4. Des fondements juridiques nationaux fragilisés
Une difficulté supplémentaire a émergé sur la question des tarifs avec la récente décision du Conseil constitutionnel sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie 225 ( * ) . Saisi par les auteurs du recours sur un tout autre sujet abordé par cette loi, la juridiction suprême a examiné d'office les modifications apportées par le législateur au système des tarifs, en vertu d'une jurisprudence récente par laquelle le Conseil vérifie que les dispositions d'une loi ayant pour objet de transposer une directive ne sont manifestement pas incompatibles avec cette dernière.
La version du texte retenue par le Parlement (article 17) distinguait la situation des consommateurs professionnels et des consommateurs domestiques. Un consommateur professionnel se voyait reconnaître, sur un site de consommation, le droit à bénéficier d'un tarif réglementé à condition qu'il n'ait pas fait le choix de la concurrence sur ce site, et qu'une personne précédemment établie sur ce site ne l'ait pas fait non plus. En revanche, un consommateur particulier se voyait reconnaître ce droit à la seule condition de ne pas avoir fait lui-même le choix de la concurrence sur ce site. En outre, la loi reconnaissait le bénéfice des tarifs pour les consommateurs particuliers et les clients professionnels pour les nouveaux sites de consommation (constitués par tout bâtiment neuf). |
S'appuyant sur le fait que le projet de loi relatif au secteur de l'énergie avait partiellement pour objet de transposer les directives relatives à la libéralisation des marchés énergétiques 226 ( * ) , le Conseil constitutionnel a considéré qu'il y avait lieu de vérifier la conformité à ces directives des nouvelles dispositions législatives. Or, il a estimé qu'en imposant aux opérateurs historiques des obligations tarifaires « générales et étrangères à la poursuite d'objectifs de service public », ces dispositions avait méconnu « manifestement l'objectif d'ouverture des marchés concurrentiels de l'électricité et du gaz ».
De ce fait, il a partiellement censuré les dispositions en cause, ce qui entraîne deux conséquences .
D'abord, les consommateurs particuliers se voient appliquer les dispositions prévalant pour les consommateurs professionnels : il en résulte que tout consommateur particulier qui déménagerait dans un logement ancien ne pourrait bénéficier des tarifs qu'à la condition que l'occupant précédent n'ait pas fait le choix de sortir des tarifs pour ce logement .
Ensuite, de cette censure résultait, sans que cela ait été explicitement précisé, le fait que tout nouveau site de consommation (tout logement ou commerce neuf) ne pourrait bénéficier du tarif réglementé .
Par cette décision, le Conseil a clairement considéré que le système tarifaire français est incompatible avec les objectifs de la directive et que tout consommateur d'électricité (mais aussi de gaz) a vocation, à terme, à s'alimenter exclusivement par le biais du marché libre 227 ( * ) .
Pour lever l'ambiguïté résultant de cette censure, l'Assemblée nationale a, à l'occasion de l'examen du projet de loi instituant le droit au logement opposable, inséré une disposition clarifiant les conditions d'application du tarif aux nouveaux sites de consommation 228 ( * ) . En application de ce dispositif, tout nouveau site peut bénéficier des tarifs jusqu'au 1 er juillet 2010 .
Même si vos rapporteurs s'interrogent sur le choix de cette date, qui laisse entendre que s'ouvrirait une période transitoire au terme de laquelle il conviendrait de réexaminer la pertinence du système tarifaire, cette initiative a au moins le mérite de clarifier une ambiguïté qui aurait été dommageable pour le consommateur. Ils ne doutent pas que, compte tenu des procédures communautaires en cours, ce délai permettra de clarifier l'interprétation des directives, qu'il appartient à la seule Cour de justice européenne de préciser et, en particulier, de savoir dans quelle mesure des tarifs réglementés sont compatibles avec elles.
