EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 27 mai 2008, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu une communication de M. Henri Torre, rapporteur spécial, sur le logement en outre-mer.
M. Jean Arthuis, président, a indiqué que cette communication faisait suite à un premier rapport sur le logement en outre-mer, présenté à la commission deux ans auparavant. Il a salué cette initiative qui permet, dans le souci d'éclairer l'action du gouvernement de déterminer si les préconisations formulées par la commission sont suivies d'effets. Il a enfin observé que l'intérêt suscité par le problème du logement en outre-mer justifiait l'ouverture de cette réunion aux membres des commissions des lois, des affaires économiques et des affaires sociales.
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Henri Torre, rapporteur spécial , a indiqué que, deux ans après son premier rapport sur la situation et la politique du logement en outre-mer, ce sujet restait d'une importance considérable pour l'outre-mer, compte tenu de l'ampleur des besoins en logement, précisant que la démarche mise en oeuvre avait une double utilité :
- d'une part, assurer le suivi du premier contrôle, gage d'efficacité du contrôle parlementaire ;
- d'autre part, permettre d'approfondir l'étude du problème du logement et, pour cela, de trouver de nouvelles pistes d'amélioration.
Il a tout d'abord fait le point sur la mise en oeuvre des préconisations du précédent rapport, en dégageant les éléments satisfaisants et les insuffisances.
S'agissant de la gestion des crédits du logement, dont l'amélioration constitue un motif de satisfaction, il a rappelé brièvement la situation critique soulignée en 2006 : d'une part, des autorisations de programme avaient été ouvertes en très grand nombre, pour des raisons qui tenaient plus à l'affichage qu'à de réelles opérations, d'autre part, les crédits de paiement n'avaient pas suivi ce rythme, l'écart entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement n'ayant cessé de se creuser. Il avait alors constaté que les factures que l'Etat ne pouvait honorer s'étaient accumulées, au détriment des organismes de logement social.
Il a indiqué que, depuis 2005, la situation des crédits du logement s'était nettement améliorée. Il a ainsi décrit deux mouvements contraires : d'une part, la baisse globale du montant des autorisations d'engagement depuis 2005, à laquelle la commission avait participé à travers un amendement demandant leur réduction, voté dans le cadre de la loi de finances pour 2007, et, d'autre part, l'augmentation du montant des crédits de paiement sur la même période. Il s'est ainsi félicité de la diminution de l'écart entre les autorisations de programme puis d'engagement et les crédits de paiement, ramené de près de 100 millions d'euros en 2005 à 36 millions d'euros en 2008.
Il a jugé que cette évolution très bénéfique résultait d'une prise de conscience du secrétariat d'Etat à l'outre-mer de « l'hypocrisie » qu'il y avait à augmenter le montant des autorisations d'engagement sans que le niveau des crédits de paiement suive.
M. Henri Torre, rapporteur spécial , a ajouté que cette tendance avait produit une nette amélioration de la situation des impayés : à la fin de 2005, ce montant s'élevait à 60 millions d'euros et risquait d'atteindre, à fin 2006, plus de 100 millions d'euros. Or, grâce notamment au respect des engagements pris par M. François Baroin, alors ministre de l'outre-mer, ce montant a été réduit à 37 millions d'euros à la fin de l'année 2006 et avait poursuivi sa baisse en 2007, pour atteindre 17 millions d'euros à la fin 2007.
En tant que rapporteur spécial de la mission « Outre-mer », il s'est déclaré satisfait de cette évolution, puisqu'elle rompait avec une gestion « hasardeuse » et préjudiciable à l'outre-mer.
S'agissant du dispositif de défiscalisation appliqué au logement en outre-mer, M. Henri Torre, rapporteur spécial , s'est déclaré beaucoup moins satisfait.
Il a tout d'abord indiqué que, depuis deux ans, la dépense fiscale représentée par la défiscalisation d'impôt sur le revenu en matière de logement en outre-mer avait poursuivi sa hausse. Cette dépense fiscale est en forte progression depuis l'adoption de la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003 et à un rythme d'augmentation qui s'était maintenu depuis 2006, voire accéléré. Il a précisé que cette hausse de 27 % en deux ans était très éloignée des impératifs que l'Etat se fixait pour l'évolution de la dépense non fiscale.
