VI. LE PARLEMENT AUTRICHIEN, UN FONCTIONNEMENT MARQUÉ PAR UNE PARTICIPATION ACTIVE AU PROCESSUS DÉCISIONNEL COMMUNAUTAIRE ET UN CONTRÔLE EFFICACE DU GOUVERNEMENT
Population : 8,1 millions d'habitants |
Superficie : 83.850 km² |
Régi par la constitution de 1920, élaborée par le juriste Hans Kelsen, le système institutionnel autrichien reflète la relative centralisation de l'État fédéral autrichien. Le Conseil fédéral (ou Bundesrat), représentant les diètes régionales, n'y joue qu'un rôle secondaire par rapport au Conseil national (ou Bundestag).
A l'issue des élections du 1 er octobre 2006, le SPÖ (Parti social-démocrate) et l' ÖVP (Parti populaire autrichien) ont formé un gouvernement de grande coalition, dirigé par le Chancelier social-démocrate Alfred Gusenbauer. Wilhelm Molterer, président de l'ÖVP, a été nommé Vice-Chancelier et ministre des Finances ; l'ÖVP a obtenu le même nombre de ministres et de secrétaires d'État que le SPÖ. Cet accord entre les deux principaux partis autrichiens est conforme à la tradition politique du pays, marquée par la « culture du compromis ».
A. UNE PROCÉDURE LÉGISLATIVE MARQUÉE PAR UNE PROGRAMMATION ANTICIPÉE DES TRAVAUX ET UN BICAMÉRISME TRÈS DÉSÉQUILIBRÉ
1. Un ordre du jour fixé un an à l'avance
Le parlement autrichien suit un régime de session unique de dix mois, d'octobre à juillet.
Dans les deux assemblées, le calendrier législatif comme les jours et horaires des séances sont, en principe, fixés par les Présidents des assemblées . Ces derniers ont cependant l'obligation de consulter la Conférence des Présidents (Präsidialkonferenz), composée des Présidents des groupes politiques et vice-présidents des deux chambres.
Au terme de cette consultation, le calendrier parlementaire est établi un an à l'avance pour une durée de plusieurs mois, sous réserve de la tenue d'éventuelles sessions extraordinaires . Dans chacune des deux assemblées, les débats en séance publique ont lieu une semaine par mois , les mercredi, jeudi et éventuellement vendredi. Ils sont précédés de deux semaines de travail en commission et sont suivis d'une semaine en circonscription électorale. Le Conseil fédéral siège deux semaines après le Conseil national afin de permettre aux Länder de prendre connaissance du texte adopté par ce dernier et de préparer ainsi la position qui sera exprimée par la chambre fédérale.
Mme Susanne Bachmann, directrice du service législatif du Bundesrat, a indiqué à la mission que le Bundesrat examinait parfois sept textes de loi en l'espace de huit ou neuf heures .
Pour des raisons liées à la procédure parlementaire qui seront développées plus loin, le Conseil fédéral siège nettement moins que le Conseil national .
Les séances plénières au parlement autrichien |
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Session |
Conseil fédéral |
Conseil national |
|
Jours de séances |
Jours de séances |
Durée totale |
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2006 |
11 |
29 |
229 h 05 |
2005 |
12 |
42 |
283 h 30 |
2004 |
13 |
50 |
324 h 34 |
2. Une procédure législative marquée par la prééminence du Conseil national
Si, aux termes de l'article 24 de la Constitution, le pouvoir législatif de la Fédération appartient concurremment au Conseil national, élu au suffrage universel direct, et au Conseil fédéral, désigné par les diètes régionales 109 ( * ) , la pratique révèle un bicamérisme fortement inégalitaire.
• Une initiative législative du Bundesrat très encadrée
Le système institutionnel autrichien réserve une place très limitée au Bundesrat en matière d'initiative législative.
En effet, tandis que la signature de cinq députés suffit pour déposer une proposition de loi, il faut le tiers des membres du Conseil fédéral ou le vote d'une délibération à la majorité des conseillers fédéraux pour aboutir au même résultat.
En pratique, seulement 1 % des textes examinés proviennent du Conseil fédéral, contre près de 30 % pour le Conseil national .
