2. Le continent antarctique
L'Antarctique est, à la différence de l'Arctique, un continent et non un océan.
Il est issu de la dislocation du supercontinent Gondwana, il y a 150 à 160 millions d'années.
Il y a 80 millions d'années, à l'époque du crétacé, l'Antarctique est déjà centré sur le pôle Sud. Mais il connaît alors une végétation et une faune luxuriante de type tropical, dont il reste aujourd'hui des fossiles. Les premiers ont été trouvés en 1902 par le Suédois Otto Nordenjold. L'Antarctique restera encore plusieurs dizaines de millions d'années relié à l'Inde et à l'Australie et jusqu'à 25 à 30 millions d'années à l'Amérique du Sud.
C'est alors que se forme le passage de Drake et que l'Antarctique connaît un isolement croissant. La Péninsule est maintenant à plus de 1 000 km du Cap Horn et la terre Adélie à plus de 2 700 km de la Tasmanie.
Cet isolement est la cause directe d'un courant permanent d'est en ouest dans l'océan, le front polaire, et dans la troposphère, qui isole physiquement l'Antarctique du reste de la planète. Ce courant se poursuit même dans la stratosphère mais son sens varie en fonction de la saison. Ce courant marin est long de 24 000 km et large de 200 à 1 000 km, il délimite nettement les régions antarctiques des autres. Plus au nord, en un deuxième cercle, se trouve la convergence subtropicale formant la limite de l'Océan austral, qui au total comprend 76 millions de km². Ce système de circulations circumpolaires en deux structures frontales concentriques forme une véritable frontière naturelle avec les trois autres grands océans de la planète (Atlantique, Indien et Pacifique). Le front polaire et la convergence subtropicale délimitent deux zones nettement différentes aux niveaux océanique et climatique et donc en matière de faune et de flore.
La glaciation complète de l'Antarctique a été lente. Elle aurait débuté il y a 30 millions d'années environ pour former une calotte complète à partir de glaciers ou de petites calottes préexistantes. Depuis 15 millions d'années, la forme de la calotte a vraisemblablement peu évolué, elle a peut-être été plus importante, s'étendant plus loin en mer, ou moins importante il y a 3 millions d'années, mais, depuis cette date, elle serait d'une remarquable stabilité.
D'un point de vue géologique, les parties ouest et est du continent sont fondamentalement différentes. La partie Est est épaisse (35-40 km) et ancienne (précambrien, soit 3 à 4 milliards d'année). L'ouest est plus jeune, mouvementé et volcanique. Il est aussi moins épais (25-30 km). Les deux parties sont d'ailleurs séparées par un rift avec des volcans en activité comme l'Erebus 4 ( * ) , situé dans l'est de l'Antarctique, à proximité de la base américaine de McMurdo.
L'Est de l'Antarctique, tout particulièrement la côte de la terre Adélie et de la terre George V, soit 250 km, fait l'objet de recherches pour y trouver de la croûte terrestre très ancienne datant de l'archéen (- 2,5 à - 4 milliards d'années). C'est exceptionnel pour les chercheurs français puisqu'il n'y a pas dans notre pays de roche de plus de 600 millions d'années. Il s'agit de comprendre la formation de la première croûte terrestre qui, beaucoup plus fine à l'époque, avait un comportement différent. Cela permet également d'identifier les points de jonction avec l'Australie.
En dehors de l'Antarctique, la zone australe est une zone presque exclusivement océanique. Ainsi, jusqu'au 65 e parallèle, aucune section de 5° de latitude ne comporte plus de 6,6 % de superficie de terres émergées
L'Antarctique, de la Terra incognita aux satellites Le continent antarctique a longtemps été la Terra incognita par excellence puisqu'il a été rêvé, imaginé et calculé pendant plusieurs centaines d'années avant d'être découvert. En effet, au 5 e siècle avant notre ère, les pythagoriciens l'avaient imaginé par souci d'équilibre, il en fut de même à partir de la moitié du 16 e siècle, après que la rotondité de la terre a été admise. Il a été nommé, par opposition à l'Arctique, terre de l'ours polaire, soit parce qu'il n'y a pas d'ours (terre sans ours) soit parce que la constellation de la Grande Ourse ne peut y être observée, soit tout simplement parce qu'il forme le pendant du pôle Nord. Au cours du 18 e siècle les explorateurs vont se succéder pour tenter de découvrir le continent inconnu alors que nombreux sont encore ceux qui l'imaginent accueillant et peuplé d'êtres extraordinaires. Maupertuis disait : « Je préférerais une heure de conversation avec un indigène de la Terra australis incognita plutôt qu'avec le plus grand savant d'Europe » 5 ( * ) . Plusieurs, comme Kerguelen, voudront prendre quelques îles pour les caps d'un continent riche et prospère. James Cook, qui fut le premier à franchir le cercle polaire austral