V. UN OBSERVATOIRE UNIQUE DE L'IMPACT DES CHANGEMENTS GLOBAUX SUR UNE BIODIVERSITÉ EXCEPTIONNELLE
1. Les îles Eparses : biodiversité et changements globaux en milieu tropical
M. David Grémillet , chargé de recherche à l'Institut Ecologie Environnement du CNRS, a présenté les enjeux en termes de biodiversité des îles Eparses, territoire exceptionnellement riche et lieu d'observation privilégié des changements globaux en milieu tropical.
Les îles Eparses, a-t-il expliqué, sont des îles océaniques au sens propre du terme : la mer les nourrit et elles ensemencent l'océan. Ainsi, l'atoll d'Europa est né des récifs coralliens qui l'entourent aujourd'hui. La barrière de corail protège le lagon qui sert de nurseries à une centaine d'espèces de poissons. Cette même fonction est également assurée par les mangroves qui bordent la partie interne du lagon. Le reste de l'île est principalement couvert de buissons, steppes et forêts d'euphorbes arborescentes. Bien qu'en apparence terrestres, ces zones sont en prise directe avec l'environnement marin. Elles abritent en effet des colonies d'oiseaux marins : fous, frégates et sternes les fertilisent de leurs déjections diverses. Les tortues marines font de même sur les plages dans lesquelles elles creusent leurs nids.
Les îles Eparses sont de fragiles îlots de biodiversité. Leurs récifs coralliens abritent probablement quelques milliers d'espèces, dont seules quelques centaines sont recensées à ce jour. Ces organismes contiennent une multitude de molécules bioactives, dont nous commençons tout juste à découvrir les vertus thérapeutiques. A terre, les inventaires floristiques et faunistiques restent incomplets mais des recensements préliminaires de l'entomofaune indiquent que 20 % des espèces trouvées sont endémiques.
Il a également expliqué que les îles Eparses sont des sites de reproduction indispensables pour plus de 3 millions d'oiseaux de 26 espèces ainsi que pour quelques 15 000 tortues marines. Oiseaux marins et tortues sont également présents au large et participent à l'écosystème pélagique de la ZEE. Elles y côtoient d'autres prédateurs supérieurs tels que les mammifères marins.
Les îles Eparses ne sont pas vierges de toute activité humaine, malgré leur protection effective par la France depuis les années 1970 : diverses activités y furent pratiquées depuis leur découverte au 16ème siècle. Un dégazage illégal au large de Juan Nova en 2005 rappelle également que les îles du canal du Mozambique se situent sur une des autoroutes à supertankers les plus fréquentées de la planète.
M. David Grémillet a ajouté que les voyageurs égarés, pirates et colons occasionnels des îles Eparses furent accompagnés de l'habituel cortège d'espèces invasives telles que les filaos, souris, rats, chats, lapins et chèvres. Bien que discrètes sur certaines îles, ces espèces menacent la biodiversité.
L'isolement géographique des îles Eparses ne les affranchit pas des changements climatiques planétaires. Le réchauffement des eaux de surface des océans provoque d'ores et déjà le blanchissement d'une partie des récifs coralliens. La montée des eaux généralisée et la recrudescence des cyclones érodent les plages et menacent d'anéantir des îlots.
Les îles Eparses méritent donc notre plus grande attention. Il s'agit :
d'achever les inventaires floristiques et faunistiques, nécessaires à la gestion de ces milieux et au maintien de la biodiversité insulaire ;
de tester l'impact actuel des changements globaux par le biais d'une approche pluridisciplinaire à l'interface écologie - physique - chimie ;
de modéliser l'impact des changements à venir afin d'affiner les stratégies de gestion.
Ces activités permettront de raffiner et de renforcer les programmes de gestion des écosystèmes. De manière plus générale, certaines des îles Eparses sont très proches d'une virginité ancestrale, dont la connaissance revêt une importance capitale pour la recherche. Les îles Eparses présentent en effet un gradient d'anthropisation 3 ( * ) lié à leurs expositions diverses aux espèces invasives et peuvent être considérées comme un laboratoire naturel de l'impact des changements globaux dans l'Océan Indien. Ce réseau d'observatoires du vivant vient compléter la série latitudinale de points de mesures que constituent les différentes bases des TAAF. Un tel réseau transversal à l'Océan Austral, aux zones subtropicales et tropicales est unique au monde.
Les activités de recherche en écologie sont assujetties aux contraintes logistiques évoquées par Monsieur le Préfet des TAAF. A la suite de l'appel d'offres des TAAF pour la campagne du Marion Dufresne en collaboration avec l'IPEV, 24 équipes de recherche ont déposé des projets relatifs à l'écologie de ces territoires (13 ont pu être financées). Cet intérêt soutenu témoigne du très fort potentiel scientifique des îles Eparses et de leur caractère exceptionnel pour la recherche française.
* 3 Un gradient d'anthropisation des sites et des milieux permet d'évaluer le rôle de l'homme dans l'évolution locale de la biodiversité.