Par ailleurs, il a regretté l'inadaptation des logements produits grâce à la défiscalisation aux besoins des populations locales, et précisé qu'elle était double. Ces logements étaient en général, d'une part, trop petits pour correspondre à la demande des populations ultramarines et, d'autre part, trop souvent « haut de gamme ». Il a ainsi indiqué avoir pu constater sur place que de nombreux logements restaient vides.
M. Henri Torre, rapporteur spécial , a également regretté qu'on ne dispose toujours pas d'un outil permettant d'évaluer avec certitude le coût et l'efficacité de la défiscalisation appliquée du logement en outre-mer. Il a observé que des efforts avaient été faits depuis le précédent rapport présenté à la commission sur le logement en outre-mer. Ainsi, l'article 100 de la loi de finances rectificative pour 2006 avait renforcé les obligations d'information de l'administration fiscale lors du recours aux dispositifs de défiscalisation. Toutefois, il a relevé que les premiers résultats de la mise en place de ces nouvelles procédures ne pourraient être disponibles que dans le courant de l'année 2009.
Il a donc jugé qu'il fallait aujourd'hui tirer les conséquences d'une situation où :
- il n'y a toujours aucune capacité d'évaluation de l'efficacité de la défiscalisation,
- le coût, évalué à 230 millions d'euros pour 2008, n'est pas maîtrisable, comme le montre la volonté affichée par le gouvernement de plafonner son montant,
- la défiscalisation contribue à augmenter le prix des terrains, donc à la raréfaction du foncier, au détriment des logements sociaux.
C'est pourquoi M. Henri Torre, rapporteur spécial , a estimé nécessaire de recentrer rapidement ce dispositif sur le logement social, malgré des réticences de principe.
Il a indiqué qu'elles résultaient du fait que la défiscalisation devrait uniquement s'appliquer aux secteurs productifs, à même d'entraîner le développement économique des régions ultramarines. Or, il a estimé, d'une part, que les emplois créés grâce à la défiscalisation appliquée au logement étaient souvent précaires, parce que liés à des chantiers particuliers et que, d'autre part, les matières premières étant presque intégralement importées, ces constructions ne bénéficiaient donc pas à l'économie locale.
Toutefois, en raison des besoins de logement social en outre-mer, il a jugé que le recentrage de la défiscalisation sur le logement social était la « moins mauvaise » solution. Pour qu'il soit efficace, il devait satisfaire à certaines conditions :
- être lissé dans le temps, afin de ne pas pénaliser les économies ultramarines, en s'assurant toutefois que ce recentrage se fasse sans augmentation globale de la dépense fiscale ;
- faciliter, pour les bailleurs sociaux, le recours au dispositif de défiscalisation, aujourd'hui parfois trop complexe ;
- ne pas diminuer parallèlement les crédits de la ligne budgétaire unique, mais chercher à allier défiscalisation et crédits budgétaires ;
- enfin, garantir à ce nouveau système la stabilité nécessaire à sa montée en puissance.
M. Henri Torre, rapporteur spécial , a ensuite évoqué l'ampleur des besoins en logement de l'outre-mer, et notamment de La Réunion, et les réponses nouvelles qu'il convenait d'y apporter.
Il a constaté qu'à l'exception de la Guadeloupe, l'ensemble des départements d'outre-mer connaissaient depuis 2005 une très forte baisse du nombre d'opérations de construction ou de réhabilitation de logements.
Plus d'un an après la conférence nationale du logement outre-mer, réunie le 27 février 2007 par MM. Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement et François Baroin, alors ministre de l'outre-mer, il a constaté que les objectifs fixés étaient loin d'avoir été atteints. La conférence prévoyait, notamment, la construction ou la réhabilitation de 12.500 logements par an entre 2007 et 2009. Or, seuls 7.713 logements avaient été produits en 2007. Il a précisé que le cas de La Réunion était particulièrement symptomatique des problèmes de l'outre-mer, puisque la production de logement social y avait connu une baisse de 34 % entre 2005 et 2007.
Or, parallèlement, 26.000 foyers sont en attente de logement social à La Réunion et la population devrait atteindre 933.000 habitants en 2020, contre 800.000 aujourd'hui. Il a estimé que, pour répondre à ces besoins, il faudrait maintenir d'ici à 2020 un rythme de construction de 7.500 logements sociaux par an, soit trois fois la production de l'année 2007.
