C. MULTIPLIER, MIEUX COORDONNER ET ÉVALUER LES EXPÉRIMENTATIONS

Au cours de ses travaux, la mission a pu entendre les différents acteurs investis dans des projets et des initiatives formuler le souhait de les voir s'inscrire dans la durée et de les laisser « fleurir », avant de chercher à les enserrer dans un cadre qui pourrait s'avérer trop rigide.

En effet, si les premiers « retours » du terrain sont très positifs, nous manquons encore du recul nécessaire pour en apprécier, concrètement et objectivement, les résultats. De plus, cette forme d' émulation entre les différents projets contribue, pour le moment, à créer un élan et une certaine effervescence qu'il serait dommage, à ce stade, de vouloir brider.

Néanmoins, plusieurs mesures semblent dès à présent impératives à mettre en oeuvre pour accompagner la dynamique et veiller, en particulier, à ce que ces actions, parties d'intentions nobles et louables, n'aboutissent pas, à terme, à créer de nouvelles inégalités entre les jeunes et les territoires.

1. Un préalable : développer des outils statistiques permettant d'évaluer les progrès réalisés

Comme l'a estimé M. Louis Schweitzer, président de la HALDE, lors de son audition devant la mission, « nous sommes encore au stade où il faut du « bouillonnement » » dans les projets, compte tenu du caractère très récent de la plupart des initiatives en cours.

Toutefois, il a reconnu, dans le même temps, que le « flou » suscité par cette phase de « bouillonnement » devait être compensé par une démarche systématique et renforcée de suivi des expériences mises en oeuvre.

Cette exigence apparaît en effet indispensable pour pouvoir apprécier, d'une part, les résultats des projets sur la base de critères et d'indicateurs partagés, et, d'autre part, pour baliser la route et assurer un relai crédible et efficace aux initiatives qui ont été lancées .

Chacun des dispositifs mis en place a prévu une évaluation interne de ses résultats, à la fois sur un plan quantitatif et qualitatif.

Ainsi, concernant l'expérimentation conduite au lycée Henri IV, précisons qu'une évaluation intermédiaire doit être établie chaque année, qui indiquera notamment le nombre d'élèves tutorés, le nombre d'étudiants-tuteurs et le nombre d'élèves entrant en classe préparatoire intégrée à une école. En outre, au terme des trois ans, une évaluation complète sera présentée.

L'encadré suivant présente le dispositif d'évaluation qu'a tenté de définir la Conférence des grandes écoles dans le cadre du programme « Une grande école, pourquoi pas moi ? », soulignant la difficulté de trouver des indicateurs pertinents à cette fin.

UN EXEMPLE DE DISPOSITIF D'ÉVALUATION INTERNE :
LE PROGRAMME « UNE GRANDE ÉCOLE, POURQUOI PAS MOI ? »

Le premier indicateur proposé pourrait être le pourcentage de lycéens qui entreront effectivement dans une grande école après avoir suivi une classe préparatoire. Cet indicateur n'est pas complètement pertinent, les lycéens du programme n'ayant a priori ni plus ni moins de chance d'intégrer l'école que les autres lycéens, soit donc une probabilité très faible pour les grandes écoles. D'autres indicateurs sont donc proposés :

- le pourcentage de lycéens qui suivront le processus jusqu'au bout. Il est toutefois impossible d'ignorer que certains lycéens n'auront peut être pas la possibilité de suivre l'ensemble du cursus, pour des raisons qui leur seront propres, et ce malgré toute l'attention qui aura été portée tant à leur sélection qu'à leur accompagnement ;

- l'assiduité au programme est sans nul doute un gage de progression personnelle.

Une autre optique, en se rappelant que l'objectif du programme est « d'aider chaque jeune à trouver sa voie, et à aller au plus loin de ses capacités dans sa voie », est de quantifier :

- le nombre de jeunes qui quittent le dispositif en « ayant un projet professionnel et personnel » ;

- l'ambition de ces jeunes, en termes de nombre d'années d'études envisagées après le baccalauréat et de comparer ces indications à celles de jeunes « semblables » n'ayant pas suivi le dispositif.

Dans un souci d'objectivité et à l'initiative de l'inspection d'académie du Val d'Oise, une évaluation extérieure à l'ESSEC a été mise en place et s'étendra sur plusieurs années. Elle s'appuie sur deux outils logiciels :

- un outil de mesure de l'ambition personnelle d'un jeune ;

- un outil de mesure des représentations des métiers.

Ces outils seront utilisés auprès de trois échantillons de lycéens :

- échantillon 1 : tous les lycéens de la 4 e promotion du programme ;

- échantillon 2 : des lycéens hors programme, mais de même profil, dans les lycées partenaires ;

- échantillon 3 : des lycéens de même profil, mais dans un lycée non partenaire.

Ces tests démarrés en janvier 2006, seront passés en début de cycle sur les secondes et en fin de cycle sur ces mêmes jeunes, en terminale.

Il serait nécessaire, toutefois, de compléter ces évaluations par le développement d'outils statistiques communs, au niveau national et déclinés dans les académies , permettant d'évaluer les progrès réalisés en termes de diversité sociale et d'égalité des chances. Ces outils sont, en effet, insuffisants actuellement pour aboutir à une expertise solide de la situation.