Ce très faible pourcentage pour le Conseil fédéral trouve son explication dans le fonctionnement interne du Parlement. Les conseillers nationaux et les conseillers fédéraux se côtoyant au sein de leurs groupes politiques 110 ( * ) , communs aux deux chambres, la logique de groupe l'emporte sur la logique d'assemblée. A cet égard, Mme Susanne Bachmann, citant l'exemple du Sénat français à l'origine de plusieurs initiatives législatives sur d'importants sujets de société (violences conjugales, législation funéraire...), a regretté le manque d'initiatives du Conseil fédéral.
En revanche, le Conseil national jouit en termes d'initiative parlementaire d'une situation relativement favorable , les propositions de loi constituant une alternative lorsque le gouvernement rencontre des difficultés pour présenter un texte. En effet, le gouvernement ne peut présenter un projet de loi que si le texte fait l'unanimité en son sein. Ainsi, un projet défendu par un ministre social-démocrate, mais rejeté par les ministres du parti populaire, ne sera pas présenté sous forme de projet de loi gouvernemental, mais a de bonnes chances de voir le jour sous forme d'une proposition de loi du groupe « SPÖ » au Conseil national. Toutefois, le recours à cette procédure augure mal du succès du texte.
• Une procédure législative marquée par l'importance du travail en commission
Le Conseil national examine systématiquement les textes de loi en premier lieu, qu'ils émanent du gouvernement, de ses propres rangs ou du Conseil fédéral.
Si le règlement du Conseil national prévoit une première lecture dont l'objet est de débattre des grandes orientations du texte proposé, l'assemblée peut, dans la plupart des cas, en faire l'économie. En pratique, à l'exception du projet de loi de finances initial qui fait l'objet d'un débat d'orientation, le texte est directement renvoyé à la commission compétente qui procède à un examen détaillé de ses dispositions.
Il n'existe pas moins de 32 commissions ou sous-commissions au Conseil national, ce qui rapproche son fonctionnement du système parlementaire allemand (une commission par ministère). Les députés du Conseil national ont fait valoir que ce mode d'organisation favorisait la spécialisation de quelques parlementaires et enrichissait la qualité des débats . Ils ont ajouté que le Conseil national envisageait d'ailleurs la création prochaine de nouvelles commissions.
Commissions du Conseil national |
1. Commission principale |
2. Sous-commission permanente de la commission principale |
3. Commission du travail et des affaires sociales |
4. Commission des affaires étrangères |
5. Commission de la construction |
6. Commission du budget |
7. Sous-commission permanente de la commission du budget |
8. Commission de la famille |
9. Commission des finances |
10. Commission de l'ordre du jour |
11. Commission de la santé |
12. Commission de l'égalité des chances |
13. Commission des immunités |
14. Commission de l'industrie |
15. Commission des affaires intérieures |
16. Sous-commission permanente de la commission des affaires intérieures |
17. Commission de la justice |
18. Commission des affaires culturelles |
19. Commission de la défense nationale |
20. Sous-commission permanente de la commission de la défense nationale |
21. Commission de l'agriculture et des forêts |
22. Commission des pétitions et des initiatives populaires |
23. Commission de la cour des comptes |
24. Sous-commission permanente de la commission de la cour des comptes |
25. Commission de l'environnement |
26. Commission de l'enseignement |
27. Commission des incompatibilités |
28. Commission de la constitution |
29. Commission des transports |
30. Commission des affaires économiques |
31. Commission de la science et de la recherche |
32. Commission permanente conjointe au sens du paragraphe 9 de la loi constitutionnelle sur les finances de 1948 |
La commission désigne, après avoir débattu du texte, un rapporteur (Berichterstatter) qui rédige un rapport résumant le résultat des délibérations et des amendements de la commission et contenant en annexe les amendements non retenus par la commission. Ce rapport, cosigné par le rapporteur et le président de la commission, est ensuite imprimé et distribué à l'ensemble des parlementaires avant la discussion en séance plénière.
• Les pouvoirs du Conseil fédéral : un droit de veto suspensif qui peut être aisément surmonté
Toute décision du Conseil national doit être immédiatement transmise à une des dix-sept commissions compétentes du Conseil fédéral.