Il a déclaré que dans l'ensemble des départements d'outre mer la demande de logements sociaux était importante. Il s'est ainsi ému du fait que 80 % des ménages outre-mer étaient éligibles aux logements sociaux, les deux tiers des bénéficiaires réunionnais de logements sociaux étant allocataires de minima sociaux. Par ailleurs, il a indiqué qu'à La Réunion, la politique de résorption de l'habitat insalubre ne parvenait pas à en endiguer le nombre, notamment en raison de la diminution de la production de logement social, le nombre de foyers vivant en logement insalubre à La Réunion s'étant stabilisé, depuis 10 ans, aux alentours de 20.000.
Enfin, il a insisté sur ce qui lui paraissait être la principale explication de la crise du logement social en outre-mer : les difficultés de mobilisation de la ressource foncière.
Il a détaillé les différents facteurs expliquant la rareté de la ressource foncière disponible pour le logement en outre-mer :
- les caractéristiques géographiques des territoires. A ce sujet, il a indiqué, à titre d'exemple, que la surface « utile » de La Réunion était estimée à 1.000 km², sur lesquels vivaient 800.000 personnes, soit une densité de deux fois supérieure à celle des Pays-Bas ;
- le grand nombre de propriétés en situation d'indivision, pour des raisons historiques ;
- enfin, les effets pervers de la défiscalisation, qui conduisaient, lorsque les terrains étaient mobilisables, à les orienter plus vers le logement libre que vers le logement social.
Au regard de ces difficultés, M. Henri Torre, rapporteur spécial , a formulé trois principales propositions :
- d'une part, généraliser à l'ensemble des départements d'outre-mer les contrats d'objectifs fonciers existant à La Réunion. Il a précisé que ces contrats, passés entre l'Etat et les communes, visaient à inciter les communes à s'investir dans des programmes de mobilisation de la ressource foncière, en échange d'une priorité dans le bénéfice des crédits de la ligne budgétaire unique ;
- d'autre part, suivre l'exemple de l'Etablissement public foncier de La Réunion, qui mène une politique efficace de libération du foncier en faveur du logement ainsi que de diminution des coûts des terrains. Il a jugé que cette action devait être soutenue et étendue à l'ensemble de l'outre-mer ;
- enfin, recentrer la défiscalisation sur le logement social, afin, d'une part, de limiter ses effets pervers sur le prix des terrains et, d'autre part, de fournir au logement social le soutien financier supplémentaire dont il avait besoin.
Pour répondre aux besoins pressants, il a estimé nécessaire d'adapter plus systématiquement les paramètres de financement du logement social à l'évolution du coût des constructions. Il a ainsi observé que les augmentations conjuguées des coûts des matières premières, des transports maritimes et des ressources foncières nécessitaient une amélioration des paramètres qui déterminent le niveau des subventions accordées par l'Etat.
Il a affirmé que la situation très critique du logement en outre-mer nécessitait, à l'avenir, d'en faire la priorité financière absolue des politiques à destination de l'outre-mer.
Un large débat s'est alors instauré.
M. François Trucy s'est interrogé, d'une part, sur les modalités de gestion du parc social en outre-mer et, d'autre part, sur les conséquences que pouvait avoir la croissance démographique sur la situation du logement dans les collectivités territoriales d'outre-mer.
M. Henri Torre, rapporteur spécial , a indiqué que le modèle de gestion du parc social dans les départements d'outre-mer était proche de celui de la métropole. Par ailleurs, il a convenu que la croissance démographique de nombreuses collectivités territoriales d'outre-mer amplifiait leurs difficultés en matière de logement. Il a jugé que l'écart de développement entre les collectivités territoriales d'outre-mer et leurs voisins géographiques était facteur d'importants mouvements migratoires.
M. Christian Cointat, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois , a souligné que les mouvements de population internes à certaines collectivités territoriales d'outre-mer, notamment en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, posaient des problèmes sociaux au-delà de la seule question du logement. Il a insisté sur la nécessité de favoriser la création, pour ces migrants, de débouchés sur le marché du travail. Il s'est interrogé sur les actions à mettre en oeuvre, en dehors du secteur du logement, pour promouvoir le développement économique de l'outre-mer.
M. Henri Torre, rapporteur spécial , est convenu que la question du développement économique de l'outre-mer était difficile à résoudre. Il s'est inquiété de l'absence, dans la majorité des collectivités territoriales d'outre-mer, de « socles de base » permettant d'assurer un développement économique endogène. Il a jugé nécessaire que des dispositions soient prises pour limiter les fortes disparités sociales existant au sein de chaque collectivité territoriales d'outre-mer.
