D. AGIR FACE AUX NOUVEAUX RISQUES
Aux risques traditionnels auxquels doivent faire face les gestionnaires des réseaux, chargés de l'équilibre offre-demande à tout instant, viennent s'ajouter des « risques émergents » susceptibles de prendre de l'ampleur dans les années à venir.
Le risque principal est lié à la montée en puissance des capacités de production décentralisées raccordées aux réseaux de distribution, en particulier les éoliennes. En effet, si les éoliennes ont « le vent en poupe », représentant la source d'énergie renouvelable la plus mature d'un point de vue technologique pour la production d'électricité, l'augmentation de leur part dans la puissance totale installée pose des questions spécifiques auxquelles il est nécessaire de trouver des réponses : comment gérer l'aléa de production des éoliennes ? Comment réagissent-elles en cas de perturbations sur le réseau ?
Par ailleurs, vos rapporteurs ne sauraient conclure la présente partie sur les réseaux sans évoquer le risque de chantage, voire le risque terroriste. Le danger est-il réel et, si tel est le cas, quelles parades convient-il de mettre en oeuvre ?
1. Le développement des capacités de production décentralisées
Selon les dispositions de l'article 4 de la loi POPE du 13 juillet 2005, « en dépit de l'actuelle intermittence de certaines filières, les énergies renouvelables électriques contribuent à la sécurité d'approvisionnement et permettent de lutter contre l'effet de serre. Il convient donc d'atteindre l'objectif indicatif d'une production intérieure d'électricité d'origine renouvelable de 21 % de la consommation intérieure d'électricité totale à l'horizon 2010 . Un objectif pour 2020 sera défini d'ici à 2010 en fonction du développement de ces énergies ».
La filière éolienne, technologiquement mature, est indispensable pour atteindre cet objectif ambitieux. En conséquence, la puissance installée du parc éolien va devoir croître fortement dans les années qui viennent, pour atteindre 13,5 GW en 2015, contre seulement 2 GW au 1 er juin 2007 .
Une telle montée en puissance ne sera évidemment pas sans impact sur la sûreté des réseaux. Trois aspects méritent d'être particulièrement étudiés : le caractère aléatoire de la production à un instant donné ; le comportement des éoliennes en cas de perturbation sur le réseau ; la nature « décentralisé » des éoliennes, qui sont raccordées aux réseaux de distribution d'électricité et non au réseau de transport.
a) Un aléa de production dont il faut tenir compte
Le manque de prévisibilité de la production éolienne se traduit par un nouvel aléa à gérer sur les réseaux électriques.
M. Jean-Yves Grandidier, vice-président du Syndicat des énergies renouvelables, a tenu à relativiser ce problème et à souligner que le réseau français pourrait parfaitement supporter l'introduction d'un parc de production d'éoliennes de 10 GW. Il a ainsi précisé que, du fait des régimes de vents de la France, l'éolien est « une production bien plus régulière que l'on ne veut le croire » et que « son installation permet d'éviter d'avoir recours à un certain nombre de centrales thermiques » 284 ( * ) .
De fait, dans son bilan prévisionnel de l'équilibre offre-demande de 2005, RTE a étudié spécifiquement la question de la mise en place d'un parc éolien de 10 GW de puissance installée , avec une bonne diversification géographique sur le territoire national. Il ressort de ces travaux que :
- le facteur de charge , défini comme la puissance moyenne annuelle par rapport à la puissance installée, s'élève à 26,5 % , avec une saisonnalité marquée (de 20 % en août à 32 % en janvier) ;
- la production, par nature intermittente de l'éolien, bénéficie du foisonnement du parc et du régime de vents de la France , ce qui confirme les remarques de M. Jean-Yves Grandidier. En effet, notre pays, déjà le deuxième plus venté d'Europe, dispose de trois régions de vents quasiment décorrélées se compensant les unes les autres. Au total, l'étude estime que, pour son parc de référence, la baisse de puissance d'un jour à l'autre atteindrait 2 000 MW un jour sur dix et 4 000 MW un jour sur cent seulement (soit, en moyenne, un jour par hiver) ;
- la production éolienne contribue à l'équilibre général offre-demande. Produisant toute l'année (bien qu'avec une forte saisonnalité), elle peut se substituer à des moyens de base avec un ratio (au 10 ème GW) de 25 % par rapport à des moyens thermiques ;
- cependant, RTE devrait disposer de moyens d'ajustements pour compenser l'aléa de production . D'après les calculs du GRT, l'insertion de 10 GW conduirait à augmenter ces moyens (déjà importants pour faire face aux autres aléas, tels l'aléa climatique et le risque de panne d'une grosse unité de production) de quelques centaines de MW . En outre, ce besoin de marge supplémentaire pourrait nécessiter le démarrage, la veille pour le lendemain, d'unités thermiques à puissance réduite, de sorte qu'elles puissent monter en régime rapidement si nécessaire. Enfin, les réserves disponibles en permanence sont correctement dimensionnées pour répondre aux variations à la minute d'un parc éolien de 10 GW, à condition que son foisonnement soit bon.
L'étude de RTE conclut que le parc éolien national pourrait ainsi monter jusqu'à une puissance installée de 10 GW sans majorer sensiblement les moyens mis en oeuvre pour assurer la sécurité du système, sans toutefois cacher le « défi » que représente une telle valeur, et plus encore la « cible » de 13,5 GW que s'est fixée la France . Un tel niveau nécessiterait « des progrès conséquents en matière de prévisions météorologiques et une coordination très resserrée des gestionnaires de réseaux de transport au niveau européen » . « Le renforcement du réseau de transport en France et des interconnexions européennes paraît en outre une condition incontournable à l'atteinte de cet objectif », est-il enfin précisé.
En l'état, votre mission ne peut que recommander une certaine prudence . En l'absence d'avancées significatives en matière de coordination des GRT, la sûreté du réseau, qui doit demeurer la première de nos priorités, réclame de s'en tenir à une dimension maîtrisée du parc éolien, soit , d'après l'étude du gestionnaire national, une puissance installée n'excédant pas 10 GW .
* 284 Audition du 15 février 2007.