La mission estime que ce suivi statistique devrait notamment reposer sur les piliers suivants :

- la création d'un indice sur le nombre d'élèves envoyés en classe préparatoire par lycée (nombre de candidatures adressées et acceptées, nombre d'inscriptions définitives, etc., en affinant les résultats selon que le lycée d'origine dispose, ou non, d'une offre de classes préparatoires) ;

- le suivi du cursus dans l'enseignement supérieur des élèves ayant bénéficié d'une action de tutorat au lycée , et notamment le taux d'accès - et de réussite - de ces élèves en classe préparatoire puis dans les grandes écoles ; il serait utile, comme l'a suggéré, lors de son audition, le président de l'association Tremplin, de comparer les choix d'orientation et la réussite de ces élèves « tutorés » à ceux d'un groupe « témoin », de caractéristiques scolaires et sociales équivalentes mais n'ayant pas bénéficié d'un tel accompagnement.


• Cette démarche d'évaluation s'inscrit, par ailleurs, dans la logique de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

On relèvera, en effet, que le programme 231 « Vie étudiante » de la Mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » comporte un objectif n° 1 visant à « promouvoir une égale probabilité d'accès des différentes classes sociales aux formations de l'enseignement supérieur » .

Cet objectif se décline en quatre indicateurs :

- « l'accès à l'enseignement supérieur des jeunes de 20/21 ans selon leur origine sociale » ; à cet égard, la cible à atteindre d'ici 2010 pour les enfants d'employés et d'ouvriers est fixée à 50 % (contre 43 % en 2006) ; à titre de comparaison, 78,5 % des jeunes issus de familles de cadres ou de professions intermédiaires accèdent à l'enseignement supérieur ;

- « l'évolution de la représentation des origines socioprofessionnelles des étudiants selon le niveau de formation » ; cet indicateur mesure la part des enfants d'ouvriers et d'employés aux niveaux Licence, Master et Doctorat ;

- « le taux de réussite des boursiers » en Licence et Master ;

- « le taux de paiement des bourses ».

Compte tenu des objectifs fixés par le Gouvernement en matière d'ouverture sociale des classes préparatoires aux grandes écoles, votre mission considère que cet objectif devrait être utilement complété par un indicateur mesurant l'évolution de la représentation des origines socioprofessionnelles des étudiants dans les classes préparatoires, ainsi que l'évolution de la part de boursiers.


Enfin, la question de la mesure de la diversité ne peut être abordée sans faire référence au débat actuel sur les « statistiques de type ethnique ».

Ce débat est sensible en France, l'idée républicaine d'équité et de non-discrimination rejetant, a priori, toute considération fondée sur les appartenances communautaires ou ethniques.

Toutefois, comme le relève le Conseil d'analyse de la société, présidé par l'ancien ministre de l'éducation nationale, M. Luc Ferry, dans un rapport collectif publié en 2005 : « il ne s'agit cependant pas d'occulter la réalité : on sait bien que les « minorités visibles » sont bien davantage victimes d'une ségrégation ou d'une discrimination que les autres, (...) mais on ne saurait pour autant réduire l'exclusion à un phénomène « ethnique ». » 58 ( * )

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a conduit cette année des auditions publiques sur la mesure de la diversité des origines et formulé, en mai 2007, dix recommandations 59 ( * ) visant à améliorer la lutte contre les discriminations : comme le souligne notre collègue Alex Türk, qui préside cette commission, « pour lutter contre les discriminations, encore faut-il pouvoir les identifier, les mesurer . Quels critères utiliser ? Quelles méthodes statistiques employer ? Qui peut le faire ? (...) Ces auditions ont montré une grande variété de points de vue, parfois des divergences, et la difficulté, en ce domaine, d'aboutir à un consensus. Néanmoins, un constat se dégage : la France doit améliorer son appareil statistique et des réponses peuvent d'ores et déjà être apportées pour faire progresser la connaissance de notre société et, par là même, mieux lutter contre les discriminations. »

Tout en affirmant ses fortes réserves à l'égard de la création d'un référentiel « ethno-racial », « répartissant la population dans des catégories aussi délicates à définir que contestables par principe » , la CNIL suggère notamment d' « utiliser les données « objectives » relatives à l'ascendance des personnes (nationalité et/ou lieux de naissance des parents) dans les enquêtes pour mesurer la diversité » (recommandation n° 2), dès lors que ces données seraient recueillies directement auprès des personnes concernées.

On relèvera, dans ce sens, que le centre d'études et de recherche sur les qualifications (CEREQ), de même que la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale, utilisent de telles données de façon ponctuelle, dans les enquêtes sur les sorties sans qualification du système scolaire notamment.

Votre mission considère que ces données pourraient être prises en compte de façon plus systématique, avec les précautions méthodologiques nécessaires, dans les études destinées à mesurer les inégalités d'accès aux différentes filières de l'enseignement supérieur.

* 58 « Pour une société de la nouvelle chance. Une approche républicaine de la discrimination positive », Conseil d'analyse de la société, 2005.

* 59 « Mesure de la diversité, statistiques ethniques, égalité des chances : les 10 recommandations de la CNIL », 16 mai 2007.

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