisons d'être peuvent avoir disparu ou s'être affaiblies ;
2) concentrer les aides sur les publics les plus vulnérables afin de limiter les effets d'aubaine ;
3) plafonner en valeur absolue les dispositifs et responsabiliser les bénéficiaires, par le recours à des mécanismes de type « ticket modérateur » ;
4) renforcer la lutte contre la fraude aux prestations.
S'agissant des dépenses discrétionnaires, la remise en cause de certains saupoudrages et la concentration des aides paraissent indispensables, associées à une contractualisation exigeante avec les bénéficiaires, afin de circonscrire les phénomènes d'« abonnement » aux aides et de les conditionner à des contreparties mesurables. L'élimination des dispositifs redondants doit également être recherchée.
Votre rapporteur général insiste enfin sur la nécessité d'une prise de conscience collective des objectifs à atteindre, et ce d'autant plus que chaque département ministériel aura spontanément tendance à exciper d'engagements à tenir, de lois de programmation à appliquer ou de priorités gouvernementales à mettre en oeuvre pour s'exonérer en tout ou partie de l'effort commun .
A cet égard, les auditions que votre commission a récemment tenues en vue de l'examen du projet de loi de règlement pour 2009 ont pu montrer que si nul membre du Gouvernement ne remettait en cause les objectifs d'économies fixés, les modalités concrètes de leur mise en oeuvre demeurait largement à préciser ( cf . encadré).
Baisser les dépenses d'intervention : l'analyse des ministres recueillie par votre commission des finances http://www.senat.fr/senfic/marini_philippe92035t.html Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice « Je l'ai dit ce matin au Premier ministre, si chacun doit consentir des efforts, certains avaient vu leurs crédits augmenter plus que d'autres depuis cinquante ans. En outre, l'évolution de la société a entraîné une augmentation de l'activité. Pour répondre précisément à votre question, nous n'avons pas de véritables crédits d'intervention : l'aide juridictionnelle et le fonctionnement de la pénitentiaire n'en sont pas au sens de Bercy. » Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche « Des engagements très forts, très attendus par la communauté des universitaires et des chercheurs, ont été pris par le Président de la République et le Premier ministre. Ils se sont traduits par le plan Campus, le plan investissements pour l'avenir, par un effort de remise à niveau. Ces efforts doivent être poursuivis. Pour autant, je ne m'exonère pas de la recherche commune d'économies. Ce n'est pas parce que l'on est sous-doté qu'il n'y a pas de gaspillage. Les parlementaires que vous êtes doivent cependant garder présente à l'esprit la comparaison européenne qui montre un sous-investissement de la France en faveur de ses étudiants. Il est vrai qu'aux États-Unis, les frais d'inscription et le privé comptent beaucoup, mais ce n'est pas le cas en Europe où le financement de l'enseignement supérieur est essentiellement d'origine publique. » Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi « Chaque étape de ce processus doit être bien utilisée. Les 800 millions d'euros de crédits pour l'apprentissage ont été bien employés en 2009. On peut étudier et rationaliser les aides consacrées à l'emploi salarié à domicile. Les heures supplémentaires représentent également une dépense très importante ainsi que les exonérations pour les associations agréées. Je préfère pour ma part adopter une approche ciblée. » http://www.senat.fr/senfic/arthuis_jean83011j.html Luc Chatel, ministre de l'Education nationale « Je vous rappelle tout d'abord la structure particulière de la mission « Enseignement scolaire », dont le montant s'élève à 59 milliards d'euros et qui est constitué à 94 % par des dépenses de personnel. Nous appliquons depuis 2007 la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, et nous continuerons à le faire. S'agissant des crédits d'intervention, j'ai reçu il y a quelques jours la lettre de cadrage du Premier ministre, et l'objectif du Gouvernement s'applique également à mon ministère : une réduction de 10 % en trois ans, et de 5 % dès 2011. » http://www.senat.fr/senfic/arthuis_jean83011j.html Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer « Nous conserverons tous nos moyens d'intervention relatifs à l'emploi. Pour le fonds exceptionnel d'investissement, qui a fait un effort considérable en 2009, on regardera le taux d'engagement des crédits. Nous poursuivrons notre effort sur les dépenses fiscales et contre les effets d'aubaine et nous proposerons des ajustements, mais sans dénaturer les décisions du Conseil interministériel ou de la LODEOM, texte de loi qu'il faut appliquer. » Source : compte rendu des auditions de la commission des finances préparatoires à l'examen du projet de loi de règlement pour 2009 ; 15, 16 et 17 juin 2010. |