II. LA NÉCESSITE DE NOUVELLES CULTURES DE TRAVAIL

Les tensions autour de l'activité visas supposent de nouvelles cultures de travail autour de trois axes : améliorer la performance interne des consulats , par une meilleure formation des agents de recrutement local, et par un recours plus soutenu aux entretiens pour les dossiers ambigus, afin de pallier le faible taux de comparution personnelle des demandeurs ; créer une culture commune de travail aux administrations en relation avec les flux migratoires , à laquelle devrait contribuer le nouveau ministère de l'immigration, et enfin, dépasser la juxtaposition de cultures nationales qui caractérise aujourd'hui l'espace Schengen.

A. LES AMÉLIORATIONS INTERNES AU SERVICE DES VISAS

1. Parfaire la méthode : un recours accru aux entretiens est nécessaire

Seulement 40 % du nombre total des demandeurs comparaissent personnellement au guichet .

Taux de comparution personnelle dans les consulats français à l'étranger

Taux de comparution personnelle

Consulats

100 %

Abuja, Alep, Bujumbura, Chisinau, Cotonou, Harare, Houston, Khartoum, Moroni, Nairobi, Niamey, Pointe-Noire, Tamatave

90 à 99 %

Agadir, Bamako, Colombo, Diego Suarez, Fes, Kampala, Libreville, Majunga, New-York, Ouagadougou, Tananarive, Tanger, Tbilissi, Yaoundé

80 à 89 %

Abdjan, Accra, Ankara, Brazzaville, Lagos, Lomé, Marrakech, Minsk

70 à 79 %

Bangui 24 ( * ) , Dakar, Douala, Le Caire, Pondichéry, Rabat, Saint Louis, Skopje, Teheran

60 à 69 %

Beyrouth, Bombay, Casablanca, Garoua, Islamabad, Kinshasa, Miami, Pékin, Shangai, Tripoli, Tunis

50 à 59 %

Amman, Damas, Dubai, Johannesbourg, Luanda, Djamena, Sfax, Tel Aviv

40 à 49 %

Abou Dabi, Annaba, Bogota, Doha, Jerusalem, Kiev, Le Cap, Nouakchott, San Francisco

30 à 39 %

Chicago, Djeddah, Istanbul, Manama, Moscou, New Delhi, Port au Prince, Saint Petersbourg, Sanaa, Washington, Wuhan

20 à 29 %

Alger, Bangkok, Ryad, Taipei

10 à 19 %

Canton 25 ( * ) , Jakarta

< 10 %

Koweit

Source : ministère des affaires étrangères

Le pourcentage masque d'importantes disparités, qui peuvent parfois s'expliquer par un niveau de risque migratoire hétérogène 26 ( * ) , mais aussi par des relations différentes avec le contexte local, ou, tout simplement, par les habitudes prises.

Ce taux n'est pas très différent du taux britannique : 43 % seulement des demandeurs de visas pour le Royaume-Uni comparaissent en personne devant les consulats britanniques.

Répartition des demandes de visas auprès des consulats britanniques

Source : rapport d'activité de UK Visas 2005/2006

Toutefois, les consulats britanniques compensent le faible taux de comparution personnelle des demandeurs par une politique ciblée d'entretien, en fonction des risques migratoires liés au profil du demandeur . Un « primodemandeur » de visa a davantage vocation à être invité à un entretien qu'une personne s'étant déjà rendue fréquemment au Royaume-Uni. Le pourcentage de convocations en entretien dans les consulats britanniques apparaît élevé. Il est mené par des agents titulaires du consulat, qui établissent un compte-rendu de l'entretien. Selon le rapport d'activité de UK Visas pour l'année fiscale 2005/2006, 1.655.701 demandes de visas de court et moyen séjour ont fait l'objet d'une décision sans examen complémentaire ou entretien. En revanche, 554.374 ont fait l'objet d'une enquête complémentaire ou d'un entretien, représentant 25 % de la demande de visas de court ou moyen séjour.

Ce pourcentage illustre une organisation britannique qui privilégie l'entretien comme outil de fiabilité de la décision. A Moscou, 30 % des demandeurs sont convoqués pour des entretiens individuels dans le consulat britannique.

Les consulats américains vont encore au-delà, en prévoyant une convocation systématique des demandeurs de visas à un entretien , mené par un agent titulaire américain, formé spécifiquement à la reconnaissance des expressions du visage, afin de reconnaître si la personne entendue dit réellement la vérité.

Dans le cas des consulats français, les agents de guichet, qui sont pour l'essentiel des agents de recrutement local, interrogent également les demandeurs, mais de manière rapide, et sans être nécessairement formés à la technique de l'entretien. A Pointe-Noire, un agent de guichet du service des visas particulièrement motivé, un ancien policier, s'efforçait de réaliser un « véritable » entretien, sans avoir pu disposer au préalable d'une formation qui aurait lui permis de poser rapidement toutes les bonnes questions. Dans une perspective d'externalisation massive du « front office » des services des visas, comme votre rapporteur spécial l'envisage dans la dernière partie de son rapport d'information, et comme le pratiquent beaucoup de consulats de pays partenaires, les demandeurs de visas ne pourront plus être interrogés au guichet par des agents de recrutement local . Il y a donc lieu d'introduire une véritable politique de convocation des demandeurs de visas à des entretiens, en fonction des risques liés au profil des demandeurs : 30 % des demandeurs en moyenne pourraient alors passer un entretien au consulat. En toute logique, l'entretien devrait être réalisé par des agents titulaires, ou du moins par des personnes spécifiquement formées à cet effet.

En matière de visas étudiants, les centres des études en France (CEF) gérés par l'agence CampusFrance, qui promeut l'enseignement supérieur français à l'étranger, permettent d'établir la cohérence pédagogique du demandeur de visa étudiant, mais aussi de l'orienter, avant l'admission en université et la délivrance de visa, par le biais d'un entretien.

Votre rapporteur spécial a pu se rendre compte, notamment à Tananarive, de l'intérêt de la procédure : une personne formée peut se rendre compte assez aisément de la solidité du dossier de l'étudiant. Ceci est assez simple pour le premier cycle de l'université. En revanche, dès lors qu'il s'agit par exemple d'une entrée en doctorat, l'entretien réalisé par le centre des études en France ne suffit plus à juger de la pertinence du dossier. Par ailleurs, l'entretien devrait permettre non seulement de juger le dossier de l'étudiant sur un plan académique, mais aussi en terme d'adéquation avec le marché du travail de son pays d'origine. Enfin, dans les grands pays, comme en Russie, il paraît illusoire de convoquer tous les étudiants à Moscou : des entretiens doivent pouvoir être réalisés dans les grandes villes du pays.

* 24 Le consul général de France à Bangui indique lui un taux de comparution personnelle de 100 %, exception faite des détenteurs de visas diplomatiques. Or la République centrafricaine a été, selon le consulat général de France, particulièrement généreuse dans la délivrance de titres de voyages diplomatiques « pour des raisons de standing ». Par ailleurs, en raison d'une rupture de stock, il y a deux ans, de passeports ordinaires au ministère de l'intérieur, tous les demandeurs de voyage ont été dotés durant la période de passeports diplomatiques quelque soit leur statut...

* 25 Dispense des demandeurs pratiquant le tourisme de groupe.

* 26 La plupart des postes africains ont un taux de comparution personnelle supérieur à 90 %, mais pas tous.

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