2. ... qui doivent être contredits
Les simulations utilisées pour apprécier les effets économiques externes des politiques budgétaires nationales dépendent, en fait, de l'estimation de l'impact de la relance budgétaire sur l'économie qui en est à l'origine : que celui-ci soit faible, alors les externalités le sont aussi ; qu'il soit important, les effets externes le sont également.
L'utilisation des modèles macroéconométriques présente l'avantage inestimable d'éclairer les diagnostics économiques, en promouvant un haut degré de rigueur analytique là où prévalent trop souvent l'expression de simples opinions et, finalement la production de préjugés plus ou moins cohérents.
Il reste que les modèles économiques ne peuvent techniquement ambitionner de décrire les mécanismes économiques qu'au prix d'hypothèses plus ou moins robustes. Tout l'enjeu scientifique des modèles réside dans le degré de cette robustesse.
•
Or, les caractéristiques techniques
essentielles des modèles utilisés pour nier l'opportunité
de la coordination des politiques budgétaires en Europe - qui sont
présentées en annexe - conduisent nécessairement, avec le
jeu d'hypothèses exogènes employé, à limiter les
effets expansionnistes de la politique budgétaire
.
Ces modèles conduisent d'ailleurs à une conclusion beaucoup plus globale encore que celle de l'inefficacité des politiques de relance budgétaire : l'absence d'effet de tout choc de demande.
• Le tableau ci-après qui résume les
estimations des effets sur l'économie domestique d'une relance
budgétaire en Allemagne en témoigne.
PROFIL TEMPOREL DE L'IMPACT SUR L'ÉCONOMIE
INTÉRIEURE D'UNE POLITIQUE BUDGÉTAIRE EXPANSIONNISTE
EN
ALLEMAGNE, DE 1 POINT DE PIB (EN POINTS DE PIB)
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
|
Marmotte |
- 0,07 |
- 0,12 |
- 0,18 |
- 0,19 |
- 0,19 |
- 0,18 |
- 0,17 |
- 0,16 |
- 0,15 |
- 0,14 |
MULTIMOD |
1,20 |
0,88 |
0,46 |
0,09 |
- 0,19 |
- 0,38 |
- 0,41 |
- 0,36 |
- 0,25 |
- 0,07 |
NiGEM |
0,96 |
0,51 |
0,36 |
0,31 |
0,28 |
0,19 |
0,06 |
- 0,03 |
- 0,09 |
- 0,15 |
QUEST |
0,41 |
0,05 |
0,02 |
0,0 |
- 0,02 |
- 0,03 |
- 0,04 |
- 0,05 |
- 0,05 |
- 0,02 |
Moyenne |
0,63 |
0,33 |
0,17 |
0,05 |
- 0,08 |
- 0,10 |
- 0,14 |
- 0,15 |
- 0,14 |
- 0,10 |
Source : Gros et Hobza
EFFETS SUR LE NIVEAU DES PRIX EN ALLEMAGNE D'UNE RELANCE BUDGÉTAIRE EFFECTUÉE DANS CE PAYS (EN POINTS DE PIB)
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
|
Marmotte |
0,71 |
0,69 |
0,66 |
0,62 |
0,58 |
0,53 |
0,50 |
0,46 |
0,43 |
0,40 |
MULTIMOD |
0,68 |
0,78 |
0,60 |
0,32 |
0,04 |
- 0,18 |
- 0,31 |
- 0,36 |
- 0,37 |
- 0,35 |
NiGEM |
0,02 |
0,31 |
0,65 |
0,87 |
1,01 |
n.a. |
n.a. |
n.a. |
n.a. |
n.a. |
QUEST |
0,09 |
0,13 |
0,15 |
0,16 |
0,16 |
0,16 |
0,17 |
0,17 |
0,18 |
0,17 |
Source : Gros et Hobza
Dans deux modèles, l'impact d'une politique budgétaire expansionniste est soit insignifiant (Quest), soit même négatif (Marmotte) au bout d'un an. Dans les deux autres modèles (Multimod et NiGEM), l'effet de la relance, élevé la première année, se réduit rapidement au cours du temps.
