2. Le « more than Moore » ou l'intégration de plusieurs fonctions sur une puce
La technologie CMOS, qui permet les fonctions de calcul et de mémoire ne suffit pas à expliquer le succès de la microélectronique . C'est l'ajout de fonctions non digitales (telle que la radiofréquence, les composants haute tension, l'électronique de l'éclairage et les chargeurs de batterie) qui a joué un rôle décisif dans la « pervasion » de la microélectronique. Elles sont connues sous le nom de technologies « more than Moore » ou technologies dérivées.
Si on les compare avec le corps humain, elles sont l'équivalent des yeux, des oreilles, des bras et des jambes et permettent au cerveau (qui calcule et mémorise) d'interagir avec le monde réel.
Un téléphone portable a ainsi un nombre significatif de fonctions non digitales comme la caméra, le système radiofréquence pour communiquer, le lecteur audio et vidéo.
Tout en bénéficiant des progrès réalisés en microélectronique, ces technologies sont issues de domaines différents de l'industrie de la microélectronique (mécanique, fluidique, acoustique, optique) et ne voient pas leurs performances directement corrélées à la taille du trait de gravure.
Deux exemples permettront de mieux comprendre leur importance : les technologies en relation avec la radiofréquence et les microsystèmes.
- Les technologies en relation avec la radiofréquence
Aujourd'hui, la plupart des systèmes électriques utilisent des circuits radiofréquence pour transmettre leurs données en interne ou en externe. Parmi les applications les plus connues, on peut citer les communications mobiles sans fil (comme dans le téléphone portable), la communication par câble (comme pour l'internet large bande) ou encore les connexions à courte distance (comme pour la technologie Bluetooth).
La technologie RFID 7 ( * ) (radio frequency identification) ouvre d'immenses perspectives dans le domaine des objets communicants en permettant de relier un objet (ou une personne) à un site à distance. C'est sur ce principe que repose la gestion dynamique d'objets à distance, depuis les flottes de véhicules équipés de modules GSM/GPS jusqu'au projet lancé par un consortium d'entreprises de produits grand public de remplacer les codes barres par des RFID afin d'identifier individuellement chaque objet 8 ( * ) .
D'importantes innovations viendront certainement de la généralisation des solutions dites actives (avec une autonomie en énergie), qui iront de l'étiquette RFID active à tout objet disposant de moyens de communication propres et dotés de capacités de traitement. Ces éléments actifs permettront la création de réseaux où les objets vont dialoguer entre eux. Dans le domaine de la santé par exemple, ces technologies faciliteraient le maintien à domicile de patients ou de personnes âgées avec un contrôle médical à distance non intrusif.
- Les microsystèmes (MEMS - Micro Electro Mechanical Systems)
En général, ces microsystèmes associent un microprocesseur traitant l'information et des dispositifs liés à l'environnement (thermique, de pression, chimique, magnétique, etc.) afin d'accomplir des fonctions complexes.
L'automobile est un de leurs domaines d'élection, du fait de l'ancienneté de leur introduction (dès le début des années 1990, les premiers microaccéléromètres - capteurs inertiels simples - ont été dédiés à l'installation des « airbags ») et parce que ce secteur constitue un marché de masse bien adapté à la « pervasion » des microsystèmes .
On les retrouve dans :
- les capteurs de pression des pneus, des gaz de moteur, ou de l'huile ;
- les capteurs de flux d'air ou d'oxygène ;
- les capteurs de vitesse permettant de régler l'injection du véhicule ;
- les capteurs d'autocollision ;
- les microgyroscopes de contrôle dynamique du véhicule pour des applications de suspension active ou d'ABS, etc.
Tous ces systèmes sont liés à des transpondeurs permettant de transmettre l'information, ou à des systèmes permettant de rectifier les dysfonctionnements détectés.
De plus en plus de secteurs sont également concernés comme le montrent les exemples suivants :
- les télécommunications , où les microsystèmes d'hyperfréquence trouvent une application aussi bien en téléphonie mobile qu'en liaisons satellitaires. De même, dans ce secteur, les microsystèmes optiques sont de plus en plus engagés dans la conversion optoélectronique ;
- l' industrie agroalimentaire ( microcapteurs chimiques contrôlant le mûrissement des fruits, étiquettes intelligentes permettant de contrôler la fraîcheur d'un produit et le respect de la chaîne du froid) ;
- la médecine (capteurs de pression, notamment cardiaque, pansements suivant le processus de guérison et vérifiant l'absence d'infection, prothèse pouvant être commandée par le cerveau) ;
- la biologie (laboratoires sur puces pour effectuer des tests à moindre coût).
Au-delà des microsystèmes traditionnels tels qu'ils viennent d'être présentés, sont développés de nouveaux types de microsystèmes travaillant en réseau et assurant la collecte de données de manière décentralisée. Dans le domaine de la sécurité par exemple, les microsystèmes sont de plus en plus utilisés pour assurer la surveillance des sites industriels et des frontières.
Le schéma ci-dessous montre les potentialités extraordinaires du marché mondial des microsystèmes et la diversité de leurs champs d'application.
Analyse du marché des microsystèmes 2004-2009
Source : Nexus
Les technologies liées au « more than Moore » incitent à l'interdisciplinarité puisqu'elle couple les sciences de l'ingénierie et les disciplines concernées (électronique, physique, chimie, biologie, etc.).
La combinaison de la technologie CMOS avec des technologies dérivées n'est pas sans poser des problèmes d'intégration de systèmes.
