2. Un mouvement de regroupement des bourses en Europe
La bourse française de l'électricité s'inscrit dans un mouvement progressif d'intégration avec ses homologues européens. Ainsi que l'a souligné M. Jean-François Conil-Lacoste, « le 21 novembre 2006, le couplage des trois marchés français, belge et hollandais a constitué une première inédite en Europe ». Cette initiative, due au travail mené conjointement par les responsables des trois bourses concernées - APX (Pays-Bas), Belpex (Belgique) et Powernext Day-Ahead (France) - en collaboration avec les trois GRT nationaux - TenneT, Elia et RTE -, vise à optimiser les flux d'électricité aux frontières ainsi que la gestion des capacités des réseaux existants.
Plus récemment encore, le Pentalateral Energy Forum , qui regroupe depuis 2005 la France, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, a décidé de coupler, au plus tard le 1 er janvier 2009, les marchés de l'électricité des cinq pays. L'accord signé par les cinq ministres chargés de l'énergie et le Commissaire européen à l'énergie précise que le modèle retenu de couplage devrait renforcer la sûreté du système et en accroître l'efficacité économique.
3. Des places de marchés qui ne peuvent répondre à tous les besoins
Compte tenu de leur fonctionnement, de l'absence de référence de prix fiable, de la nécessité d'assurer à certains consommateurs des livraisons d'électricité sur des horizons temporels supérieurs à ceux proposés sur les bourses et de protéger les consommateurs particuliers des variations erratiques des cours de l'électricité, votre mission d'information considère indispensable d'encadrer le champ d'intervention des bourses de l'électricité, qui devrait être limité aux transactions d'ajustement, telles que l'ajustement journalier ou infra-journalier des GRT, ou à la satisfaction des besoins spécifiques de consommateurs souhaitant optimiser leurs profils de consommation.
En effet, non seulement ces places de marchés ne répondent pas aujourd'hui aux besoins en base à long terme, mais elles permettent même, du fait de l'alignement du prix sur le moyen de production le plus coûteux, d'offrir aux producteurs disposant de capacités de production compétitives et amorties de confortables rémunérations.
M. Jean-Philippe Benard, président de la commission électricité de l'UNIDEN 245 ( * ) , a ainsi estimé que ce fonctionnement « permet aux acteurs historiques de jouir de rentes de situation et les rémunère bien au-delà des besoins de renouvellement du parc. On peut lire dans la presse que l'un des objectifs de ce marché est de définir un prix permettant le renouvellement des centrales, mais le marché tel qu'il est construit actuellement entraîne des rémunérations excessives, comme l'indiquent les résultats des principaux producteurs d'électricité ».
Pour autant, il n'en reste pas moins que ces marchés sont adaptés aux problématiques tenant à la couverture du risque pour les marchés à terme ou pour la satisfaction des besoins en extrême pointe pour les marchés journaliers ou infra-journaliers. Comme l'a exposé M. Jean-François Conil-Lacoste, « lors de la canicule de 2003, il a fallu aller chercher les derniers MWh à 1 000 euros en France, à 2 000 euros en Hollande et à 3 000 euros en Allemagne pour éviter un délestage qui aurait coûté une fortune à la collectivité. Ainsi, des pics de prix peuvent survenir occasionnellement. Mais plus le gisement d'acteurs est important, plus les échanges sont faciles et plus les prix sont contenus. C'est en cela que le marché de très court terme apporte une contribution à la sécurité du réseau et facilite son équilibrage. Ce n'est pas un hasard si les GRT y ont été étroitement associés dès le départ ».
De ce point de vue, au niveau tant de l'équilibrage quotidien du réseau français que du couplage des marchés, les bourses de l'électricité semblent jouer un rôle positif en matière de sécurité d'approvisionnement. Ainsi que le soulignait le même intervenant, en l'absence d'une place de marché organisée, « les échanges s'effectueraient de manière bilatérale, de gré à gré, en toute opacité, sans contrôle possible par la CRE et avec des enchères explicites aux frontières beaucoup moins efficaces que les enchères implicites ».
