C. LE RENFORCEMENT PROGRESSIF DU CONTRÔLE DE L'ACTIVITÉ GOUVERNEMENTALE PAR LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Comme l'a souligné le député Michel Wolter, la vie politique luxembourgeoise est caractérisée à la fois par une grande proximité entre les élus et la population, par de bonnes relations personnelles entre élus et par le faible nombre de points de discorde entre la majorité et l'opposition.
Toutefois, malgré cette culture politique consensuelle, la Chambre affirme de plus en plus son rôle de contrôle de l'action gouvernementale .
1. Le développement d'une culture du contrôle de l'action gouvernementale
a) Une réflexion en cours sur la formalisation des modalités de mise en cause de la responsabilité du gouvernement
Le gouvernement doit obtenir et conserver la confiance de la Chambre des députés. Le Grand-Duc peut quant à lui dissoudre la Chambre, ce qui provoque de nouvelles élections législatives dans un délai de trois mois36 ( * ).
Toutefois, si le Premier ministre est choisi par le Grand-Duc sur la base des résultats des élections législatives et présente ensuite son gouvernement à la Chambre, aucun texte ne prévoit les modalités par lesquelles cette dernière confirme sa confiance en l'exécutif ou, au contraire, met en cause sa responsabilité . Il n'existe donc pas formellement de procédure de blâme collectif ou de motion de censure.
Comme l'a rappelé M. Paul-Henri Meyers, président de la commission des affaires institutionnelles de la Chambre, en raison de la culture politique précitée, la coutume parlementaire a pu suffire jusqu'à aujourd'hui à régler les difficultés survenues entre la Chambre et le gouvernement : lorsqu'à de très rares occasions, la Chambre a eu des vélléités de censurer le gouvernement, ce dernier s'est retiré. Par ailleurs, au cours des cinquante dernières années, la Chambre a adressé deux blâmes individuels à des ministres qui ont démissionné.
Cependant , afin de clarifier l'état du droit et de préciser les procédures applicables, la commission des affaires institutionnelles de la Chambre mène à l'heure actuelle une réflexion pour inscrire ces dernières dans la Constitution ou, tout au moins, dans le Règlement .
b) Un contrôle budgétaire rigoureux
Chaque année, au cours du premier semestre, le Premier ministre fait à la Chambre une déclaration de politique générale sur l'état de la nation, suivie d'un débat général, qui doit être « évacué » (c'est-à-dire achevé) dans le délai d'une semaine .
Au moment d'arrêter les orientations budgétaires fondamentales de l'année suivante, le gouvernement consulte obligatoirement la Chambre des députés en sollicitant l'avis de sa commission des finances et du budget.
Tout comme le Conseil d'État et les chambres professionnelles, la Chambre des députés doit être saisie du projet de budget de l'État au plus tard lors de la troisième semaine d'octobre .
La commission des finances doit rendre son rapport au plus tard le 30 novembre et les autres commissions peuvent être saisies pour avis.
De plus, chaque membre, commission ou groupe de la Chambre a le droit de faire parvenir des notes écrites à la commission des finances, de lui poser des questions et de lui transmettre des questions à poser au gouvernement ou à un ministre. Les membres du gouvernement doivent y répondre dans les dix jours suivant leur réception. Questions et réponses sont ensuite publiées sous forme d'annexe au rapport de la commission.
La discussion du projet de loi de finances en séance plénière est limitée à une semaine . Les différents votes ont lieu au plus tard le jeudi de la troisième semaine du mois de décembre 37 ( * ) .
Enfin, une commission spécifique, présidée par un membre de l'opposition parlementaire, a été mise en place récemment pour surveiller l'exécution budgétaire.
c) L'existence d'une commission parlementaire chargée du contrôle du service de renseignement de l'État
Composée des présidents de groupes politiques de la Chambre, la commission de contrôle parlementaire du service de renseignement de l'État est informée sur les activités de ce service par son directeur et est autorisée à prendre connaissance de toutes les informations qu'elle juge pertinentes pour procéder à des contrôles, à l'exception de celles qui permettraient l'identification d'une source.
Elle se réunit au moins une fois par trimestre, peut se faire assister par un expert, est informée, tous les six mois, des mesures de surveillance des communications ordonnées par le Premier ministre à la demande du service, et dresse, à l'issue de chaque contrôle, un rapport final à caractère confidentiel, adressé au Premier ministre, au ministre d'État, au directeur du service et à ses membres.
2. Un large éventail d'outils pour faciliter l'information et le contrôle individuel des députés
Les députés luxembourgeois ont la possibilité :
- de demander à la Chambre (s'ils sont au moins cinq) d'organiser un débat d'orientation sur un sujet d'intérêt général déterminé afin de favoriser son information. En pratique, un tel débat intervient fréquemment au début de la procédure d'examen d'un texte législatif, les députés discutant alors de l'opportunité de l'inscription de ce texte à l'ordre du jour de la Chambre des députés 38 ( * ) ;
- de poser des questions au gouvernement.
Les questions écrites au gouvernement (679 en 2005-2006) doivent obtenir une réponse du ministre compétent dans le délai d'un mois mais le Président 39 ( * ) peut accorder à ce dernier un délai supplémentaire.
La question et la réponse sont ensuite intégralement publiées dans le compte-rendu de la Chambre. Mais, à défaut de réponse du ministre à une question, celle-ci pourra être posée oralement lors de la première séance publique de la semaine suivant l'expiration du délai de réponse accordé par le Président de la Chambre.
Un député a aussi la possibilité de poser une question urgente à un ministre à un moment fixé par le Président (19 en 2005-2006 ; s'il n'y a pas de séance de la Chambre, le ministre donnera une réponse écrite dans un délai d'une semaine).