Il n'en reste pas moins que les dispositions résultant de la censure du Conseil vont poser un certain nombre de problèmes pour les particuliers qui, à partir du 1 er juillet 2007, emménageront dans un logement ancien pour lequel l'occupant précédent a exercé son éligibilité et qui ne pourront plus bénéficier des tarifs. Cette situation apparaît tout d'abord injuste puisque ces ménages seront liés par un choix qu'ils n'auront pas eux-mêmes effectué 229 ( * ) . Elle les expose ensuite à devoir se fournir sur la base de contrats d'approvisionnement beaucoup moins protecteurs et, à terme, à des prix plus élevés. Enfin, elle risque de conduire, progressivement, à la création de deux marchés de l'immobilier parallèles, celui des logements dans lesquels le tarif sera applicable et celui des logements dans lesquels il ne le sera pas. Dans ces conditions, votre mission d'information, dans un souci de protection du consommateur, estime qu'il serait hautement souhaitable que les acquéreurs de biens immobiliers puissent être pleinement informés de la situation du logement au regard de l'applicabilité des tarifs 230 ( * ) .
En outre, elle souhaite soulever une seconde difficulté, résultant de cet état du droit, qui a trait aux logements locatifs. En effet, tout propriétaire d'un tel logement sera désormais exposé au risque que son locataire fasse le choix de la concurrence pour sa fourniture d'électricité . Dans cette situation, le logement ne pourra plus jamais bénéficier du tarif, alors même que le propriétaire n'aura pas été consulté sur ce choix . Aussi conviendrait-il d'examiner la question de l'association ou non du bailleur à la décision de son locataire, ce qui nécessiterait une modification de la loi de 1989 231 ( * ) . Or, conditionner le droit du locataire à changer de fournisseur d'électricité à un accord formel du propriétaire serait vraisemblablement contraire à la directive puisqu'une telle disposition s'opposerait à la liberté de l'exercice de l'éligibilité. Mais l'autre solution, qui consisterait à donner à ces logements locatifs un droit de retour au tarif, serait quant à elle contraire à l'interprétation que le Conseil constitutionnel a faite de la directive.
En définitive, la contestation communautaire des tarifs tient exclusivement au fait que la Commission européenne estime qu'ils sont artificiellement bas, sous-entendant qu'ils ne couvriraient pas les coûts. Dans ces conditions, elle ne pourrait être amenée à accepter un système tarifaire que pour autant qu'il s'inscrive dans le cadre des dispositions sur les obligations de service public de l'article 3 de la directive 2003/54. Le Conseil constitutionnel, en application de sa jurisprudence sur le contrôle de « l'erreur manifeste de transposition », n'a d'ailleurs pu que constater que les règles du système tarifaire français répondaient à la condition de couverture des coûts mais pas aux critères définis par la directive pour les obligations de service public. Dès lors, afin d'assurer la pérennité du système tarifaire, ce que votre mission juge nécessaire pour l'ensemble des raisons énoncées dans cette partie, il apparaît indispensable d'adapter la lettre de la directive afin que celle-ci autorise explicitement le maintien des tarifs réglementés en tant qu'ils respectent le principe de couverture des coûts.
* 225 Décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006 - Loi relative au secteur de l'énergie.
* 226 Directive 2003/54 pour l'électricité et directive 2003/55 pour le gaz.
* 227 Dans le commentaire de cette décision figurant dans les Cahiers du Conseil constitutionnel (n° 22 - octobre 2006 à mars 2007), il est précisé que, du fait de ces dispositions, « la population des clients à laquelle l'opérateur historique devait appliquer le tarif n'aurait pas été en voie d'extinction ».
* 228 Article 24 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
* 229 Les directives communautaires ayant pourtant toujours précisé que l'exercice de l'éligibilité était une faculté et non une obligation.
* 230 A l'instar des obligations reposant sur les vendeurs en ce qui concerne le plomb, l'amiante, les termites, etc.
* 231 Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.