B. LA RÉUNION DE LA COMMISSION LIBE
Le thème de la réunion portait sur la proposition de révision de la décision-cadre de 2002, et plus particulièrement sur la nouvelle infraction de provocation publique à commettre des infractions terroristes.
Cette proposition part du constat qu'Internet est utilisé par les terroristes pour diffuser des informations, mobiliser les réseaux et recruter de nouveaux candidats au terrorisme.
Toutefois, comme le souligne la commission LIBE, l'ajout de ces nouvelles infractions doit prendre garde à ne pas porter atteinte à la liberté d'expression. Il en va ainsi en particulier de l'infraction de provocation publique à commettre des infractions terroristes. La définition des éléments constitutifs de cette infraction requiert un soin particulier.
Bien que le thème de la réunion fût précis, les débats furent plus larges.
M. Max-Peter Ratzel, directeur d'Europol, a présenté le récent rapport d'Europol sur l'état de la menace terroriste en 2007 et pour 2008 52 ( * ) . Il a indiqué qu'en 2007, 4 attentats liés au terrorisme islamiste avaient été commis. De manière générale, il a déclaré que les réseaux pakistanais étaient les plus actifs et constituaient la principale menace. A moyen terme, il a mis en garde contre le retour en Europe des djihadistes européens partis combattre en Irak, en Afghanistan ou en Somalie.
M. Gilles de Kerchove a confirmé cette analyse. Il a en outre indiqué que la communication et la propagande d'Al Qaïda s'étaient beaucoup développées, cette organisation communiquant en moyenne tous les trois jours. Concernant la lutte anti-terroriste au niveau de l'Union européenne, malgré les progrès, il a regretté que les instruments européens mis à la disposition des États-membres ne soient pas plus utilisés par eux (Europol, équipes communes d'enquête). Il a jugé nécessaire qu'un grand débat s'engage pour définir les limites que la lutte antiterroriste ne doit pas dépasser pour respecter les libertés fondamentales, regrettant que l'on procède toujours au coup par coup.
Faisant le bilan de la décision-cadre de 2002, Mme Michèle Coninsx, députée belge et spécialiste d'Eurojust, a indiqué que ce texte avait permis de rapprocher les qualifications juridiques, seuls quelques pays confrontés de longue date au terrorisme disposant à l'époque de dispositions pénales spécifiques.
M. Dick Marty, membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, et de nombreux parlementaires européens ou nationaux ont exprimé leurs craintes concernant la rupture de l'équilibre entre liberté et sécurité.
M. Dick Marty a également regretté que la proposition de décision-cadre soit invoquée par de nombreux Etats-membres pour ne pas ratifier la convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme.
Il a également jugé la proposition de décision-cadre moins protectrice que la convention. Celle-ci contient une clause de sauvegarde (article 12) disposant que l'application des infractions de provocation publique et de recrutement aux fins de terrorisme doit se faire dans le respect de la convention européenne des droits de l'homme et du principe de proportionnalité. Or, cette clause n'est pas reprise dans le dispositif de la décision-cadre.
M. Gilles de Kerchove et Mme Carmen Guillen Sanz, représentante de la Commission européenne, ont indiqué qu'il n'était pas nécessaire de reprendre l'article 12 de la convention, les principes généraux du droit de l'Union européenne s'appliquant naturellement à la proposition de décision-cadre. Lors de son intervention, votre rapporteur a également déclaré que la reprise de l'article 12 était inutile, voire dangereuse, car le rappel systématique de ces principes pourrait laisser croire que lorsqu'ils ne sont pas rappelés, par une interprétation a contrario, ils ne s'appliquent pas. Il convient avant tout de faire confiance aux juges.
Votre rapporteur a également présenté rapidement à la tribune l'expérience française en matière de terrorisme ainsi que l'impact de la décision-cadre de 2002 sur notre législation.
Concernant le dispositif français de lutte antiterroriste, il a rappelé que notre pays avait une expérience ancienne, la première législation spécifique ayant été adoptée après la vague d'attentats de 1986. A l'époque, le législateur avait constaté que le droit pénal de droit commun était inadapté à la lutte contre le terrorisme.
Le législateur a ensuite régulièrement adapté la législation relative au terrorisme, de la même façon que le gouvernement a sans cesse adapté l'organisation des forces de sécurité et de renseignement aux évolutions de la menace terroriste. Plusieurs lois ont rythmé ces évolutions : loi du 9 septembre 1986, lois du 22 juillet 1996 et du 30 décembre 1996 à la suite des attentats de 1995 et 1996, loi du 15 septembre 2001 en réaction aux attentats du 11 septembre 2001, loi du 4 mars 2004, loi du 23 janvier 2006.
Ces différents textes ont toujours maintenu l'architecture générale de la lutte anti-terroriste en France, c'est-à-dire : la centralisation des affaires terroristes au TGI de Paris, des règles procédurales communes à la grande criminalité mais présentant quelques spécificités, des incriminations spécifiques, le développement du renseignement et l'unité du dispositif policier.
Se fondant sur les bons résultats du système français, il a plaidé pour sa transposition au niveau européen avec un système de poursuites unifiées dans le cadre d'Eurojust. De manière générale, il a déclaré que si les textes européens en cette matière allaient dans le bon sens, ils restaient très insuffisants et manquaient d'une cohérence d'ensemble faute d'une réelle volonté d'élever la lutte antiterroriste au niveau européen. Il a estimé que les coopérations étaient surtout bilatérales et continuaient à relever du « bricolage ».
Pour changer d'échelle, il a proposé la mise en place de coopérations renforcées qui seraient lancées par le Parlement européen ou la Commission européenne de manière à ce que ces initiatives ne soient pas suspectes d'être le fait d'un petit groupe d'Etats.
Concernant la mise en oeuvre de la décision-cadre de 2002, votre rapporteur a indiqué qu'elle n'avait pas requis l'adoption de dispositions législatives spécifiques, la législation française en matière de terrorisme étant déjà très complète.
* 52 Rapport TE-SAT 2008.