Deux types d'approche coexistent :
- une approche monolithique dans laquelle la technologie CMOS et les technologies dérivées sont réalisées sur le même substrat avec un seul procédé : on parle alors de system on chip (SoC) ;
- une approche hybride , dans laquelle les différents composants sont combinés au niveau de l'encapsulage en profitant des technologies d'interconnexion entre les différents substrats : on parle alors de system in package (SiP).
Le développement du system in package conduit de nombreux acteurs à se spécialiser dans l'intégration hétérogène. Elle peut être définie comme l'ensemble des techniques permettant à la fois l'intégration de composants basés sur des technologies et des matériaux différents dans un seul empaquetage et leur interaction avec le monde réel.
Les technologies « more than Moore » conduisent également à s'intéresser à l'électronique organique dont les performances sont certes inférieures à celle de l'électronique sur silicium, mais dont les coûts de production sont beaucoup moins élevés, ce qui permet d'élargir le champ des applications.
Les trois exemples suivants illustrent cette tendance.
Le remplacement des codes-barres par des RFID serait actuellement matériellement réalisable parce que les RFID peuvent être désormais imprimées sur du plastique.
De même, le secteur de l'énergie photovoltaïque pourrait connaître un essor considérable si les cellules, au lieu d'être produites sur un substrat silicium, pouvaient être fabriquées par impression sur une surface en polymère. Non seulement les coûts de production diminueraient fortement, mais la taille des panneaux pourrait être agrandie de manière considérable.
Enfin, les diodes luminescentes organiques (OLED - Organic Light-Emitting Diode) pourraient révolutionner les écrans et l'éclairage de demain.
Elles sont constituées d'un film organique (composé carboné) retenu entre deux autres films jouant le rôle d'électrodes. Lorsqu'un courant est appliqué, le composé organique s'illumine. C'est donc l'ensemble de la surface qui émet de la lumière.
Les diodes luminescentes organiques ont déjà conquis le marché des écrans pour tous les appareils mobiles et de petites taille tels que les téléphones portables, les agendas électroniques et les appareils photos numériques. En effet, les écrans utilisant les OLED sont plus brillants, plus contrastés, plus fins et plus légers que les écrans LCD (Liquid Crystal Display), tout en nécessitant moins d'énergie et en coûtant moins cher en production.
Jusqu'à présent, la production d'écrans de plus grande taille soulève d'importants problèmes techniques, mais ces derniers devraient être surmontés dans les 5 années à venir, ce qui permettrait aux OLED de s'implanter dans le marché des écrans de télévision et de l'affichage publicitaire. En outre, le fait que ces écrans soient souples devrait donner naissance à de nouvelles applications ou à de nouvelles générations de machines portables. Les OLED devraient favoriser l'essor du livre et du journal électroniques, mais aussi la banalisation d'écrans dans les vêtements on encore dans les emballages de produits de grande consommation, qu'il s'agisse de boîtes de conserve ou de bouteilles.
Les diodes luminescentes organiques devraient également jouer un rôle majeur dans l'éclairage . A terme, les halogènes et néons très consommateurs d'énergie pourraient être remplacés tandis que de nouveaux éclairages d'ambiance pourraient être créés par l'utilisation des murs, des plafonds, des rideaux, des fenêtres ou de toute autre surface capable d'intégrer les OLED.
Le développement des technologies dérivées entraîne des changements non négligeables au niveau économique.
D'une part, le marché des semiconducteurs a vocation à se diversifier. Non seulement de nouvelles filières vont se juxtaposer à la filière silicium classique, comme l'électronique organique par exemple, mais des marchés de niches vont également apparaître. Comme il a été indiqué précédemment, le marché des microsystèmes est tiré par les applications. Or, chaque application mène à une technologie dédiée : il n'existe pas dans ce domaine l'équivalent de la technologie générique CMOS. Les productions de microsystèmes n'obéiront donc pas forcément à une logique de volume mais plutôt à une logique de valeur ajoutée suivant l'application.
D'autre part, le marché des semiconducteurs pourrait s'ouvrir à de nouveaux entrants dans la mesure où l'investissement capitalistique pour les technologies dérivées est bien moindre que pour le développement des technologies « more Moore » . En revanche, l'existence de leaders industriels dans les domaines d'application envisagés et une politique étatique volontariste de soutien à ces nouveaux marchés peuvent être des critères déterminants. A cet égard, il n'est pas anodin que l'engagement précoce et massif de l'Allemagne en faveur de l'énergie solaire ait permis de créer une industrie nationale forte dans ce secteur qui utilise les technologies dérivées.
* 7 La RFID est une méthode pour stocker et récupérer des données à distance en utilisant des marqueurs appelés « radio-étiquettes » (« RFID tag » en anglais). Les radio-étiquettes sont de petits objets, tels que des étiquettes autoadhésives qui peuvent être collées ou incorporées dans des objets ou produits. Les radio-étiquettes comprennent une antenne associée à une puce électronique qui leur permettent de recevoir et de répondre aux requêtes radio émises depuis l'émetteur-récepteur.
* 8 Ce projet est plus connu sous le nom « d'internet des objets » : un réseau d'entreprises, EPCglobal Inc. s'est constitué pour proposer le développement d'un Internet des objets, porté par l'évolution des réseaux, et notamment le passage à l'IPV6. Ce réseau propose un système mondial dans lequel chaque tag renvoie à un serveur racine Internet, qui autorise l'accès aux bases de données permettant d'identifier l'objet sur lequel il est apposé.