3. Pour une meilleure prise en compte des départements d'outre-mer par l'administration de l'État
Le particularisme des DOM - tout comme le reste des collectivités territoriales d'outre-mer - justifie l'existence d'une administration d'État adaptée. À cet égard, le constat fait par la mission est celui d'un manque d'adaptation pour ce qui est de l'administration déconcentrée de l'État, ainsi que d'impulsion et de coordination de la part de l'administration centrale chargée de l'outre-mer.
a) Pour une administration centrale de mission efficace
(1) La nécessité d'une administration centrale spécialement chargée de l'outre-mer
Dès que la France a étendu son influence outre-mer, la nécessité d'une administration centrale en charge de ces territoires a été ressentie. Depuis le XVIIème siècle, la gestion administrative des questions de l'outre-mer au sein de l'État n'a en effet jamais été remise en cause : la politique de l'État outre - mer s'est toujours faite dans le cadre d'une structure administrative spécialement dédiée.
Le cardinal de Richelieu est à l'origine de la création d'un embryon d'administration chargée de la France outre-mer, rattachée au secrétariat d'État à la Marine, qui prit le nom de Bureau des colonies à partir de 1710. Promue au rang de direction du ministère de la marine, cette administration centrale devint un ministère de plein exercice en 1894, sous la dénomination de ministère des colonies.
Aux débuts de la Restauration, ce ministère eut en charge la conduite des politiques de l'État en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et à La Réunion, ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon. Puis lui furent également confiés les nouveaux territoires issus des explorations et conquêtes en Afrique et en Asie, à partir des années 1830.
La IVème République naissante conserva cette structure administrative, qui prit alors - compte tenu de la redéfinition des relations entre la France et ses territoires situés outre-mer - le nom de ministère de la France d'outre-mer en 1946. Son champ de compétence se retrouva néanmoins notablement amoindri. D'une part, les « quatre vieilles colonies », devenues des DOM, relevèrent désormais du ministère de l'intérieur, au sein duquel fut créé un secrétariat général pour l'administration des DOM. D'autre part, l'accession à l'indépendance de plusieurs territoires conduisit à la création d'un ministère de la coopération.
L'avènement de la Vème République, puis l'accession à l'indépendance de la quasi-totalité des territoires jusqu'alors administrés par la France, conduisirent à de nouveaux changements qui ne mirent pas en cause l'existence d'une entité administrative spécifiquement chargée de l'outre-mer.
Ainsi, en 1959, fut créé le ministère du Sahara et des départements et territoires d'outre-mer, né de la réunion du secrétariat général pour l'administration des DOM et de la direction des territoires d'outre-mer relevant de l'ancien ministère de la France d'outre-mer. L'indépendance de l'Algérie, en 1962, conduisit à la transformation du ministère en un ministère de l'outre-mer, chargé des départements et territoires d'outre-mer. À partir de 1979, cette administration fut structurée autour de deux directions : la direction des affaires politiques, administratives et financières de l'outre-mer et la direction des affaires économiques, sociales et culturelles de l'outre-mer.
Depuis lors, si elle a vu son périmètre de compétence inchangé, l'administration centrale chargée de l'outre-mer a en revanche vu son rattachement gouvernemental modifié à plusieurs reprises. Quatre situations ont ainsi alterné : le rattachement à un ministre de plein exercice 33 ( * ) , à un ministre délégué auprès du Premier ministre 34 ( * ) , à un secrétaire d'État auprès du Premier ministre 35 ( * ) ou à un secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur 36 ( * ) .
Néanmoins, quelle que soit la structure gouvernementale retenue, l'administration centrale de l'outre-mer a conservé le même statut depuis 1959, celui d'une structure propre et autonome par rapport aux autres administrations centrales, à commencer par celle du ministère de l'intérieur.
La nécessité d'une structure dédiée a d'ailleurs été rappelée par la Cour des comptes dans son Rapport public 2006 en ces termes : « la multiplicité des intervenants et la spécificité des problèmes propres à chaque collectivité ou territoire imposent qu'il y ait dans l'État, dès lors que le choix politique a été d'ériger en ministère autonome un département chargé de gérer les questions relatives à l'outre-mer, une structure appropriée pour y incarner outre-mer l'interministérialité . »
La mission est elle-même convaincue de la nécessité de disposer d'une administration centrale spécialement en charge des problématiques de l'outre-mer. Une administration centrale spécifique doit en effet être en mesure de définir et d'évaluer les politiques de l'État dans les DOM comme, du reste, dans les autres territoires de la République situés outre-mer.
Le caractère indispensable d'une telle structure apparaît en premier lieu pour la définition des politiques publiques qui, dans des territoires éloignés de la métropole situés dans des zones géographiques et politiques obéissant à des logiques distinctes de celles de l'hexagone, doivent être à la fois définies -tant dans leurs objectifs que dans leurs moyens- et appliquées dans des conditions particulières.
Or cette définition des politiques de l'État ne peut intervenir que dans le cadre d'une analyse et d'une évaluation « transversales » de la situation des territoires situés outre-mer. Leur situation géographique et leur histoire conduisent en effet à mettre en place, dans la plupart des domaines de l'action de l'État, des dispositifs ou des actions présentant des particularités plus ou moins marquées par rapport au droit commun.
De cette approche nécessairement transversale découle le besoin d'une entité permettant d'assurer la coordination des politiques conduites, dans les DOM, par les ministères techniques.
Une structure dédiée apparaît d'autant plus justifiée compte tenu de la complexité du droit applicable outre-mer . L'atténuation du principe d'assimilation législative applicable aux DOM, en raison de la plus grande flexibilité de régime juridique offerte à ces territoires depuis 2003, implique plus que jamais la définition des politiques de l'État par des services centraux ayant une connaissance approfondie du droit qui les gouverne.
* 33 Ce fut le cas à plusieurs reprises, notamment dans les quatre premiers gouvernements de Georges Pompidou de 1960 à 1968 ; dans le deuxième gouvernement de M. Jacques Chirac de 1986 à 1988 ; dans le deuxième gouvernement de M. Michel Rocard ; dans les gouvernements successifs de Mme Édith Cresson et de MM. Pierre Bérégovoy et Édouard Balladur ; dans le premier gouvernement de M. Alain Juppé de 1988 à 1995 ; dans les gouvernements successifs de M. Jean-Pierre Raffarin (2002-2005) et dans celui de M. Dominique de Villepin (2005-2007).
* 34 Voir le gouvernement de Michel Debré de 1959 à 1960 et celui de M. Jacques Chaban-Delmas de 1969 à 1971, ainsi que le deuxième gouvernement de M. Alain Juppé (1995 à 1997).
* 35 Gouvernement de Maurice Couve de Murville (1968-1969), premier et troisième gouvernements de Pierre Messmer (1972-1973 et 1974).
* 36 Gouvernements de Raymond Barre, de M. Michel Mauroy et de M. Laurent Fabius (de 1976 à 1986), gouvernement de M. Lionel Jospin (1997-2002), et gouvernements de M. François Fillon.