Comme pour tout marché, il apparaît néanmoins essentiel, aux yeux de votre mission d'information, de définir les conditions d'une solide régulation publique . De ce point de vue, l'entrée en vigueur de la loi POPE de 2005 et de la loi relative au secteur de l'énergie a permis de conforter le pouvoir de contrôle du régulateur sur les transactions effectuées sur ce marché. Aux termes de l'article 28 de la loi du 10 février 2000 modifiée, la CRE a pour mission de surveiller, pour l'électricité et pour le gaz naturel, les transactions effectuées entre fournisseurs, négociants et producteurs, les transactions effectuées sur les marchés organisés ainsi que les échanges aux frontières. Elle doit également s'assurer de la cohérence des offres des fournisseurs, négociants et producteurs avec leurs contraintes économiques et techniques.
Ces dispositions ont permis de conforter le pouvoir de surveillance des autorités de régulation sur cette bourse, qui, selon M. Jean-François Conil-Lacoste, était déjà encadrée « par une réglementation structurante reposant sur des règles de marché et une forte présence des autorités de régulation telles que la CRE et l'Autorité des marchés financiers (AMF) ».
Toutefois, avec le mouvement de couplage des bourses au niveau européen, l'échelon pertinent pour organiser cette surveillance dans les conditions les plus efficaces possibles paraît être désormais supranational. Une fois n'est pas coutume, votre mission d'information se déclare en parfaite adéquation avec la Commission européenne qui, dans l'enquête sectorielle sur les marchés de l'électricité et du gaz 246 ( * ) , déclare qu'un « système de surveillance du négoce sur les marchés de gros (par exemple des bourses de l'électricité) renforcerait la confiance des parties prenantes dans le marché et limiterait le risque de manipulation du marché ».
A l'instar de la Commission, votre mission d'information recommande donc un renforcement du pouvoir de contrôle des régulateurs européens sur les marchés de gros . Ceux-ci pourraient être habilités à collecter et à échanger des renseignements utiles et se voir conférer le pouvoir de recommander des dispositions visant à faire respecter la réglementation ou être habilités à prendre eux-mêmes de telles dispositions.
Liste des propositions de la première partie
Proposition n° 1 : rendre obligatoire l'élaboration par chaque Etat membre de l'Union européenne d'un document prospectif indiquant comment est garantie la satisfaction des besoins en électricité à un horizon de dix ans (bâti sur le modèle de la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique), la Commission européenne étant chargée par le Conseil d'en effectuer la synthèse au plan communautaire. Proposition n° 2 : instaurer des normes minimales de production afin que chaque Etat de l'UE soit en mesure de produire globalement l'électricité qu'il consomme. Proposition n° 3 : synchroniser les rythmes d'élaboration de la PPI et du bilan prévisionnel offre/demande de RTE. Proposition n° 4 : donner à RTE des prérogatives plus claires pour lui permettre de prévenir tout risque de déséquilibre entre l'offre et la demande au niveau régional. Proposition n° 5 : maintenir l'option nucléaire ouverte en France et assurer les conditions du remplacement du parc actuel par les technologies nucléaires les plus avancées. Proposition n° 6 : favoriser la réalisation de partenariats industriels entre EDF et d'autres électriciens pour construire de nouvelles capacités de production. Proposition n° 7 : afin de conforter le potentiel hydroélectrique français, tenir compte des équilibres définis par le législateur dans le cadre de la loi sur l'eau pour l'élaboration des décrets, réduire le montant du tarif d'utilisation des réseaux publics (TURP) dont sont redevables les ouvrages STEP et réfléchir à la création d'une procédure de « concession de vallée » pour les ouvrages nécessitant une gestion coordonnée. Proposition n° 8 : de manière plus générale, promouvoir une diversification plus importante du bouquet énergétique français en développant les énergies renouvelables afin de rééquilibrer les origines de la production électrique en France. Proposition n° 9 : l'existence de tarifs réglementés de vente de l'électricité garantissant la protection des consommateurs, obtenir que les termes de la directive « électricité » autorisent explicitement le maintien d'un système tarifaire respectant le principe de couverture des coûts. Proposition n° 10 : favoriser le développement de contrats d'approvisionnement à long terme pour répondre aux besoins spécifiques des consommateurs professionnels. Proposition n° 11 : assurer une surveillance au niveau européen, par les régulateurs, des transactions d'électricité sur les marchés de gros. |
* 245 Audition du 14 mars 2007.
* 246 Op. cit.