4. La partie « distribution » du système alimentaire
Ford Model T versus Wal-Mart
La caricature les présente ainsi pour illustrer un article de Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux « Echos ». D'un côté, un consommateur revenant de chez Wal-Mart : « En tant que consommateur et salarié, je gagne moins mais je mange plus ». De l'autre, un agriculteur, fourche à la main, lui répondant : « En tant que producteur, je ne gagne rien et je ne mange plus ! ». Quelques jours auparavant, Antoine Boudet, journaliste aux « Echos », signait un article intitulé Grande distribution : la guerre des prix n'aura pas lieu, illustré par une autre caricature. Un consommateur poussant son caddie dans les rayons entend cette invite que diffuse un haut-parleur : « On s'éclate, au rayon CAC 40 : jusqu'à 18 heures, une super promo sur la grande distribution à prix sympa, pour vous madame » . C'est que la consommation a terriblement ralenti en France en 2005, mettant en péril la rentabilité de la grande distribution.
Comparons. En 1908, Ford octroyait des salaires élevés pour que les ouvriers puissent s'acheter la « Model T », résultat d'une production de masse permettant de réduire les prix. Aujourd'hui, Wal-Mart pratique des prix bas pour les clients en faisant pression sur les salaires. Utilisant les dispositifs informatiques et logistiques les plus performants, il s'approvisionne en Chine (si Wal-Mart était un pays, il se classerait huitième partenaire commercial de la Chine, devant la Russie et la Grande-Bretagne), faisant pression sur les marges des fournisseurs. N'est-on pas entré dans une spirale à la baisse des prix et du pouvoir d'achat ? La recherche incessante du prix le plus bas ne se fait-elle pas au détriment de l'emploi ? Les responsables opérationnels de la grande distribution sont persuadés qu'ils créent des emplois, et notamment pour les moins qualifiés ; mais n'y a-t-il pas des « dégâts collatéraux » sur l'emploi en général, engendrés par la grande distribution ? Quel serait alors le solde net ?
Ces caricatures ont le mérite de souligner les interrogations qui se font jour sur l'impact de la grande distribution sur la répartition de la valeur tout au long des chaînes qui relient les producteurs aux consommateurs, et en particulier les agriculteurs aux consommateurs de produits alimentaires, c'est-à-dire « nous tous ». Cependant, pour percevoir les évolutions futures, il est indispensable de rentrer un peu dans le détail ; on se concentrera sur la distribution française.
Il faut d'abord remarquer que, si l'essentiel de l'alimentation passe par la grande distribution, une partie de l'alimentation atteint le consommateur final sans passer par la grande distribution. Le consommateur fréquente divers formats : les hypers, les supers, les supérettes, les magasins de proximité et les hard discounters . Mais il peut aussi se procurer son alimentation grâce à la vente par correspondance, à la « cyber épicerie » ou aux automates ; il peut se restaurer hors domicile, à la cantine, au restaurant, ou sur les autoroutes ; et il peut faire ses achats alimentaires dans les stations services. Inversement, la grande distribution peut ne pas être alimentaire : c'est le cas pour l'électroménager, le meuble, les articles de sports, etc. Aussi, bien que la distribution alimentaire soit très concentrée, la combinaison des différents cas de figure fait que les politiques des groupes ou des enseignes peuvent être très différentes. Nous allons en donner un aperçu en tentant de révéler certaines problématiques.
Oligopole-oligopsone. Lois. Pour baisser les prix ?
On peut voir aujourd'hui la grande distribution comme un oligopole : peu de vendeurs se retrouvent face à une multitude d'acheteurs-consommateurs qui ne peuvent pas bien connaître les prix, compte tenu du nombre de références, de la variété des conditions, etc. On peut la voir comme un oligopsone : ils sont un petit nombre d'acheteurs face au grand nombre d'industriels. Des lois ont tenté « d'administrer » les relations entre les acteurs, induisant des comportements critiqués. La recherche de prix bas, après guerre, a conduit certains commerçants à « casser les prix ». Les producteurs, industriels et agricoles, ont tenté de résister à ce mouvement en refusant de vendre aux « casseurs de prix », ce qui devint impossible à la suite de la circulaire Fontanet de mai 1960 interdisant le « refus de vente ». Le petit commerce a évidemment souffert de cette situation et de nombreuses manifestations sont venues troubler l'ordre public. La loi Royer de 1973 a eu pour but de canaliser ces mouvements, en accompagnant la modernisation de la distribution et en aidant le petit commerce. Des dérives politiques graves sont apparues, les créations de grandes surfaces générant la production de taxes locales et d'emplois d'une part et, d'autre part, l'augmentation d'activité de l'enseigne qui obtenait l'autorisation de s'installer. La corruption s'est introduite dans le système. En même temps, les « prix cassés » semblaient les bienvenus au moment où l'inflation était « galopante ». La grande distribution a modelé le paysage des villes et des campagnes, tandis que la concurrence s'exacerbait : pour maintenir à court terme leur activité, certains producteurs industriels et agricoles étaient contraints d'accepter de vendre en dessous de leur prix de revient. A moyen et long terme, cela signifiait la désagrégation du tissu industriel et rural alors que, par ailleurs, des politiques d'aménagement du territoire étaient à l'oeuvre.
