III. TROMELIN, ÎLOT DE MÉMOIRE ET D'HISTOIRE
L'histoire humaine des îles Eparses est méconnue et pourtant riche. Les esclaves oubliés de l'île de Sable, ensuite dénommée île de Tromelin, en sont l'illustration.
Le Comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage sur les esclaves oubliés de l'île de Tromelin, installé le 10 mai 2009, s'inscrit dans le prolongement du Comité pour la mémoire de l'esclavage, installé en janvier 2004 en application de la loi du 21 mai 2001, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité.
Mme Françoise Vergès , présidente du Comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage sur les esclaves oubliés de l'île de Tromelin, a raconté l'histoire de ces femmes et de ces hommes capturés au 18ème siècle à Madagascar pour être vendus en esclavage, abandonnés sur l'île de Sable après le naufrage du navire qui les transportait.
Leur naufrage et leur sauvetage vont passionner l'Europe, mais peu d'éléments de leur vie dans un environnement si hostile sont connus. Les fouilles des archéologues ouvrent des pistes de compréhension. Trois édifices construits à base de corail ont été mis à jour, ainsi que quatre cent objets d'usage quotidien réalisés à partir de la récupération de métaux sur le navire naufragé. Des ossements humains appartenant à deux individus distincts ont également été découverts. Ces éléments apportent la preuve d'une organisation sociale, donc culturelle. Jour après jour pendant quinze ans, ces hommes et ces femmes ont tissé les liens d'une petite société, sans renoncer. En cela, ils conduisent à dépasser les présupposés.
Les esclaves de Tromelin sont désormais sortis de l'oubli. L'émotion suscitée par les objets qu'ils ont laissés, témoins de leur humanité, est grande. Pour toutes ces raisons, Mme Vergès a rappelé l'importance de préserver Tromelin comme lieu d'histoire et de mémoire. La traite négrière et l'esclavage sont en effet au coeur de l'histoire de la modernité européenne. Quatre siècles de lutte relient des hommes à travers les continents et les siècles, qui ont mis en relation des mondes jusque là étrangers et mobilisé les plus grandes consciences.
Cette histoire inscrit l'île parmi les lieux de mémoire de l'histoire de la traite négrière et de l'esclavage colonial, et pose également la question de la conscience individuelle face à une injustice. Elle introduit un débat, encore non épuisé, sur la liberté et la dignité, et rétablit une vérité sur l'égalité de tous les êtres humains. Pour cela, l'île de Tromelin, devenue un symbole de la lutte inextinguible pour la dignité et la liberté, doit absolument être préservée. Elle a fait l'objet d'un rapport par le groupe de recherches sur l'archéologie navale, dont les fouilles se sont révélées d'une valeur inestimable.
M. Rollon Mouchel-Blaisot a souhaité que Tromelin puisse devenir un espace protégé, et évoqué l'idée d'une exposition internationale, susceptible de faire naître des coopérations particulièrement intéressantes dans la région. Un lieu de mémoire pourrait également être envisagé, dans un geste architectural fort, en tant qu'hymne à la vie et à la liberté.
La tragédie des naufragés de l'île de Tromelin Le 31 juillet 1761, après une erreur de navigation, l'Utile, un navire de la Compagnie française des Indes orientales, fait naufrage sur les récifs de l'île de Tromelin (alors baptisée île de Sable), en revenant de Madagascar. Le trois-mâts était parti de l'île Maurice (alors appelée Île de France) avec 120 hommes d'équipage pour aller chercher clandestinement un nombre inconnu d'hommes et de femmes, sur la côte orientale de Madagascar, dans le but de les réduire en esclavage à Maurice. Lorsqu'ils s'échouent sur les récifs entourant l'île, de nombreux esclaves restent prisonniers de la cale où ils étaient cantonnés. L'équipage ainsi qu'une soixantaine de Malgaches parviennent toutefois à rejoindre l'île. Sous le commandement de La Fargue, le capitaine du navire, puis de son second, Castellan, les naufragés réussissent à survivre en construisant deux campements (un pour l'équipage et un pour les esclaves), en creusant un puits, et en se nourrissant des dernières vivres, puis de tortues et d'oiseaux de mer. Le bois de l'épave est utilisé pour construire une embarcation, sur laquelle prennent place deux mois plus tard les membres de l'équipage, qui promettent aux Malgaches laissés sur l'île avec quelques vivres de revenir les chercher. Arrivés à Maurice, les marins signalent que des survivants sont restés sur l'île, mais, malgré leur insistance, le gouverneur refuse de porter secours aux Malgaches, car l'Utile avait enfreint l'interdiction d'importer des esclaves à Maurice. La nouvelle de cet abandon parvient finalement jusqu'à Paris, où des écrivains des Lumières, tels que Condorcet ou Bernardin de Saint-Pierre, s'émeuvent de cette situation. La Guerre de Sept ans et la faillite de la Compagnie conduisent toutefois quelques années plus tard à l'oubli des naufragés. En 1773, un navire passant à proximité de l'île repère les survivants et les signale de nouveau aux autorités de l'île Maurice, qui envoient un bateau. Celui-ci n'arrive pas à s'approcher de l'île et le sauvetage échoue. Un an plus tard, une deuxième tentative de sauvetage reste infructueuse, le navire ne parvenant pas à accoster sur l'île. Ce n'est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage de l'Utile, que le chevalier de Tromelin, commandant la corvette La Dauphine, récupère les 8 survivants : 7 femmes et un enfant de huit mois, tous vêtus de pagnes de plumes tressées. Les survivantes ont réussi à maintenir un feu allumé pendant quinze ans, grâce au bois provenant de l'épave, l'île étant dépourvue d'arbre . Lors de leur arrivée à Maurice, le Gouverneur affranchit les rescapés. En octobre et novembre 2006, une expédition archéologique baptisée « « Esclaves oubliés », menée par Max Guérout, ancien officier de la marine française et vice-président du Groupe de recherche en archéologie navale (Gran) et placée sous le patronage de l'UNESCO a permis d'en savoir plus sur l'organisation et les conditions de vie des naufragés pendant ces quinze années. Une deuxième expédition organisée en novembre 2008 n'a pas permis de retrouver de sépulture, mais des récipients en cuivre témoignant du mode de vie adopté par les esclaves. |