En moyenne, le multiplicateur budgétaire, déjà inférieur à l'unité la première année, diminue encore au-delà si bien qu'au bout de quatre ans, la politique budgétaire a perdu l'essentiel de ses effets favorables sur la croissance économique.
a) Des présupposés théoriques et des hypothèses exogènes particulières...
Ces résultats proviennent d'abord des présupposés théoriques à la base de la construction de la plupart des modèles en cause .
Ils comportent, systématiquement, en leur accordant plus ou moins de place, des paramètres d'équilibrage inspirés du paradigme néo-classique et des anticipations rationnelles.
LES PRÉSUPPOSÉS DES MODÈLES CONDUISENT À RÉCUSER L'INTÉRÊT DE LA COORDINATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES Deux présupposés théoriques prédéterminent, plus ou moins, les modèles dont les résultats sont exploités par les études concluant à l'inutilité de la coordination des politiques budgétaires en Europe : - la théorie néo-classique de la croissance d'équilibre ; - la théorie des anticipations rationnelles. Ces deux théories conduisent, plus globalement, à récuser les bénéfices des politiques budgétaires de relance, et, au contraire, à recommander, pour leurs vertus d'accélération de la croissance économique, les politiques d'excédents budgétaires. Le paradigme néo-classique prétend qu'il existe un sentier de croissance équilibré dont les dysfonctionnements ne sauraient résulter que des perturbations occasionnées par les interventions publiques. Celles-ci ne sont justifiées que dans les cas particuliers de défaillance du marché. Hors ces configurations, toute intervention publique est inutile - la puissance du sentier d'équilibre est telle qu'on ne peut rien contre elle - et nocive - si l'activité réelle n'y réagit pas, les prix, eux, sont flexibles et susceptibles d'augmenter. Quant à la théorie des anticipations , elle conduit à établir que le maniement de l'instrument budgétaire à des fins de stabilisation se heurte nécessairement aux anticipations des agents économiques. Des arguments théoriques , connus sous le nom de théorème d'équivalence de Ricardo-Barro, suggèrent que la mise en oeuvre d'une politique budgétaire restrictive pourrait, dans certaines circonstances, ne pas entraîner de contraction de la demande totale (et vice versa ). La baisse de la consommation et des investissements publics serait contrebalancée par une hausse de la consommation privée (c'est-à-dire une baisse du taux d'épargne des ménages). En effet, dès lors que les ménages ont le « souci du futur » , c'est-à-dire que leur consommation ne dépend pas de leur seul revenu courant, mais aussi de leurs anticipations de revenus futurs - leur « revenu permanent » -, et que le système financier leur permet d'effectuer aisément des arbitrages entre leur consommation actuelle et leur consommation future (c'est-à-dire que les ménages disposent d'une gamme étendue de produits financiers pour leur épargne et d'un accès facile au crédit), une réduction des dépenses ou des déficits publics peut accroître la consommation privée selon les mécanismes suivants : - Si les ménages sont convaincus qu'une hausse des prélèvements fiscaux est inéluctable à moyen terme (pour stabiliser la dette publique), ils se sont déjà constitués une épargne supplémentaire en vue de ces impôts futurs. Inversement, l'annonce que l'ajustement budgétaire ne sera pas différé non seulement ne réduit pas la consommation (les ménages puisent dans cette épargne accumulée), mais peut même l'accroître si la résolution aujourd'hui des difficultés budgétaires les rassure pour l'avenir. - De manière similaire, si une politique budgétaire restrictive réduit le risque d'une répudiation prochaine de la dette publique (par l'inflation ou la dévaluation) et d'une crise financière , cela augmente la probabilité d'une croissance saine à moyen terme, donc des revenus futurs des ménages ; cette « bonne nouvelle » les incite à accroître immédiatement leur consommation. - Enfin, si la politique budgétaire restrictive s'accompagne d'une diminution des dépenses publiques perçues comme improductives , les ménages anticipent une meilleure allocation des ressources de la Nation et une augmentation de l'ensemble de leurs revenus disponibles futurs (c'est-à-dire de leur « revenu permanent »), ce qui est de nature à accroître immédiatement leur consommation. Il est à noter que ces anticipations favorables sont en partie « autoréalisatrices » : si une majorité des ménages estiment qu'une politique budgétaire « trop laxiste » était la cause principale des difficultés économiques et augmentent leur consommation à l'annonce d'une politique budgétaire restrictive, cette dernière est alors susceptible d'avoir un impact favorable sur la croissance. Tous ces arguments sont réversibles et utilisés pour affirmer qu'à l'inverse des politiques de relance budgétaire exercent des effets économiques défavorables . |
Ces mécanismes « surdéterminent » les résultats des simulations de politique budgétaire dans un sens défavorable .