Commissions du Conseil fédéral |
1. Commission du travail, de la santé et des affaires sociales |
2. Commission des affaires étrangères |
3. Commission de la femme et des consommateurs |
4. Commission des affaires intérieures |
5. Commission de l'agriculture et des forêts |
6. Commission de l'environnement, de la jeunesse et de la famille |
7. Commission de l'enseignement et des affaires culturelles |
8. Commission de la constitution et des affaires fédérales |
9. Commission des affaires économiques |
10. Commission de la science et des transports |
11. Commission des affaires européennes |
12. Commission des finances |
13. Commission de l'ordre du jour |
14. Commission de la justice |
15. Commission de la défense nationale |
16. Commission permanente conjointe au sens du paragraphe 9 de la loi constitutionnelle sur les finances de 1948 |
17. Commission des incompatibilités |
Le Bundesrat, sur les conclusions de la commission compétente, dispose de huit semaines pour :
- décider d'émettre un veto motivé (article 42 de la Constitution fédérale) ;
- décider de ne pas émettre de veto ;
- laisser courir le délai de huit semaines sans prendre de décision, ce qui revient à une acceptation implicite du texte .
Dans les deux dernières hypothèses, la procédure législative s'achève avec la signature de la loi par le Président fédéral.
En revanche, l'expression d'un veto conduit à un renvoi du texte au Conseil national. Ce dernier dispose alors de trois possibilités :
- s'il s'abstient de procéder à une nouvelle délibération sur le texte contesté, le processus législatif n'aboutit pas ;
- s'il modifie, ne serait-ce que sur un point, le texte d'origine, le nouveau texte est soumis à nouveau au Conseil fédéral ;
- s'il persiste dans son intention initiale, une décision de « persévérance » (Beharrungsbeschluss) du Conseil national peut être prise sous la seule condition d'une adoption à la majorité des députés et en présence d'au moins la moitié des membres du Conseil national.
En conséquence, le Conseil fédéral dépourvu du droit d'amendement , ne dispose que d'un droit de veto qui peut facilement être surmonté et ne peut, en toutes hypothèses, que retarder l'adoption d'une loi, mais jamais l'empêcher. C'est pourquoi on parle de « veto suspensif ».
Dans la pratique, les vetos du Conseil fédéral sont rares , eu égard à la prédominance de la logique partisane sur le sentiment d'appartenance à une assemblée. Les personnes rencontrées au cours du déplacement à Vienne ont mis en avant deux rares précédents. D'une part, en 1994, le Conseil fédéral s'était opposé à l'adoption d'une loi fédérale sur le chauffage de ville au motif que les Länder se voyaient refuser d'instituer des taxes écologiques. D'autre part, le veto a pu également être utilisé comme un moyen d'expression d'un désaccord politique - voire idéologique - en dehors de toute question de compétences ou de financement des Länder. C'est ce qui s'est produit dans les années 1970 lorsque l'opposition conservatrice manifesta son désaccord au projet de loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse.
La Constitution fédérale a néanmoins prévu deux séries de dérogations au schéma ainsi défini :
Il existe tout d'abord des cas où le Conseil fédéral dispose d'un pouvoir accru sous la forme d'un véritable droit d'approbation lui conférant la faculté d'empêcher l'entrée en vigueur de lois (« veto absolu »). L'article 44, deuxième alinéa, de la Constitution prévoit ainsi que les dispositions constitutionnelles restreignant le pouvoir législatif ou exécutif des Länder requièrent l'approbation du Conseil fédéral exprimée en présence de la moitié au moins de ses membres et avec une majorité des deux tiers des voix exprimées.
A l'inverse, il existe des cas dans lesquels le Conseil fédéral ne jouit d'aucune compétence et ne peut donc mettre en oeuvre son droit de veto suspensif. En application de l'article 42, cinquième alinéa, de la Constitution, le Conseil fédéral n'est pas appelé à intervenir dans les cas où les lois adoptées par le Conseil national concernent les finances de l'État fédéral ou le régime des biens appartenant à la Fédération.
* 109 Ces diètes ou « Landtage » sont des assemblées régionales présentes dans chacun des 9 Länder. Elles envoient entre 3 et 12 conseillers au Conseil fédéral selon le poids démographique du Land.
* 110 Les deux assemblées siègent dans les mêmes bâtiments.