La loi Galland, en 1996, a introduit l'interdiction de la revente à perte par les distributeurs et maintenu l'interdiction du refus de vente par les producteurs. La même année, la loi Raffarin imposait une autorisation pour ouvrir des surfaces supérieures à 300 m², ce qui a parfaitement convenu au hard discount pour lequel cette taille suffit. La loi Galland va faire naître la pratique des « marges arrière », technique qui consiste à faire payer à l'industriel des coopérations commerciales ne correspondant pas toujours à de véritables prestations de la part du distributeur. Lequel distributeur pouvait « déréférencer » brutalement le fournisseur. Il fallait réformer encore. La loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) va empêcher les « déréférencements » arbitraires. La loi Dutreil, dont la circulaire correspondante a été publiée le 8 décembre 2005, vise à atteindre un recul des prix de 5 % (de 2004 à fin 2007), notamment par un dispositif qui limite les marges arrière à 20 % du prix d'achat au 1er janvier 2006, puis à 15 % au 1er janvier 2007. Un rapport d'étape est prévu en l'année prochaine.
Des groupes hétérogènes aux motivations diverses
A la mi-juin 2005, les parts de marché des enseignes en France se répartissaient ainsi :
- Leclerc : 17,0 % ;
- Carrefour : 13,5 % ;
- Intermarché : 11,3 % ;
- Auchan : 9,9 % ;
- Système U : 8,2 % ;
- Champion : 8,2 % ;
- Lidl : 4,1 % ;
- Géant-Casino : 3,9 % ;
- Leader Price : 3,5 % ;
- Cora : 3,0 %.
Mais si l'on examine le chiffre d'affaires global (150 milliards d'euros France), l'ordre change :
- Carrefour : 71 milliards d'euros ;
- Intermarché : 38 milliards d'euros ;
- Auchan : 30 milliards d'euros ;
- Leclerc : 27 milliards d'euros ;
- Géant-Casino : 24 milliards d'euros ;
- Système U : 15 milliards d'euros ;
- Cora : 10 milliards d'euros.
Le monde se fait plus complexe encore si l'on regarde les centrales d'achat dans lesquelles ces entreprises se regroupent. Nous ne donnerons ici que quelques points de repère au niveau européen, respectivement en chiffre d'affaires 2005 (en milliards d'euros) et en parts de marché (en %) :
Chiffre d'affaires 2005
|
Part de marché (en %) |
|
EMD (Système U) |
103 |
10 % |
Coopernic (Leclerc) |
96,6 |
9,3 % |
Carrefour |
79,3 |
7,7 % |
Ageno/Aldis |
77,5 |
7,5 % |
AMS |
70,4 |
6,8 % |
IRTS Auchan-Casino |
69,2 |
6,7 % |
Metro |
66,4 |
6,4 % |
Tesco |
52,5 |
5,1 % |
Schwarz group |
40,0 |
3,9 % |
Aldi |
32,3 |
3,1 % |
Ahold |
27,1 |
2,6 % |
Wal-Mart Europe |
26,8 |
2,6 % |
Sainsbury |
24,8 |
2,4 % |
El Corte Ingles |
18,5 |
1,8 % |
Morrisons |
18,4 |
1,8 % |
Donnons à présent quelques indications sur les principaux groupes français :
- Carrefour est la seule enseigne au monde à être véritablement internationale : elle compte autant d'effectifs que l'armée française. Les principales enseignes du groupe sont : Carrefour, Champion, Ed, Shopi, 8 à Huit, Marché+, Proxi et Prodirest ;
- Auchan appartient à 400 actionnaires familiaux (famille Mulliez). Les principales enseignes sont : Auchan, Attac, Décathlon, Boulanger, Leroy-Merlin, Kiabi, Norauto, Flunch et Saint-Maclou ;
- créé en 1949, Leclerc est un Groupement coopératif d'indépendants. La génération des pionniers part aujourd'hui à la retraite ;
- Intermarché a été créé en 1969 par M. Le Roch, ancien bras droit de E. Leclerc. Le format des enseignes (1.200 m²) les dispensait du respect de l'autorisation d'implantation prévue par la loi Royer. Intermarché est aussi industriel dans l'agroalimentaire ;
- Casino est piloté par Jean-Charles Naouri qui, avec une très petite « mise de départ », se trouve aujourd'hui à la tête d'un groupe assez endetté dont certaines entreprises sont toutefois très rentables (Franprix, Monoprix). Les principales enseignes sont : Géant, Monoprix, Franprix, Leader Price, Ecoservice, Vival et Petit Casino ;
- Système U trouve son origine dans Unico, en 1920. C'est devenu le troisième groupe d'indépendants : « les nouveaux commerçants », effectivement très impliqués dans la vie locale (sponsorisation de 15.000 associations) et privilégiant les PME.