le 18 janvier 1773 et à réaliser la première navigation autour de l'Antarctique, déclarera avec présomption qu'ayant été dans l'impossibilité de descendre plus au sud, c'est que soit le continent n'existait pas, soit qu'il ne présentait aucun intérêt : « Si quelqu'un a le courage et la volonté d'apporter une réponse à cette question en allant encore plus loin que moi, je ne lui envierai pas la gloire d'une telle découverte, mais je me permettrai néanmoins d'affirmer que le monde n'en tirera aucun profit. » Ce n'est qu'en 1820 que le Russe Fabian von Bellingshausen, à bord des navires Mirny et Vostock , va découvrir l'Antarctique, sans toutefois y débarquer. Le français Jules Sébastien César Dumont d'Urville, à bord de l' Astrolabe et de la Zélée, est le premier à aborder le continent en janvier 1840 et donne le nom de sa femme à la terre qu'il découvre, la terre Adélie. L'hydrographe de l'expédition, Vincendon Dumoulin, localise le pôle Sud magnétique. Il sera localisé précisément par l'expédition conduite par Shackelton en 1909. La première station météorologique permanente, Osmond House, toujours en service aujourd'hui, a été installée dans les Orcades du Sud en 1903. La côte de l'Antarctique est progressivement mais lentement découverte par Ross (1840-1842), Wilkes (1840), Filchner (1911-1912), de Gerlache, Scott et bien entendu Amundsen qui conquerra le pôle Sud le 14 décembre 1911. En 1912, l'australien Mawson découvre la première météorite en terre Adélie. L'exploration systématique de l'Antarctique n'est vraiment entreprise qu'après la Seconde guerre mondiale grâce aux progrès technologiques . L'amiral américain Byrd y mène l'opération « High Jump », permettant l'exploration de 3 millions de km² et la cartographie de 60 % de la côte. Mais l'étendue de la méconnaissance du continent est révélée par le fait qu'à l'époque on imaginait encore possible une liaison marine entre les mers de Ross et de Weddel. C'est en 1947 que sont créées les expéditions polaires françaises (EPF) par Paul-Émile Victor afin d'explorer la terre Adélie et d'y réaffirmer la souveraineté française. La première station de Port Martin est installée pour la campagne 1949-1950 et trois hivernages s'y dérouleront jusqu'en 1952. Yves Valette et Bertrand Imbert reçoivent la responsabilité de la cartographie du littoral. L'année géophysique internationale 1957-1958 marque une étape décisive dans l'exploration toujours incomplète du continent car elle conduit à l'établissement de nombreuses et importantes bases permanentes occupées jusqu'à aujourd'hui (pôle Sud et Vostock notamment). Elle a été choisie à la fois pour commémorer les 25 ans de la 2 e année polaire internationale, mais aussi parce qu'elle était une année de très forte activité solaire et que l'objectif était d'accomplir d'importants progrès dans les sciences de l'univers, notamment le magnétisme. Sous la direction de Bertrand Imbert, la France créa une nouvelle base sur la côte de terre Adélie, la base de Dumont d'Urville, pour remplacer celle de Port Martin qui avait brûlé en 1952 et installa la base Charcot à 317 km à l'intérieur du continent et à 2 400 m d'altitude. Jacques Dubois, Claude Lorius et Roland Schlich y hivernèrent pour la première fois de février à novembre 1958. Durant l'AGI fut aussi réalisée la première traversée de part en part du continent entre les mers de Ross et de Weddell par l'équipe britannico-néo-zélandaise menée par Vivian Fuchs et Edmond Hillary (99 jours, 35 personnes, 17 véhicules et quatre avions sur 2 700 km), réalisant ainsi le rêve que Shakelton n'avait pu réaliser en 1915 à bord de l' Endurance . Si l'Antarctique est aujourd'hui connu dans sa totalité grâce aux satellites, il n'a toujours pas été totalement exploré par l'homme. |
Le continent antarctique et ses plates-formes de glace flottante permanente représentent une surface de 14 millions de km² , soit plus que la surface de l'Europe ou une fois et demie celle de la Chine, et 8 % des terres émergées.
Il est divisé en deux parties distinctes entre est et ouest de la chaîne transantarctique longue de plus de 4 000 km et pouvant dépasser les 5 000 m d'altitude (5 140 m. sur le Mont Vinson). A l'ouest se trouve notamment la péninsule antarctique, la partie la plus au nord du continent allant au-delà du cercle polaire (63° de latitude). A l'est se trouve le plateau glaciaire, gigantesque dôme de glace culminant à 4 000 m d'altitude.
Rapportée à l'ensemble du continent, l'épaisseur moyenne de la glace est de 2 200 m mais elle peut largement dépasser 4 000 m par endroits . Ainsi, la profondeur de glace est-elle de 4 776 m sous l'ancienne station Charcot dans le bassin de l'Astrolabe en terre Adélie. Le record de profondeur, de 4 804 m, a été mesuré entre Concordia et Vostok.
