(2) Les recommandations
La mission rappelle que les préfectures peuvent prendre des décisions de refus ou d'annulation d'enregistrement des déclarations présentées par de prétendus organismes de formation en se fondant sur un motif de non-conformité aux dispositions légales régissant la formation continue ; le plus souvent, ces refus ont été confirmés par la jurisprudence administrative.
L'apparente montée de l'emprise sectaire dans la formation professionnelle constitue, en outre, pour la mission d'information, le révélateur de dysfonctionnements généraux.
La mission constate, au terme de ses investigations, deux phénomènes simultanés :
- premièrement, selon les spécialistes qu'elle a entendus, l'emprise sectaire sur la formation professionnelle s'accroît, de même que l'offre de stages de formation dite comportementale qui constituent leur terrain de prédilection - ce qui ne doit évidemment pas conduire à « diaboliser » toutes les formations de ce type ;
- deuxièmement, d'après les indications recueillies par la mission, l'activité des services de contrôle ne permet pas d'éradiquer le risque sectaire à travers le foisonnement des formations comportementales ; les contrôleurs semblent donc particulièrement démunis de critères fiables ou de moyens sérieux d'endiguer un phénomène en expansion.
Il convient de se demander si l'enregistrement audiovisuel des formations, au moyen d'une simple caméra numérique ne constituerait pas un procédé utile, à la fois pour le contrôle des mauvaises pratiques mais aussi pour la diffusion des bonnes : la mission appelle à une réflexion dans ce domaine qui parait, pour l'instant, entravé par des obstacles juridiques et éloigné de la conception française de la formation, essentiellement « présentielle ».
Compte tenu de la situation, la mission estime que l'occasion est tout simplement propice à recommander une certaine modération dans le développement des formations dites « comportementales » :
- non seulement parce qu'elles constituent trop souvent la « porte d'entrée » privilégiée de l'influence sectaire ;
- mais aussi pour des raisons plus profondes tenant à la nécessité de réhabiliter, dans notre pays, des savoir-faire concrets et utiles qui, bien enseignés, peuvent également comporter des éléments de sagesse et de développement personnel particulièrement efficaces.
Comme l'ont rappelé M. Jacques Delors et bien d'autres, en faisant référence aux raisons du déclin de la compétitivité globale de l'économie française, notre enseignement souffre surtout, au niveau universitaire, d'un flux excessif d'étudiants qui s'orientent, par défaut, vers des études de psychologie et de sciences humaines. Il semblerait préjudiciable que l'offre de formation continue connaisse, à son tour, une mésaventure en favorisant, en nombre excessif, l'accueil de bataillons de salariés dans des formations comportementales éloignées de la réalité des métiers ou des techniques opérationnelles.
Fondamentalement, la mission estime cependant que les sectes apportent de fausses solutions à de vrais problèmes vécus par les adeptes potentiels ou les français en difficulté :
- une sensation générale d'égarement ;
- la « lassitude professionnelle », comme le note la mission de lutte contre les sectes ;
- ou la « fatigue » à l'égard du système éducatif traditionnel, selon la formule utilisée par une stagiaire de l'alternance entendue à Marseille par les parlementaires.
La mission sénatoriale insiste, à ce titre, sur trois orientations générales :
- en premier lieu, les auditions ont largement fait ressortir la persistance de l'atomisation du traitement administratif des publics fragiles, en particulier des demandeurs d'emplois, confrontés à des services publics ou à des organismes fragmentés dans leurs structures et compartimentés dans leurs actions ; les réflexions sur la « sécurisation des parcours professionnels » insistent au contraire, comme l'a indiqué à la mission la rapporteure des derniers travaux du CES consacrés à ce sujet, sur la nécessité de considérer la personne dans sa globalité ; il s'agit ainsi de ne pas laisser aux sectes le monopole de l'approche « holistique » de l'individu. La proposition de créer le compte d'épargne formation, présentée dans le chapitre ci-dessus, s'inscrit assez naturellement dans cette perspective dans la mesure où l'individu à la recherche d'une formation, actuellement perdu dans les dédales du système, peut être une proie facile pour les démarcheurs sectaires.
- en ce qui concerne plus particulièrement l'insertion des jeunes en difficulté, la mission insiste avec force sur l'importance de la prise en compte des « facteurs périphériques » à la formation que sont le logement et les difficultés de transports ;
- de façon plus générale, pour apporter une réponse au fréquent désarroi des personnes fragiles ou en difficulté devant le système éducatif traditionnel, la mission appelle à systématiser le suivi personnalisé des stagiaires et des jeunes en formation, surtout s'ils sont à la dérive, par un référent unique ; l'audition du représentant des missions locales a démontré l'importance fondamentale de cette démarche en lançant à la mission un véritable cri d'alarme à l'égard du traitement des jeunes ;
- enfin, à titre d'annotation complémentaire, la mission fait observer que les sectes visent, après une phase de manipulation psychologique, à obtenir une implication financière totale des adeptes, qui peut les conduire à la ruine ; à l'extrême opposé, l'apparente « gratuité » des formation sérieuses ne favorise pas toujours la motivation des stagiaires qui les suivent, ce qui a conduit un certain nombre d'intervenants à préconiser une contribution des salariés à la formation, M. Jacques Delors regrettant lui-même de ne pas l'avoir instituée dès 1971 et M. de Virville témoignant que ce procédé décuple, chez nos voisins européens, l'esprit critique et les exigences de qualité du « consommateur » de stage.