On comprend naturellement que les stratégies de ces groupes sont éloignées :
- pris dans une difficile fusion avec Promodès, Carrefour doit surveiller son cours de bourse, afin de se protéger d'une OPA. Il lui faut pour cela redresser sa rentabilité sur son coeur de métier, l'hypermarché, et reprendre des points sur Leclerc ;
- très concentré sur la France, où il est perçu par le consommateur comme l'une des enseignes les moins chères, Leclerc étend son métier à d'autres univers : d'abord le carburant, puis le bijou, le livre, la parapharmacie ... Ses adhérents sont dans une logique patrimoniale ;
- Casino a fait l'objet d'une construction financière très « tendue » et doit satisfaire les actionnaires : rentabilité et désendettement sont ses maître mots ;
- Auchan a comme priorité de revoir le format de ses magasins hypers, qui sont très grands et conviennent moins bien aux consommateurs d'aujourd'hui ;
- Intermarché a été en grande difficulté à la suite de sa tentative à l'international avec l'acquisition de Spar, qu'il a revendu. Il reste numéro un du format « supermarché ».
- Système U, le troisième indépendant, a concentré tous ses efforts sur ses magasins ...français.
Il sera tout à fait intéressant d'observer en 2007 la manière dont chacun aura contribué aux objectifs de la loi Dutreil de baisse des prix de 5 % et de voir l'évolution par rapport à l'agroalimentaire. Les ménages dépensent une proportion de plus en plus faible de leurs revenus pour l'alimentation ; les distributeurs chercheront donc à capter les flux d'autres secteurs non alimentaires, sans abandonner pour autant leur pression sur l'industrie alimentaire et sur les producteurs agricoles. La concurrence ne va sûrement pas faiblir entre les enseignes : pour les produits alimentaires, quels comportements nouveaux allons-nous observer ? Car le prix n'est pas la seule variable. Pour faire « bouger le jeu », quels seront les leviers utilisés, d'une part dans la relation entre producteur d'aliments et distributeur et, d'autre part, dans la relation entre distributeur d'aliments et consommateur ? Dans quelle proportion est-il imaginable que la relation entre producteur d'aliments et consommateur final passe par d'autres circuits que ceux de la grande distribution ?
Le modèle à suivre actuellement serait anglais : Tesco
L'anglais Tesco est très rentable et se développe. Il est puissant en Angleterre, où il contrôle le tiers de la distribution alimentaire. A la recherche de relais de croissance, il s'internationalise, notamment dans les pays émergents à forte croissance, comme à Taïwan, où il est entré en compétition avec Carrefour. Les deux distributeurs ont d'ailleurs procédé à des échanges : Tesco a cédé ses implantations de Taïwan à Carrefour, tandis que ce dernier lui abandonnait ses points de vente en République tchèque et en Slovaquie. Les deux opérateurs n'en sont pas à leurs premiers contacts : dans ses premières démarches à l'étranger, Tesco a racheté la chaîne de supermarchés du nord de la France Catteau, très rentable. N'ayant cependant pas réussi à maintenir cette rentabilité, le groupe anglais a revendu Catteau à Promodès, devenu Carrefour depuis lors : à l'époque, les français, qui faisaient figure de modèles, n'ont pas eu une extrême considération pour leur concurrent anglais. Mais les choses se sont inversées et c'est maintenant Tesco qui est pris pour exemple, de même que les hard discounts allemands sont regardés autrement (ce ne sont pas forcément des modèles « paupérisants » : on y trouve à proximité des produits de qualité). Très exigeant en termes de rentabilité, Tesco s'est « superprofessionalisé », alors que les Français auraient surtout travaillé sur des bases très spécifiquement françaises, notamment en matière de délai de paiement : honorant leurs fournisseurs à échéance, ils profitent quasi immédiatement des recettes provenant de consommateurs payant comptant. Certains observateurs vont jusqu'à dire que les distributeurs français gagnent leur argent plutôt en raison de ces dispositions financières particulières qu'en exerçant correctement leur métier de distributeur : les Français auraient pris du retard dans les « fondamentaux » de ce métier.
