(2) Une politique d'affectation et de gestion des personnels à réévaluer
L'affectation des personnels de l'administration de l'État dans les DOM -tout comme dans le reste de l'outre-mer- doit éviter deux écueils .
Le premier est la nomination d'agents peu avertis des spécificités de l'outre-mer et peu motivés par les missions qu'ils devront y exercer. L'exercice de l'activité administrative outre-mer peut en effet s'avérer bien différente de la métropole.
Cette différence est présente dans des fonctions « normatives », compte tenu d'un contexte historique, culturel et juridique parfois très éloigné de celui de la métropole.
Elle apparaît avec encore plus d'acuité dans les fonctions dites « opérationnelles ». Lors de son audition par la mission, le général Claude Vicaire, commandant de la gendarmerie outre-mer, a ainsi souligné les particularités de l'action de la gendarmerie dans les DOM, qui s'illustrent par la fréquence et l'intensité des crises -qu'il s'agisse des conflits sociaux, des catastrophes naturelles ou encore de l'orpaillage illégal en Guyane- et la violence du contexte opérationnel, cette dernière se traduisant par un risque d'agression pour les gendarmes deux fois plus élevé qu'en métropole et un usage des armes plus fréquent, notamment en Guyane.
Le second écueil est, à l'inverse, l'instauration d'un « circuit outre-mer » des fonctionnaires de l'État , consistant à nommer dans les départements ou collectivités d'outre-mer des personnes qui, tout au long de leur carrière administrative « tournent » dans les différents territoires ultramarins sans exercer leurs fonctions en métropole. Ce « circuit » a pour effet de maintenir de facto l'ancienne administration de la France d'outre-mer, pourtant formellement supprimée en 1958. Si cette pratique favorise certainement la connaissance de l'outre-mer par les agents de l'État, elle a pour inconvénient de ne pas assurer de véritable renouvellement des fonctionnaires, liens essentiels de l'outre-mer avec l'État.
Rappelant les termes de la circulaire du 6 avril 1994 relative à la coordination de l'action du Gouvernement dans les départements et territoires d'outre-mer, la directive n° 5357/SG du 19 décembre 2008 du Premier ministre relative à la coordination de l'action de l'État outre-mer prévoit des modalités de recrutement spécifiques pour certains personnels de l'État affectés dans les collectivités territoriales d'outre-mer .
La gestion des personnels affectés dans les préfectures des quatre DOM relève exclusivement du ministère de l'intérieur depuis la fusion des corps administratifs du cadre des préfectures, des administrations centrales du ministère de l'intérieur et du secrétariat d'État à l'outre-mer et la réforme de l'administration centrale de l'outre-mer. Les services de la délégation générale à l'outre-mer apportent toutefois leur expertise pour le choix des personnels à affecter dans les préfectures d'outre-mer.
Pour les autres administrations, les nominations dans les DOM des fonctionnaires d'autorité, des chefs de service et, de manière générale, de tous les fonctionnaires de catégorie A placés sous l'autorité directe du représentant de l'État dans le département font l'objet d'un agrément de la DéGéOM.
Cet agrément permet de veiller à ce que les personnels d'encadrement disposent de qualités humaines et professionnelles particulières leur permettant de faire face aux conditions de travail spécifiques à l'outre-mer. La procédure comprend un entretien pour tous les personnels d'encadrement supérieur. En 2007, cette procédure d'agrément a été appliquée pour la nomination de 266 agents de catégorie A, dont 35 chefs de service.
La mission insiste pour que cette procédure d'agrément permette un examen des candidats à des postes outre-mer qui ne se limite pas à un contrôle de « l'erreur manifeste d'appréciation » des ministères techniques dans l'affectation de leurs personnels.
Le Gouvernement avait, semble-t-il, un temps examiné la possibilité de modifier le champ de cet agrément afin de le recentrer sur la nomination des fonctionnaires d'encadrement supérieur en lien direct avec les préfets et hauts-commissaires d'outre-mer. La mission se félicite qu'un tel choix n'ait pas été arrêté par le Premier ministre dans sa circulaire du 19 décembre 2008, tant elle estime importante l'action que peut mener l'administration centrale chargée de l'outre-mer en ce domaine.
La mission estime d'ailleurs souhaitable que cette procédure d'agrément soit étendue au-delà des seuls services soumis à l'autorité directe du préfet, réserve faite néanmoins des services judiciaires , compte tenu du respect nécessaire de la séparation des pouvoirs.
La circulaire du Premier ministre du 6 avril 1994 soulignait que les affectations outre-mer doivent répondre à un double objectif : d'une part, assurer le renouvellement et une mobilité des personnels permettant une adaptation permanente des services à leurs objectifs ; d'autre part, permettre aux personnels de se réinsérer périodiquement dans leur milieu socioprofessionnel d'origine.
