CONTRIBUTION DE NICOLE BORVO COHEN-SEAT, SÉNATRICE DE PARIS
Ce groupe de travail, présidé par Michèle André, a travaillé très sérieusement et a auditionné un nombre satisfaisant de personnalités qualifiées et de représentants d'organismes et associations reconnus pour une compétence en la matière.
A l'issue de ces auditions, le groupe, à une large majorité, propose « d'autoriser la gestation pour autrui en l'encadrant ».
Ne partageant pas, à titre strictement personnel, cette décision, je tiens à en donner les raisons.
Il est tout à fait évident que la question est posée aujourd'hui, d'une part parce que les possibilités techniques (comme pour la PMA) existent ; d'autre part parce que si la France interdit la gestation pour autrui, quelques pays en Europe (et outre atlantique) l'autorisent et des situations concrètes se présentent : celles des couples français ayant eu recours à la gestation pour autrui à l'étranger, qui souhaitent que la filiation maternelle de leur enfant soit reconnue en France.
Je considère néanmoins que la décision de légaliser la gestation pour autrui en France ne peut se justifier par le fait qu'il y ait une demande.
La gestation pour autrui soulève, en soi, des problèmes graves et complexes, qui ne sauraient être résolus par l'encadrement proposé par le groupe de travail.
Je les résumerai en deux catégories :
1) La femme « gestatrice »
Accepter qu'une femme puisse porter un enfant pour une autre, c'est inévitablement accepter une marchandisation du corps humain. Ce que je refuse.
Les arguments développés par ceux qui y sont favorables pour assimiler la gestation pour autrui à un « don » (don d'organe ou don de soi) sont à mon avis inappropriés.
Porter un enfant pendant 9 mois pour le remettre à une autre personne est très différent du don d'un rein (ou autre) pour sauver une personne en danger de mort. Qui, en effet, fera croire que le lien entre une femme et l'enfant qu'elle porte est le même que le lien entre un individu et son rein !
Quant au don de soi en la matière, par générosité, il existe sans doute, mais il nie la « tierce personne », à savoir l'enfant qui naît, sur lequel je reviendrai.
Mais surtout, il est vain de vouloir nier la réalité, à savoir l'échange marchand.
Dès lors qu'un contrat est possible entre deux parties - la gestatrice et un couple - quelles que soient les limites fixées, elles sont illusoires. Elles sont fonction de l'offre et de la demande. Les couples ne pouvant accéder à une gestatrice sans rémunération (un simple dédommagement) chercheront par tous les moyens à conclure, officiellement ou officieusement, un contrat prévoyant une rémunération pour la gestatrice.
On connaît les dérives insensées aux Etats-Unis où le marché sans limite est lucratif. Il le sera en Europe et je considère à ce propos que les pays qui, comme la France, n'ont pas légalisé la gestation pour autrui, devraient, plutôt que de s'aligner sur ceux qui l'ont fait, essayer de réfléchir ensemble et organiser le débat sur cette question.
Certains évoquent une proximité avec les nourrices d'antan ! Si proximité il y a, elle montre à l'évidence que des femmes pauvres et/ou de pays pauvres acceptent ce rôle de substitution pour des couples aisés, par « nécessité ».
Le consentement des personnes contractantes est bien inégal !
Chacun sait que le sort des nourrices n'était guère enviable et il me paraît peu « progressiste » d'aller dans cette voie.
D'autres problèmes se posent concernant la femme gestatrice, qui ont été évoqués en cours d'audition et que je partage :
Leur lien futur avec l'enfant à naître ? Leur situation si l'enfant naît handicapé ? Si le couple le refuse ?
Les questions que ne peuvent manquer de se poser leurs propres enfants, du fait que leur mère est enceinte mais que l'enfant à naître ne sera pas leur frère ou soeur : eux-mêmes n'auraient-ils pas pu être donnés - vendus - à quelqu'un d'autre ? Les effets sur son couple, si couple il y a ?....
2) L'enfant à naître
Le désir d'enfant, absolument légitime et douloureux quand il ne peut être satisfait, ne saurait se confondre avec un droit absolu à l'enfant, qui plus est par tous les moyens possibles.
L'enfant, pas plus que la gestatrice, n'est une marchandise, en l'occurrence « un objet » que l'on peut obtenir à tout prix.
Un enfant né de l'accouchement d'une autre femme que sa mère, se posera exactement les mêmes questions qu'un enfant adopté à un moment de sa vie et toute sa vie. Le fait que la mère gestatrice ne soit pas la mère génétique n'y changera rien.
Il est largement prouvé que ce questionnement est douloureux, difficile, lié à l'abandon, moment indélébile dans l'histoire de l'individu. Or, dans le cas de l'adoption, l'enfant a été abandonné et la société lui donne la possibilité d'avoir une mère, des parents. Dans le cas de la gestation pour autrui, la société organise l'abandon de l'enfant par la femme qui l'a porté, après avoir organisé un rapport marchand entre celle-ci et les futurs parents !
Sauf à nier le lien singulier - pourtant depuis longtemps analysé par la médecine et la psychanalyse entre la femme et l'enfant qu'elle porte - ou entre l'enfant et ses parents (qui ont payé une femme pour sa venue au monde), on ne peut pas « banaliser » cet acte.
Pour ces deux raisons, je considère que les conclusions du groupe de travail sont pour le moins hâtives et imprudentes. Il y aurait lieu de pousser réflexion et débat public plus avant et de ne pas envisager de légiférer de façon précipitée.
Je considère bien entendu que la situation des enfants nés de mères gestatrices à l'étranger, puisque hélas des pays l'autorisent, doit trouver des solutions dans l'intérêt de l'enfant qui ne saurait être considéré comme responsable des actes des adultes.
Les possibilités juridiques peuvent être améliorées ou facilitées.
L'objection « d'hypocrisie » ne me paraît pas satisfaisante.
Les avancées fulgurantes des biotechnologies nous posent de très graves questions sur le plan éthique et donc tout simplement humain.
La marchandisation de toutes les sphères de la société pose aussi de graves problèmes.
Je crois qu'il n'est pas critiquable de vouloir y réfléchir avec la plus grande prudence.