Enfin, la Chambre peut réserver une partie de la séance publique à des questions avec débat (5 en 2005-2006). Le nombre de ces questions est limité par session pour chaque groupe politique et pour chaque sensibilité politique au double du nombre de leurs membres. Elément important, s'il n'est pas satisfait par la réponse du ministre, l'auteur de la question peut lui poser une question orale supplémentaire .
Le début de la séance publique du mardi est consacré à une heure de questions, au cours de laquelle le gouvernement est interrogé sur des sujets d'intérêt général ou d'actualité politique.
Le Président de la Chambre des députés veille à l'équilibre entre les questions posées par les membres de la majorité et celles posées par les membres de l'opposition. Il accorde ainsi alternativement la parole à un député de la majorité et à un député de l'opposition. Un député dispose au maximum de deux minutes pour poser une question et le gouvernement bénéficie de quatre minutes pour y répondre.
Les questions qui n'ont pu être posées par manque de temps, sont considérées comme retirées et peuvent être réintroduites lors d'une heure de questions ultérieure ;
- de proposer des motions et des résolutions.
Chaque député a le droit de déposer des motions adressées au gouvernement et des résolutions adressées à la Chambre des députés . Motions et résolutions, rédigées par écrit et remises au Président de la Chambre, doivent être signées par au moins cinq députés . Si la Chambre est appelée à se prononcer sur plusieurs motions ou résolutions traitant du même sujet, elle décide au préalable de la priorité à accorder à l'une d'elles (la première motion étant ensuite mise aux voix).
3. Une procédure d'enquête parlementaire peu utilisée
Le droit d'enquête est exercé par la Chambre elle-même ou par une commission formée en son sein. Chaque membre de la Chambre peut assister aux mesures d'instruction, sans avoir toutefois le droit de prendre la parole.
Les pouvoirs attribués à la Chambre ou à la commission d'enquête ainsi qu'à leur président sont ceux du juge d'instruction en matière criminelle 40 ( * ) . Toutefois, la Chambre, chaque fois qu'elle ordonne une enquête, peut fixer une limite à ses pouvoirs d'investigation.
Ces pouvoirs ne peuvent en principe être délégués « sauf le droit de la Chambre ou de la commission de faire, en cas de nécessité, procéder par voie de délégation à des devoirs d'instruction spécialement déterminés » 41 ( * ) .
Les perquisitions et les saisies de documents exigées par l'enquête parlementaire doivent être autorisées par une loi spéciale . Les citations sont faites par le ministère d'huissier, à la requête, selon le cas, du Président de la Chambre, du président de la commission ou du magistrat commis.
Les séances dans lesquelles les témoins et les experts sont entendus, sont publiques , à moins que la commission n'en ait décidé autrement.
Témoins, interprètes et experts sont soumis aux mêmes obligations que devant le juge d'instruction . En cas de refus ou de négligence d'y satisfaire, ils sont passibles des mêmes peines (ainsi, le faux témoignage est passible d'une peine d'emprisonnement allant de deux mois à trois ans et d'une privation des droits de vote et d'éligibilité pendant cinq à dix ans).
L'enquête parlementaire est contradictoire : toute personne à laquelle l'enquête peut porter préjudice a le droit d'être entendue et celui de demander des mesures d'instruction.
Les pouvoirs de la commission sont suspendus par la clôture de la session, à moins que la Chambre n'en décide autrement.
Toutefois, en pratique, en raison des difficultés d'application de cette procédure (législation de 1821 inadaptée ; problème non résolu de l'intervention simultanée d'une commission d'enquête parlementaire et d'une juridiction sur une même affaire), les commissions d'enquête sont rares (la dernière a été instituée en 2003 sur les difficultés liées aux transports routiers internationaux).
4. Un pouvoir de nomination important
La Chambre désigne au scrutin personnel et secret certaines des plus hautes autorités administratives qui garantissent le respect de l'État de droit : une partie des conseillers d'État ; trois candidats pour les postes de président, de vice-président ou de conseiller à la Cour des Comptes en remplacement d'un membre démissionnaire, décédé ou révoqué ; le médiateur pour une durée de huit ans non renouvelable.
La Chambre des députés peut en outre imposer au Grand-Duc de mettre fin aux fonctions du médiateur, à la demande d'un tiers des députés , notamment s'il n'exerce pas correctement sa mission,
5. Une association étroite de la Chambre à l'élaboration des textes d'application des lois
Certains projets de règlements grands-ducaux nécessitent l'assentiment de la Conférence des Présidents en vertu d'une disposition légale. 42 ( * ) Ils peuvent être transmis pour avis par cette dernière à la commission compétente de la Chambre. Dans un délai fixé par la Conférence des Présidents, celle-ci doit rendre son avis. A défaut, elle est supposée avoir donné son accord au projet de règlement grand-ducal.
* 36 Article 74 de la Constitution.
* 37 Le projet de loi portant approbation des comptes généraux de l'Etat doit être déposé à la Chambre au plus tard le 31 mai.
* 38 Cette procédure existe aussi sous des formes diverses en Allemagne, en Espagne, en Finlande, en Pologne et au Royaume-Uni. Voir rapport d'information n° 43 (2006-2007). Des débats de consultation peuvent aussi être organisés à la demande du gouvernement.
* 39 Le Président de la Chambre ou la Conférence des présidents en cas de contestation, est seul juge de la recevabilité formelle des questions, motions et résolutions.
* 40 Article 170 du Règlement.
* 41 Article 181 du Règlement.
* 42 Article 26 du Règlement de la Chambre des députés.