La mission a pu constater, au terme de ses travaux, que ces préoccupations légitimes, réaffirmées dans la circulaire du 19 décembre 2008, ne se traduisaient pas totalement dans les faits.
Elle regrette notamment que les contraintes du service outre-mer soient insuffisamment prises en compte dans la majeure partie des administrations de l'État.
Cette insuffisance se caractérise à la fois par l'absence de préparation des personnels affectés dans les DOM aux spécificités de ces territoires et par un manque d'attractivité des fonctions administratives qui peuvent y être exercées.
L'exercice de missions administratives dans les DOM intervient dans un environnement culturel, social et politique qui peut être très différent de la métropole. Cette particularité a été soulignée par M. Thierry Michalon, maître de conférences honoraire à l'université des Antilles et de la Guyane, qui a fait valoir devant la mission que les populations des DOM partageaient la conviction de ne pas faire partie de la nation française et souhaitaient être traitées sur un pied d'égalité et non comme une subdivision de celle-ci. Selon lui, cette conviction serait à l'origine d'un « rapport de force » permanent entre ces territoires et la France métropolitaine.
Par ailleurs, il est évident que les priorités d'actions de l'administration dans les DOM peuvent sensiblement différer de la métropole, en raison de la géographie de ces territoires et de leur insertion régionale. Ainsi, la survenance d'évènements naturels tels que des cyclones ou des éruptions volcaniques implique une action particulière des services de l'État en cas de crise. Les risques sanitaires spécifiques que connaissent ces territoires (paludisme, dengue, chikungunya...) appellent également une attention accrue de la part de l'État. La situation insulaire ou l'étroitesse du marché intérieur des DOM justifient des mesures particulières en matière économique et sociale.
Or, il semble que les fonctionnaires appelés à être affectés dans ces territoires soient souvent peu sensibilisés à ces problématiques particulières. Ils peuvent donc être confrontés, dès leur arrivée outre-mer, à des situations qu'ils n'ont guère connues en métropole.
La mission estime donc nécessaire que, préalablement à leur affectation, les agents de l'administration bénéficient d'une véritable formation incluant une réelle sensibilisation aux données particulières de l'outre-mer.
De ce point de vue, elle juge insuffisante la procédure actuellement suivie, consistant pour la DéGéOM à procéder à un simple entretien destiné à examiner les capacités de candidats à servir outre-mer. Elle souhaite que les ministères techniques assurent eux-mêmes, dans les domaines de compétence qui sont les leurs, des actions de formations spécifiques pour les agents dont ils envisagent l'affectation outre-mer.
Proposition n° 8 : Mettre en place une véritable formation des agents de l'administration de l'État, avant leur affectation dans les DOM, sur les particularités juridiques et opérationnelles de ces territoires. |
La question de la motivation des personnels de l'administration de l'État à être affectés dans les DOM et, par la suite, à conserver une véritable implication dans leurs fonctions sur place doit également être soulevée.
La mission estime que des mesures d'incitation ciblées sur des territoires ou sur des postes administratifs particuliers devraient être favorisées.
Il existe d'ores et déjà des mécanismes d'incitations financières destinés à pourvoir des postes situés outre-mer, et plus particulièrement dans les départements ultramarins.
Ainsi, en termes de rémunérations, les magistrats et fonctionnaires civils ou militaires de l'État peuvent bénéficier - en complément du régime des surrémunérations applicable à l'ensemble de la fonction publique d'État dans les DOM - d'une prime spécifique lorsqu'ils sont affectés dans certains territoires .
Le décret n° 2001-1226 du 20 décembre 2001 a crée une indemnité particulière de sujétion et d'installation (IPSI) pour les magistrats et les fonctionnaires de l'État, titulaires et stagiaires, affectés en Guyane, dans les îles du nord de la Guadeloupe et à Saint-Pierre-et-Miquelon, et dont la précédente résidence était située hors de ces zones géographiques. Son montant correspond à 16 mois du traitement indiciaire brut de l'agent ; elle est versée 48 ( * ) au taux plein sur la base d'une durée de services de quatre ans.
Cette indemnité, initialement prévue pour une période de cinq ans, a été prorogée pour une période complémentaire de deux ans, jusqu'au 31 décembre 2008. Elle a été à nouveau prorogée jusqu'au 31 décembre 2009 49 ( * ) .
Les personnels militaires bénéficient quant à eux d'une indemnité d'installation dans l'un des quatre DOM, qui correspond, pour un séjour réglementaire de deux ans, à neuf mois de la solde de base brute mensuelle pour la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion et à douze mois pour la Guyane. À La Réunion, le montant de cette indemnité est indexé 50 ( * ) .
De tels mécanismes devraient être amplifiés et réservés à certains postes ou certaines parties de ces territoires, en raison des contraintes et sujétions particulières qui s'y exercent, et révisés tous les dix ans pour éviter l'apparition de rentes de situation au gré de l'atténuation des contraintes spécifiques qui les justifiaient.
