5. L'économie « présentielle »
Michel Godet vient de réaliser, pour le Conseil d'analyse économique, une étude intitulée Vieillissement, activités et territoires à l'horizon 2030 . Il rappelle que notre pays comporte un secteur artisanal et commercial important de TPE et PME de moins de 20 salariés, dont les entreprises agroalimentaires évoquées ci-dessus. Certes, elles induisent une production « territorialisée ». Mais il relève que ces entreprises tirent surtout leurs revenus de la consommation des résidents et des touristes présents ; deux catégories dont l'origine des revenus ne provient souvent pas du territoire en question. En effet, par définition, les touristes ont obtenu leurs revenus ailleurs, ce qui est aussi le cas d'une partie croissante de la population : les retraités, qui ont constitué leurs droits à la retraite autre part que dans le pays où ils vivent maintenant. Ces populations génèrent des activités de service. Il est donc possible de développer de l'emploi dans des régions ne brillant pas forcément par leurs performances industrielles. L'effet d'entraînement de l'industrie n'est donc pas à rechercher obligatoirement pour qu'une région soit prospère. Tout comme on constitue des pôles de compétitivité, en particulier pour renforcer notre capacité à exporter, il pourrait être judicieux de constituer des pôles de qualité de vie et de services pour drainer les revenus des présents : les touristes et les retraités qui bénéficient de revenus de redistribution. Ainsi notre territoire se couvrirait de « grappes » ou de « pôles » : pôles de compétitivité, pôles de qualité de vie et de services, pôles d'excellence rurale. Voilà de quoi poser l'avenir des producteurs agricoles moins brutalement que sous la forme parfois utilisée : 500.000 paysans ou 150.000 agrimanagers. Reste qu'il ne faut pas tricher avec les conditions réelles : certes, 2006 verra l'arrivée des premiers baby-boomers à l'âge de 60 ans -celui de la retraite- et leur retour en milieu rural. Mais ces territoires, où une commune sur deux n'a plus de commerce, sont souvent fragilisés ; la disparition d'un médecin ou la cessation d'activité d'un artisan, eux aussi arrivés à l'âge de la retraite, sont souvent la marque du déclin. De la même façon, le fait que 500.000 dirigeants d'entreprise cessent leur activité dans les dix prochaines années n'est pas automatiquement le signe d'une renaissance passant par leur transmission : on estime en effet que la moitié d'entre elles n'a aucune valeur.
Michel Godet a distingué trois scénarios. Le scénario « gris », celui de la continuité ; le scénario « noir », celui de la guerre des âges ; et le scénario « rose », l'âge d'or des cheveux gris. Le premier serait marqué par la continuité du « mitage » de l'espace, par le fait que seules les « belles affaires » sont reprises, par un artisanat en difficulté, par un effondrement de l'agriculture et par une présence importante d'anglais, d'allemands et de hollandais recherchant la mer et le soleil. Le scénario « noir » est pire encore. C'est l'âge du chacun pour soi : « petits Monaco » pour retraités en ayant les moyens, petits patrons obligés de continuer à travailler car la valorisation de leur entreprise ne leur procurerait qu'un trop maigre pécule pour assurer leur retraite, agriculture en crise au point qu'il n'y a plus d'entretien de la nature et des paysages ! Le scénario « rose » bénéficie d'inflexions plus positives : regain de naissances et immigration, dissuasion de la double résidence avec constitution d'un meilleur logement unique et moins de voyages, Europe « cohérente et en mouvement », économie tirée par le « présentiel » avec un artisanat florissant, accès des PME aux marchés publics ... Bref, un tissu vivant et souple de TPE et PME, avec une pluriactivité des retraités.
Comme on le voit dans cet exercice, il n'y a pas de choix pour l'agriculture : seul le scénario « rose » ne prédit pas son effondrement ! C'est donc celui vers lequel il lui faudrait s'orienter. Au terme de ce travail, tentons plutôt de proposer une image vraisemblable de ce que nous pourrions observer vers 2020. Cette caricature, mélange de tendances et de souhaits, est là pour susciter l'expression de ce que chacun devra faire. Evidemment, ce que chacun fera sera différent. Non seulement parce que de nombreux facteurs sont ignorés, mais aussi parce que la volonté des uns peut ne pas être compatible avec celles des autres. Les réflexions engendrées, adossées à l'échéancier dont nous rappellerons quelques étapes en conclusion, pourraient inspirer les programmes d'action des uns et des autres.