M. Christian Cointat, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois , a souligné la nécessité de soutenir, par exemple, le développement des secteurs du tourisme et de la perliculture en Polynésie française. Il a estimé que les différents dispositifs de défiscalisation devaient être évalués au regard de l'ensemble de leurs retombées économiques à long terme, et non uniquement au regard de leur coût à court terme pour les finances publiques.
M. Henri Torre, rapporteur spécial , a regretté que les dispositifs de défiscalisation profitent plus aux intermédiaires financiers, qui se rémunèrent par des commissions, qu'aux populations d'outre-mer les plus démunies. Il a jugé que le nombre d'emplois créés par la défiscalisation en outre-mer était faible au regard du montant de la dépense fiscale.
A ce sujet, M. Jean Arthuis, président , a souligné l'existence de différences importantes entre le montant souscrit par les foyers fiscaux souhaitant bénéficier de la défiscalisation et les montants réellement investis outre-mer, du fait de la rémunération des intermédiaires financiers.
M. Henri Torre, rapporteur spécial , a estimé qu'une grande conférence nationale, sous l'autorité du Président de la République, devait être organisée pour étudier les problèmes rencontrés par le développement économique de l'outre-mer et y apporter des solutions. Il a estimé que les efforts financiers consacrés à l'outre-mer étaient importants et qu'il fallait s'assurer qu'ils produisent de meilleurs résultats.
M. Yves Fréville s'est interrogé sur les préjudices économiques causés par l'absence de taux de change permettant de servir de variable d'ajustement aux économies ultramarines lorsqu'elles font face à des chocs économiques.
M. Henri Torre, rapporteur spécial , est convenu qu'il fallait rester attentif à l'environnement économique des collectivités territoriales d'outre-mer, qui les place dans une situation très différente de celle de la métropole.
M. Georges Othily a souligné son accord avec les propositions formulées par M. Henri Torre. Il s'est notamment déclaré favorable à l'organisation d'une grande conférence sur les problèmes spécifiques de l'outre-mer proposée par le rapporteur spécial et insisté sur la nécessité de mieux associer les élus d'outre-mer à la réflexion menée sur le développement économique de ces territoires. Il a par ailleurs regretté la complexité de l'organisation de l'exploitation minière de la Guyane. En matière de logement, il a jugé qu'outre la question du foncier, une attention particulière devait être accordée au mode de formation des prix en outre-mer. Enfin, il a proposé de développer un modèle économique de substitution aux importations en outre-mer.
M. Daniel Marsin s'est réjoui de l'intérêt porté par le rapporteur spécial à la question du logement en outre-mer. Il s'est fait l'écho des inquiétudes des bailleurs sociaux, pour qui le recentrage de la défiscalisation sur le logement social risque de se faire au détriment des crédits de la ligne budgétaire unique. Il a souhaité que ce point soit clarifié, jugeant pour sa part que la défiscalisation devrait s'ajouter à la ligne budgétaire unique et non la remplacer. Il s'est par ailleurs soucié de la complexité des dossiers de défiscalisation que devraient monter les bailleurs sociaux.
Reconnaissant certains effets pervers de la défiscalisation appliquée au logement locatif libre, il a toutefois jugé que l'accession à la propriété devait être préservée, ainsi que le logement intermédiaire, qui répondait à un réel besoin en outre-mer. Enfin, il a estimé que les paramètres de financement des logements sociaux devaient être adaptés pour prendre en compte les coûts croissants auxquels font face les bailleurs sociaux.
En réponse à M. Daniel Marsin, M. Henri Torre, rapporteur spécial , est convenu qu'il faudrait maintenir le niveau de la ligne budgétaire unique si le dispositif de la défiscalisation était recentré sur le logement social. Concernant les logements libres et intermédiaires, il a jugé que le recentrage de la défiscalisation devrait être progressif, afin de ne pas déstabiliser les économies d'outre-mer.
Enfin, M . Jean Arthuis, président , a insisté sur la nécessité que les habitations produites grâce à la défiscalisation trouvent preneurs. Il a souhaité qu'un regard objectif soit porté sur les conditions permettant un développement économique durable des collectivités territoriales d'outre-mer.
La commission a alors donné acte au rapporteur spécial de sa communication, et décidé, à l'unanimité, d'en autoriser la publication, sous la forme d'un rapport d'information.