Dans la gestion de leur personnel, certaines administrations ont par ailleurs entrepris de renforcer l'attractivité des affectations outre-mer par une valorisation des carrières outre-mer.
Tel est le cas de la gendarmerie, qui a décidé d'une « surcotation » des postes dans les DOM afin d'y accueillir des agents expérimentés et de tenir compte des opérations spécifiques de maintien de l'ordre qui y sont menées. Le général Claude Vicaire a ainsi expliqué devant la mission que la gendarmerie nationale menait une politique de fidélisation, avec la possibilité pour les meilleurs éléments de prolonger leur séjour à quatre ans aux Antilles et en Guyane, puis de demander à effectuer un second séjour de même durée à La Réunion ou dans une collectivité d'outre-mer.
À des degrés moindres, des mesures de valorisation sont également pratiquées par d'autres services de l'administration, notamment dans l'administration préfectorale et la police. Il semble notamment que, dans la carrière préfectorale, l'affectation dans les Antilles ou en Guyane fasse l'objet d'un « surclassement » par rapport à une affectation dans des départements ou régions de métropole bénéficiant d'un nombre d'habitants similaire.
La mission estime que ce type d'incitation doit encore être développé et renforcé.
Proposition n° 9 : Renforcer l'attractivité des affectations des fonctionnaires de l'État dans les DOM par des mécanismes d'incitation financière ciblés sur certains emplois et de valorisation du déroulement des carrières. |
Pour autant, la mission estime que l'attractivité indispensable de la fonction publique de l'État outre-mer ne doit pas conduire à faire mettre en oeuvre les politiques publiques dans les DOM par les seuls fonctionnaires métropolitains .
Or, lors de ses déplacements outre-mer, la mission a pu constater que la plupart des emplois d'encadrement dans les services déconcentrés de l'État étaient occupés par des agents originaires de la métropole. Cette situation contraste avec celle qui prévalait encore dans les années 1980, où de nombreux fonctionnaires originaires d'outre-mer occupaient des emplois supérieurs outre-mer.
La mission estime que cette situation peut être difficilement ressentie par les habitants des DOM, tant elle peut évoquer chez certains la réminiscence d'un « État colonial ». Elle fournit d'ailleurs, en Guadeloupe et Martinique, l'un des arguments à des mouvements comme le LKP, tendant à faire accroire que la population originaire de ces territoires est dépossédée du droit de s'occuper des affaires qui la concernent.
La mission estime qu'il convient de favoriser, dans les DOM, la mixité des personnels d'encadrement originaires de l'outre-mer et de métropole. L'importance des départs à la retraite des agents de la fonction publique d'État dans les prochaines années constitue à cet égard une opportunité de choix. Cette recommandation ne doit cependant pas remettre en cause l'application outre-mer des exigences de mobilité inhérentes à une bonne administration.
La mission espère que les travaux conduits par MM. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, et Patrick Karam, délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, intégreront effectivement cette préoccupation, qui s'inscrit dans la volonté affirmée par le Président de la République, lors de son discours devant le Congrès du Parlement le 22 juin 2009, de donner aux citoyens des départements et collectivités d'outre-mer les moyens d'une réelle égalité au sein de la République.
Proposition n° 10 : Assurer une meilleure représentation des personnels originaires des DOM aux postes d'encadrement dans l'administration de l'État outre-mer. |
Plus généralement, la mission a pu constater l' absence d'évaluation de l'implication et de la motivation des agents de l'État affectés tant dans l'administration centrale que dans les services déconcentrés implantés dans les DOM.
La gestion des ressources humaines dans l'administration déconcentrée de l'État implique une évaluation annuelle des compétences des services, qui ne semble pas assurée actuellement, alors même que l'éloignement de la métropole et la spécificité du contexte local justifie une évaluation permanente.
La mission estime en conséquence indispensable d'instituer une évaluation annuelle spécifique, opérée par les ministères techniques et, le cas échéant, l'administration centrale chargée de l'outre-mer, afin de s'assurer, en cours de fonctions, de l'adéquation des compétences des personnels et de leur façon de servir outre-mer. Cette évaluation pourrait permettre de renforcer la formation permanente des intéressés.
Proposition n° 11 : Mettre en place un suivi et une évaluation annuels des agents de l'administration de l'État affectés dans les DOM afin de s'assurer de l'adéquation de leurs compétences aux fonctions outre-mer. |
* 48 En trois fractions : la première à l'arrivée ; la deuxième au début de la troisième année de présence et la troisième à l'issue de quatre ans de présence.
* 49 Décret n° 2008-1532 du 22 décembre 2008 portant prorogation du décret n° 2001-1226 du 20 décembre 2001 portant création d'une indemnité particulière de sujétion et d'installation.
* 50 Décrets n°s 50-1258 du 6 octobre 1950 et 51-725 du 8 juin 1951.