e) Approche politique
La France, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont insisté auprès du président de la Commission européenne, M. Romano PRODI, par une lettre du 20 septembre 2003, sur la nécessité de concilier la protection de la santé et de l'environnement avec la compétitivité de l'industrie chimique européenne .
Cette intervention des plus hautes autorités politiques de ces États, le Président de la République française, M. Jacques CHIRAC, le Premier ministre britannique, M. Tony BLAIR, et le Chancelier allemand, M. Gerhard SCHRÖDER, a constitué une innovation dans l'élaboration d'une réglementation européenne dans un secteur très technique.
Cela peut s'expliquer par le fait que le secteur de la chimie est un secteur économique stratégique dans lequel l'industrie chimique européenne se situe au premier rang mondial (28 % du marché, un excédent commercial de 12 milliards d'euros, 1,7 million d'emplois en 2000).
Ces considérations ont aussi pesé dans le libellé même de la saisine de l'OPECST par la Commission des affaires économiques du Sénat sur les éthers de glycol qui a mis sur le même plan les « enjeux économiques » et la « protection des consommateurs » mais citant en premier les enjeux économiques.
f) L'appréciation critique de REACH
Comme déjà décrit ci-dessus, la réglementation française des produits chimiques repose sur plusieurs piliers de réglementation que REACH vient de remplacer.
Toutefois, REACH ne s'appliquera qu'aux substances chimiques utilisées en quantité supérieure à une tonne , voire exceptionnellement à des substances employées en quantité moindre si les pouvoirs publics en établissent la nécessité.
Mais ce critère du tonnage national , en apparence pertinent en termes d'environnement, peut perdre toute signification, par exemple, si une quantité importante du tonnage autorisé l'est sur un seul site . Qu'en est-il alors de la protection de la santé des travailleurs ?
De plus, qu'en est-il si de faibles doses d'une substance non enregistrée suffisent à produire des effets sur la santé ? C'est ainsi que, en raison du faible tonnage concerné, les cosmétiques échappent à REACH alors que ces produits sont en contact permanent avec la peau ; or, pour des produits de tonnage significatif, cet important degré d'exposition suffirait à entraîner un contrôle plus approfondi dans le cadre même de REACH. Il y a là une contradiction même si les cosmétiques sont soumis par ailleurs à la directive cosmétiques.
Qu'en est-il également des populations sensibles (nouveau-nés, enfants, femmes enceintes, asthmatiques, allergiques, immuno-déprimés...) et de la protection du développement de l'embryon et du foetus ?
Qu'en est-il enfin des nanomatériaux manufacturés aujourd'hui considérés comme des substances banales puisqu'il n'est pas tenu compte de leurs particularités de forme et de taille ?
Ces interrogations prennent un relief particulier du fait de la présence des ministères français chargés de l'environnement, de l'industrie et du travail dans les négociations - et qui semblent considérer avoir obtenu des arbitrages équilibrés - tandis que le ministère de la santé a été quasiment absent des négociations sur REACH . Est-ce une nouvelle manifestation du fait que ce ministère n'intègre généralement pas assez la prévention dans sa conception de la santé ?
De plus, REACH évalue des substances et non des produits. Or, le contrôle des produits en circulation reste à structurer en France . Les contrôles sont inégaux selon les produits, d'innombrables corps de contrôle existent, ce qui dilue déjà l'efficacité de leur action dénuée par ailleurs de stratégie d'ensemble.
Ce contrôle des produits en circulation relève du champ de la subsidiarité et se trouve donc hors de portée de REACH.
Enfin, l'objection des industriels relative au coût excessif de REACH omet de considérer la stimulation que les exigences de cette nouvelle procédure peut aussi représenter en favorisant à la fois l'abandon de produits peu rentables, le resserrement de la gamme de produits, les regroupements de structures de recherche, de tests voire d'entreprises, la renonciation à certains changements artificiels (produits légèrement modifiés rebaptisés tous les deux ou trois ans). Ce serait d'ailleurs la première fois que l'industrie ne tirerait pas partie d'un défi - qui est en outre de nature à améliorer son image auprès des consommateurs.
Après le vote du Parlement européen, le 13 décembre 2006, les écologistes ont regretté le renoncement à l'obligation de substitution.
Sur son blog , le 15 décembre 2006, le député Vert, M. Alain LIPIETZ a vivement déploré l'influence de « la toute puissante chimie allemande » et le fait qu'en plus « la chimie a gagné la bataille de la communication : cette REACH évidée, remplaçant l'obligation de substitution par de vagues engagements , est présentée comme une victoire des consommateurs et de la défense de l'environnement »... « la santé est la grande perdante ». Il a estimé que, par la suite, si les associations de consommateurs ou de malades savaient s'emparer de la directive responsabilité des entreprises en matière environnementale, elles pourraient faire des procès aux entreprises sur les molécules enregistrées par elles et leur dire : « Vous avez voulu les profits au détriment de la santé, vous avez ruiné notre santé et vous serez ruinées vous-mêmes ».
Pour discerner le vrai du faux dans l'ensemble des questions évoquées ci-dessus, l'OPECST a considéré qu'il ne pouvait se désintéresser des effets sur la santé et l'environnement des substances chimiques d'usage courant au motif de la mise en place de REACH . Sans compter que d'importants délais (des années) seront encore nécessaires pour que les évaluations opérées du fait de REACH aient quelque impact en matière de protection de la santé.