2. Le rôle direct volontairement modeste de l'Etat fédéral
L'intervention de l'Etat fédéral dans la vie culturelle américaine est restée sinon inexistante, du moins très ponctuelle jusque dans la première moitié du XX e siècle.
Les quelques tentatives opérées par l'exécutif en ce domaine, se sont heurtées avec régularité à l'hostilité déclarée et aux refus les plus catégoriques du Congrès.
La seule exception, mais elle est de taille : la création en 1800 de la Bibliothèque du Congrès, initialement conçue pour réunir les ouvrages nécessaires aux parlementaires dans leur travail, mais dont la vocation s'est bientôt élargie, et qui constitue aujourd'hui la première bibliothèque du monde en nombre d'ouvrages.
Tournant exceptionnel à tous points de vue dans l'histoire américaine, le « New deal » , lancé par le Président Franklin Delano Roosevelt pour sortir le pays de la crise de 1929 par une vigoureuse intervention de l'Etat, eut aussi une dimension culturelle.
Le lancement du « Federal Theater Project » en juillet 1935, confié à Hallie Flanagan, se traduisit par la création de 5 théâtres régionaux, respectivement à New-York, Los-Angeles, Chicago, Boston et La Nouvelle-Orléans, doublée de créations théâtrales dans de nombreux Etats destinées à toucher de nouveaux publics au moyen de nouvelles formes de théâtre expérimental. Cette parenthèse, qui a contribué au lancement d'artistes comme Arthur Miller, John Huston, Joseph Losey, et surtout Orson Welles, a été refermée par le Congrès entre 1939 et 1942.
Autre moment significatif, l'inauguration, en 1941, de la « National Gallery of Art » , issue d'un partenariat entre le donateur Andrew W. Mellon et le Congrès, et qui constitue l'un des très rares musées publics américains.
C'est au président John Fitzgeral Kennedy qu'il est revenu d'initier un retour, d'abord symbolique, du pouvoir fédéral dans le champ de la culture. Outre les réceptions d'artistes à la Maison blanche, il faut signaler le voyage d'André Malraux en 1962, pour sceller le prêt de « la Joconde ». Et comme le prêt d'oeuvres par des musées français à des musées étrangers, et notamment américains, fait aujourd'hui débat, il n'est peut-être pas inutile de citer ici les propos tenus par l'illustre ministre de la culture du Général de Gaulle au président américain.
« On a parlé des risques que prenait ce tableau en quittant le Louvre. Ils sont réels, quoique exagérés. Mais ceux qu'ont pris les gars qui débarquèrent un jour à Arromanches, - sans parler de ceux qui les avaient précédés vingt trois ans plus tôt - étaient beaucoup plus certains. Aux plus humbles d'entre eux, qui m'écoutent peut-être, je tiens à dire, sans élever la voix, que le chef d'oeuvre auquel vous rendez ce soir un hommage, M. le Président, est un tableau qu'ils ont sauvé » .
Sur le plan institutionnel, la tentative du président Kennedy de créer par la loi un « Conseil national pour les arts » , s'est heurtée à l'hostilité du congrès, et celui-ci a dû se contenter de créer un simple comité par un décret présidentiel.
C'est au président Johnson qu'il est revenu de faire aboutir cette impulsion, à travers la création, votée après de vifs débats par le Congrès en septembre 1965, d'un « National Endowment for the Arts » , ayant vocation à apporter un soutien financier public aux institutions et aux actions culturelles.
Toutefois, comme l'indique sa dénomination ( « endowment » ), celui-ci est moins conçu sur le modèle d'une administration régalienne que d'une fondation privée, dont il reprend d'ailleurs largement les modes d'intervention.
Comme l'explique très clairement Frédéric Martel 14 ( * ) , ceux-ci obéissent à la technique du « matching fund » , initiée par la fondation Ford, qui conditionne l'attribution d'une subvention publique en faveur d'une institution culturelle à la nécessité pour celle-ci de trouver également, de son côté, une somme équivalente par d'autres sources.
« L'idée, très ancrée dans le modèle américain, explique notre auteur , est que pour assurer sa survie, et sa liberté, la culture doit être financée non pas par une source unique mais par des financements variés et croisés qui se complètent, se marient et s'équilibrent ».
Ce type d'interventions conjointes présente à cet égard un triple avantage :
- il permet de dynamiser la philanthropie, puisque les subventions de l'Etat ne servent, en quelque sorte, qu'à amorcer d'autres financements ;
- il évite à l'Etat de s'engager sans retour, et de devenir responsable de la survie des institutions culturelles qu'il aura, un jour soutenues ;
- enfin, il garantit la liberté des artistes et des institutions qui ne dépendent pas du seul Etat.
L'une des premières grandes actions réalisées par la NEA fut la construction d'un « National cultural center » à Washington, qui deviendra bientôt le « John Kennedy Center for the performing arts ».
Le « National Endowment for the Arts » connaîtra par la suite des fortunes diverses : un âge d'or sous la présidence de Richard Nixon, en particulier grâce à l'impulsion de Nancy Hanks. Son action en faveur des musées et des orchestres symphoniques s'est alors doublée d'un souci de décentralisation culturelle, et d'ouverture aux cultures de l'Amérique moyenne, à travers l'organisation de tournées, et l'organisation d'ateliers d'écriture dans les écoles.
Les tentatives de dissolution engagées par le Président Ronald Reagan se sont heurtées à l'hostilité du Congrès, et notamment de la Chambre des représentants où les démocrates avaient conservé la majorité, ainsi que des milieux artistiques, y compris lorsqu'ils étaient de sensibilité républicaine, comme l'acteur Charlton Heston.
Le NEA fut cependant fortement ébranlé par les polémiques qui scandèrent la « guerre des deux cultures » - la « Culture Wars » - , au coeur desquelles il se trouva embarqué. Celles-ci ont provoqué son déclin mais non sa disparition.
* 14 « De la culture en Amérique », Frédéric Martel, Gallimard 2006, pages 86 et sq.