II. DES PERSPECTIVES SCIENTIFIQUES PROMETTEUSES MALGRÉ LES DÉFIS TECHNOLOGIQUES À RELEVER
Depuis l'invention du premier transistor en 1947, des progrès scientifiques immenses ont été réalisés, qui ont permis de diminuer le coût de ce dernier par un million tout en démultipliant sa puissance. Néanmoins, la réduction de la taille des transistors soulève des difficultés techniques croissantes et se heurtera tôt ou tard aux limites de la physique.
A. LES TROIS AXES DE DÉVELOPPEMENT DU SECTEUR DE LA MICROÉLECTRONIQUE
Depuis les années 60, les industriels se sont consacrés à la poursuite de la miniaturisation des transistors. Néanmoins, à partir de la fin des années 90, une nouvelle voie particulièrement prometteuse est apparue, qui consiste à intégrer plusieurs technologies sur une même puce. Par ailleurs, conscients que la technologie CMOS atteindrait un jour ses limites physiques, de nombreuses équipes de recherche s'intéressent à « l'après CMOS » et essaient d'inventer une nouvelle électronique.
Les trois voies de recherche dans le secteur de la microélectronique
Source : Medea+
1. Le « more Moore » ou la poursuite de la miniaturisation
En 1958, Jack Kilby réalise le premier circuit intégré composé de 5 composants de 3 types : transistor, résistance et condensateur. La course à la miniaturisation est alors lancée. En 1962, on peut intégrer 8 (= 2 puissance 3) transistors sur la même puce ; 16 (= 2 puissance 4) en 1963 ; 32 (=2 puissance 5) en 1964 ; 64 (=2 puissance 6) en 1965.
C'est alors que Gordon Moore, cofondateur d'Intel Corporation, publia un article prévoyant le doublement du nombre de transistors sur une même surface de circuit intégré tous les ans. Cette célèbre « loi de Moore », parfaitement empirique, n'a jamais été mise en défaut, même si le doublement du nombre de transistors se réalise désormais plutôt en deux ou trois ans.
Le transistor, composant de base des circuits intégrés En décembre 1947, John Bardeen et Walter H. Brattain réalisaient le premier transistor en germanium. Avec William B. Shockley, aux Bell Laboratories, ils développaient l'année suivante le transistor à jonction et la théorie associée. Au milieu des années 1950, les transistors sont réalisés en silicium (Si), qui reste aujourd'hui le semiconducteur généralement utilisé, vu la qualité inégalée de l'interface créée par le silicium et l'oxyde de silicium (SiO 2 ), qui sert d'isolant. En 1958, Jack Kilby invente le circuit intégré en fabriquant cinq composants sur le même substrat. Les années 1970 verront le premier microprocesseur d'Intel (2.250 transistors) et les premières mémoires. La complexité des circuits intégrés ne cessera de croître exponentiellement depuis (doublement tous les deux-trois ans, selon la « loi de Moore ») grâce à la miniaturisation des transistors. Le transistor (de l'anglais transfer resistor , résistance de transfert), composant de base des circuits intégrés micro-électroniques, le restera mutatis mutandis à l'échelle de la nanoélectronique : adapté également à l'amplification, entre autres fonctions, il assume en effet une fonction basique essentielle : laisser passer un courant ou l'interrompre à la demande, à la manière d'un commutateur. Son principe de base s'applique donc directement au traitement du langage binaire (0, le courant ne passe pas ; 1, il passe) dans des circuits logiques (inverseurs, portes, additionneurs, cellules mémoire). Le transistor, fondé sur le transport des électrons dans un solide et non plus dans le vide comme dans les tubes électroniques des anciennes triodes , est composé de trois électrodes ( anode, cathode et grille ) dont deux servent de réservoirs à électrons : la source , équivalent du filament émetteur du tube électronique, le drain, équivalent de la plaque collectrice, et la grille, le « contrôleur ». Ces éléments ne fonctionnent pas de la même manière dans les deux principaux types de transistors utilisés aujourd'hui, les