Sur le continent antarctique, ce sont 30 millions de km 3 de glace qui sont stockés, soit 2 % de l'eau terrestre, mais 75 % de l'eau douce et 90 % des glaces . La fonte totale de l'Antarctique équivaudrait à une hausse du niveau de la mer comprise entre 60 et 70 m .
Le poids colossal de la calotte glaciaire (30 millions de milliards de tonnes) provoque l'enfoncement du socle rocheux d'environ 700 m . Ce phénomène est appelé l'isostasie. Comme le révèlent les cartes du substrat rocheux, le socle se situe en dessous du niveau de la mer. C'est surtout le cas à l'ouest où le socle est fréquemment situé à - 1 500 m. Il s'agit donc d'un archipel. Cette caractéristique pourrait avoir un impact important sur la dynamique du réchauffement de ce continent puisque les glaces y sont directement au contact de la mer. Plus généralement, la morphologie tourmentée et mal connue du socle rocheux joue un rôle à la fois sur l'écoulement de la glace, la dynamique de la calotte et même la formation des eaux froides puisque la géographie du plateau continental est très largement marquée par les glaciers les plus anciens. Il est en outre extrêmement frappant de constater que l'érosion semble peu importante en Antarctique tant les glaciers sont anciens, stables et lents.
Les plates-formes de glace flottante occupent la moitié de la bordure côtière. Deux sont particulièrement importantes : Ronne-Filchner en mer de Weddell (473 000 km²) et Ross dans la mer éponyme (526 000 km²), soit pour cette dernière l'équivalent de la surface de la France . Elles jouent un rôle fondamental dans l'écoulement de la glace de la calotte, formant des espèces d'arcs-boutants, et dans la formation des eaux froides profondes qui alimentent l'océan mondial. Leur formation dans le lointain passé a sans doute été la clé de la glaciation de tout l'ouest du continent, transformant l'archipel en une calotte unifiée.
Durant l'hiver austral, soit l'été dans nos régions, la banquise recouvre plus de 15 millions de km² supplémentaires , frôlant la limite géographique formée par le courant circumpolaire.
Le continent Antarctique est le continent des extrêmes. Il est le plus froid, le plus venté et le plus désertique .
• Le froid
Le froid s'explique tout d'abord par l'inclinaison (le mot climat vient du grec Klima - inclinaison) de la terre qui provoque l'hiver une longue nuit et l'été un réchauffement beaucoup plus faible en raison de l'incidence des rayons du soleil. A cela s'ajoute l'albédo, c'est-à-dire le fait que la neige et la glace renvoient dans l'atmosphère l'essentiel de la chaleur reçue par les rayons du soleil.
La structure continentale joue également un rôle important puisqu'elle empêche les courants marins et atmosphériques de venir réchauffer le continent, on estime la différence à 10°C entre l'Arctique et l'Antarctique aux mêmes latitudes.
Il faut encore compter sur l'altitude élevée du continent. A 3 000 m, il fait environ 20°C plus froid qu'au niveau de la mer.
Ainsi, c'est au coeur de l'Antarctique de l'Est qu'a été enregistré le record de froid : - 89,6 °C à Vostok, le 21 juillet 1983 .
• Le vent
L'Antarctique est aussi le continent le plus venté du globe car l'air se refroidit et se condense au contact de la calotte glaciaire. Ce phénomène s'explique par l'impossibilité dans laquelle il se trouve de s'échapper par le haut en raison de la très faible altitude de la couche d'inversion de température. Dès lors, il descend vers la côte, formant les vents catabatiques. Ces vents sont peu importants sur le plateau mais accélèrent très fortement en arrivant sur la côte en raison du dénivelé. Ainsi, ils passent de 11,5 km/h en moyenne à Dôme Concordia, à 22,3 km/h à mi-chemin et à 40 km/h à la station française de Dumont d'Urville. Le record de vent a été mesuré au Cap Denison (terre George V), à 329 km/h. L'ancienne station française de Port-Martin connaissait des vents moyens annuels de 70 km/h. Pendant onze jours, les vents y ont été supérieurs à 180 km/h !
Ces vents jouent un rôle important dans l'alimentation et la stratification de la neige sur la calotte. Ils sont aussi la cause des sastruggis, petites congères de glace de l'ordre du mètre, qui rendent la progression des engins chenillés très difficile et provoquent la casse de nombreux matériels.
• Le désert
Le continent Antarctique est aussi l'un des lieux les plus désertiques car les précipitations y sont extrêmement faibles : 2 à 3 cm dans le centre comme à la base Concordia et quelques dizaines de centimètres sur la côte. A titre de comparaison, le plateau de l'Antarctique de l'Est reçoit en un an ce que le bassin parisien peut recevoir en un mois, soit 5 cm d'eau.
Le coeur de l'Antarctique ne connaît aucune vie végétale ou animale.
* 4 Nom du navire de James Clark Ross qui l'a découvert.
* 5 Cité par Bertrand Imbert et Claude Lorius, Le grand défi des pôles, 2 e édition 2006, p.30.