L' ajout d'hypothèses « ad hoc » concernant l'impact des politiques budgétaires sur les conditions monétaires et financières renforce leurs mécanismes dans ce dernier sens.
Elles répondent également à des considérations théoriques , qui mettent en exergue l'existence d'un effet d'éviction et d' effets inflationnistes systématique dans toutes politiques de relance.
Sur ce dernier point, l'idée est qu'une relance aggrave systématiquement les tensions inflationnistes, qui seules peuvent expliquer l'existence d'un déséquilibre économique.
Dans un régime néoclassique, si la production n'est pas maximale, c'est que des rigidités nominales existent au terme desquelles les prix sont trop élevés. Tout supplément de demande alourdit ces difficultés.
L' inflation qui en résulte appelle un resserrement de la politique monétaire qui annihile l'effet de la relance sur la production réelle.
Quant à elle, la mobilisation de la théorie de l'effet d'éviction conduit à associer à toute politique budgétaire expansionniste une tension sur les taux d'intérêt .
LA THÉORIE DE L'EFFET D'ÉVICTION Selon cette approche théorique, les politiques budgétaires expansionnistes exerceraient un effet d'éviction , ce qui conduit à recommander de tendre vers une amélioration constante des soldes publics. En effet, la mise en oeuvre d'une politique budgétaire restrictive est susceptible de conduire à une baisse des taux d'intérêt à travers différents canaux de transmission : - La réduction du besoin de financement des administrations publiques permet une réduction du montant net des émissions de titres publics . Il en résulte a priori une baisse du prix du capital - le taux d'intérêt - sur les marchés obligataires. - L'assainissement de la politique budgétaire réduit « l'effet boule de neige » de l'endettement public, donc le risque de répudiation de sa dette par l'Etat (soit directement par défaut de paiement, soit indirectement grâce à une relance de l'inflation ou grâce à une dévaluation si la dette est libellée en monnaie nationale). Ceci diminue la prime de risque de change, et la prime de risque inflationniste attachées aux titres publics ou privés émis en monnaie nationale (en particulier à long terme), s'en trouvent réduites. - Plus généralement, si la situation budgétaire est fortement dégradée, une politique de réduction des déficits publics est de nature à améliorer la crédibilité de la politique économique d'ensemble , ce qui peut également permettre aux autorités monétaires de réduire les taux d'intérêt directeurs. - Enfin, lorsque la politique budgétaire restrictive exerce un effet de ralentissement de l'activité économique, ce phénomène est en lui-même susceptible de favoriser une baisse de l'ensemble des taux d'intérêt : d'une part, la diminution de l'investissement privé concourt avec la baisse des émissions de titres publics à une détente des taux de marché ; d'autre part, la contraction de la demande ralentit l' inflation , ce qui peut permettre aux autorités monétaires de réduire les taux d'intérêt de court terme . |
Dans ces conditions, l'effet de relance économique résultant de l'augmentation de la demande est contrecarré par une réduction de l'offre, si bien que ses incidences sur la croissance en volume de la production tendent à être négatives, dans un contexte où l'inflation doit systématiquement être combattue.