transistors bipolaires à jonction , qui ont été les premiers à être utilisés, et les transistors à effet de champ (en anglais FET, Field Effect Transistor ). Les transistors bipolaires mettent en oeuvre les deux types de porteurs de charge, les électrons (charges négatives) et les trous (charges positives), et se composent de deux parties de substrat semiconducteur identiquement dopées (p ou n), séparées par une mince couche de semiconducteur inversement dopée. L'assemblage de deux semiconducteurs de types opposés (jonction p-n) permet de ne faire passer le courant que dans un sens. Qu'ils soient de type n-p-n ou p-n-p, les transistors bipolaires sont fondamentalement des amplificateurs de courant, commandés par un courant de grille (1) : ainsi dans un transistor n-p-n, la tension appliquée à la partie p contrôle le passage du courant entre les deux régions n. Les circuits logiques utilisant des transistors bipolaires, appelés TTL ( Transistor Transistor Logic ), sont plus consommateurs de courant que les transistors à effet de champ, qui présentent un courant de grille nul en régime statique et sont commandés par l'application d'une tension. Ce sont ces derniers, sous la forme MOS (Métal oxyde semiconducteur), qui composent aujourd'hui la plupart des circuits logiques du type CMOS (C pour complémentaire) (2) . Sur un cristal de silicium de type p, deux régions de type n sont créées par dopage de la surface. Appelées là aussi source et drain , ces deux régions ne sont donc séparées que par un petit espace de type p, le canal . Sous l'effet d'une tension positive sur une électrode de commande placée au dessus du semiconducteur et qui porte tout naturellement le nom de grille , les trous sont repoussés de sa surface où viennent s'accumuler les quelques électrons du semiconducteur. Un petit canal de conduction peut ainsi se former entre la source et le drain. Lorsqu'une tension négative est appliquée sur la grille, isolée électriquement par une couche d'oxyde, les électrons sont repoussés hors du canal. Plus la tension positive est élevée, plus la résistance du canal diminue et plus ce dernier laisse passer de courant.
Dans un circuit intégré, les transistors et les autres composants (diodes, condensateurs, résistances) sont d'origine incorporés au sein d'une « puce » aux fonctions plus ou moins complexes. Le circuit est constitué d'un empilement de couches de matériaux conducteurs ou isolants délimitées par lithographie . L'exemple le plus emblématique est le microprocesseur placé au coeur des ordinateurs et qui regroupe plusieurs centaines de millions de transistors (dont la taille a été réduite par 10.000 depuis les années 1960) et bientôt un milliard, ce qui amène les industriels à fractionner le coeur des processeurs en plusieurs sous-unités travaillant en parallèle ! (1) Figurent dans cette catégorie les transistors de type Schottky ou à barrière Schottky qui sont des transistors à effet de champ comportant une grille de commande de type métal/semiconducteur qui améliore la mobilité des porteurs de charge et le temps de réponse au prix d'une plus grande complexité. (2) On parle alors de transistor MOSFET ( Metal-Oxide Semiconductor Field Effect Transistor ). |
Source : Le nanomonde, de la science aux applications, Clefs CEA n° 52 - été 2005
L'intérêt de la miniaturisation est triple.
D'abord, en raccourcissant l'espace entre la source et le drain, elle accélère le passage des électrons et augmente ainsi le nombre d'opérations réalisées par seconde tout en réduisant la consommation en énergie des transistors.
Ensuite, la réduction de la taille des circuits permet la fabrication collective de centaines de puces sur chaque plaquette de silicium, abaissant leur coût unitaire.
Enfin, la miniaturisation diminue l'encombrement des objets tout en multipliant leurs fonctions. L'exemple ci-dessous montrant l'évolution du téléphone portable depuis 20 ans est parlant.
Evolution de la technologie du téléphone portable de 1986 à 2006
Source : MEDEA+
Les premiers appareils, fort encombrants, ne savaient « que » téléphoner. Les plus récents, ultra légers, proposent des jeux, des prises de vues haute définition, la connexion à internet, une grande autonomie, pour un prix équivalent ou inférieur.
La course à la miniaturisation constitue donc un enjeu fondamental pour l'industrie des semiconducteurs puisqu'elle multiplie les applications et contribue à la « pervasion » de l'électronique dans tous les secteurs d'activités.
Depuis 1998, une « road map » est publiée qui constitue un catalogue des défis technologiques que la filière doit relever pour maîtriser la nouvelle technologie avec des traits de gravure plus fins.
La International Technology Roadmap for Semiconductors (ITRS) Cette «road map» est sponsorisée par les cinq associations des industries de semiconducteurs en Europe, au Japon, en Corée, à Taiwan et aux Etats-Unis, à savoir : the European Semiconductor Industry Association (ESIA), the Japan Electronics and Information Technology Industries Association (JEITA), the Korean Semiconductor Industry Association (KSIA), the Taiwan Semiconductor Industry Association (TSIA), and the United States Semiconductor Industry Association (SIA). L'objectif de l'ITRS est d'encourager l'amélioration des performances des circuits intégrés à des coûts maîtrisés afin d'assurer la pérennité de l'industrie des semiconducteurs. Des groupes de travail regroupant les entreprises de semiconducteurs, les équipementiers et la communauté scientifique sont constitués sur une vingtaine de thèmes (comme la lithographie, les interconnexions, le design, les tests et les équipements associés etc) pour identifier les difficultés à venir et proposer des solutions innovantes. Les conclusions de ces travaux sont publiées tous les deux ans. |
Afin de rationaliser les efforts de R&D pour la technologie et les équipements associés, la communauté internationale a défini les dimensions des différentes étapes technologiques, appelées « noeuds ».
En 2003, la microélectronique est passée à l'échelle nanométrique en descendant sous la barre des 100 nm de la largeur de grille du transistor (noeud de 90 nm). Depuis septembre 2006, la résolution des circuits intégrés est de 65 nm et au début de l'année 2008, elle est passée à 45 nm pour des microprocesseurs très rapides. Parallèlement, les résolutions à 32 nm et 22 nm sont déjà en préparation, tandis qu'en laboratoire, des largeurs aussi faibles que 6 nm ont été obtenues.
Au-delà des dimensions des circuits, c'est l'ensemble de la chaîne de fabrication (pureté des produits chimiques, lithographie, techniques de dépôt et de gravure des matériaux, planarisation des surfaces, environnement de fabrication et contrôle des poussières, métrologie ...) qui devient une technique nanométrique. Ainsi, les machines de lithographie optique actuelles ont une précision mécanique de positionnement de 8 nm, et ce pour des plaquettes de silicium de 300 mm de diamètre.
La discussion des limites de la loi de Moore n'est pas nouvelle. Dans les années 80, il semblait impossible de diminuer le trait de gravure jusqu'au micron, puis on a pensé à la fin des années 90 que le seuil des 100 nm constituerait une limite. Plus récemment, le problème de la lithographie a été mis en avant comme étant un mur infranchissable. Les discussions portent actuellement sur la longueur critique de 10 nm de longueur de canal imposé par l'effet tunnel entre source et drain...
Au-delà de ces interrogations, un consensus se dégage pour reconnaître que la simple diminution des dimensions géométriques des transistors pour passer d'une génération à la suivante n'est plus possible. Selon la formule lapidaire d'un responsable d'IBM rencontré par votre rapporteur : « on ne peut pas réduire la taille des atomes ! ». Or, c'est l'échelle atteinte par certaines parties du transistor. Ainsi, la très fine couche de matériaux diélectrique située entre la grille et le canal a maintenant une épaisseur bien inférieure au nanomètre et atteint seulement quelques couches atomiques.
Désormais, ce sont les innovations au niveau des matériaux et des architectures qui permettront d'augmenter les performances des circuits intégrés.