Bien entendu, Tesco travaille sur les prix et sur la transparence des prix, tout en conservant une rentabilité record : là où Leclerc présente un panier de prix trimestriel, Tesco compare des milliers de prix régulièrement mis à jour. Et il n'hésite pas à mentionner que des concurrents comme Asda (Wal-Mart) ou Sainsbury peuvent offrir des prix inférieurs, car il a d'autres arguments que les prix. Ses magasins -ouverts 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7- sont irréprochables, les rayons étant toujours garnis. Carrefour constate qu'il a une véritable stratégie de marque de distributeur : il élabore ses produits et construit ses gammes avec les industriels, plutôt que de se livrer à un tri parfois brutal entre fournisseurs. Jean-Charles Naouri considère que son avantage compétitif décisif réside dans la manière dont il traite sa relation avec le client : il dispose de bases de données géantes sur les produits, mais aussi sur ses clients. Grâce à la carte club, lancée en 1995, les clients en disposant bénéficient d'une remise de 1 % chaque trimestre et reçoivent des offres ciblées en fonction de leur profil d'acheteur. Tout ceci est rendu possible par les analyses effectuées avec le cabinet Dunnhumby consultancy. Par ailleurs, c'est le seul distributeur qui a réussi à mettre au point un véritable cybermarché. Il est présent sur tous les formats de magasins et investit dans les surfaces de proximité tout en se diversifiant dans le non alimentaire, ce qui lui permet d'améliorer encore sa relation au client, en multipliant les services, financiers en particulier. Et pour satisfaire aux exigences globales de ses clients, il communique sur ses programmes d'utilisation d'énergies renouvelables ou sur la construction de ses nouveaux magasins en matériaux recyclables.
Ainsi, grâce essentiellement à la logistique (traitement de flux physiques -taille et répartition des magasins et entrepôts, gestion collaborative des stocks avec les fournisseurs-, mais aussi d'informations -à l'aide de puissants outils informatiques-), il faut s'attendre non seulement à une modification de la relation avec les clients, mais aussi à des changements profonds avec les acteurs locaux de l'agroalimentaire -artisans et industriels- et avec les agriculteurs, fournisseurs de produits agricoles non transformés. Le traitement de l'information peut être à l'origine d'une modification conséquente des relations de la distribution avec ses clients et fournisseurs ; il peut aussi être la source de nouveaux comportements entre ces mêmes clients et fournisseurs et le secteur de la restauration.
Distribuer des solutions-repas
1 repas sur 7 est pris hors domicile en France, contre 1 sur 2 aux Etats-Unis. On peut prétendre qu'il ne s'agit pas des mêmes cuisines ; il n'en reste pas moins que les pratiques des acteurs influent les unes sur les autres et font évoluer fortement le paysage du « réseau » alimentaire.
Par exemple, les coffee shops de l'enseigne américaine Starbucks commencent à pénétrer dans nos centres villes, d'où disparaissent parallèlement les cafés (notons au passage que l'INSEE recense en 2004, 195.854 entreprises sous la rubrique « hôtels, cafés, restaurants », dont 2.546 emploient plus de 30 salariés). Inversement, les épiceries « haut de gamme » telles que Hédiard ou Fauchon sont prises comme modèles par la grande distribution, en France comme aux Etats-Unis, et des « grands chefs » sont sollicités par les industriels de l'agroalimentaire pour mettre au point des « solutions-repas » portant leur signature.
Autres exemples connus : Mc Donald's, ou bien Pizza Hut, autre franchise appartenant au géant américain Yum ! Brands. Exemple moins connu, celui de Sodexho, fondé à Marseille il y a 40 ans : cette entreprise de restauration collective (cantines, écoles, hôpitaux ...) a un chiffre d'affaires de 12 milliards d'euros. Avec ses 324.000 salariés (à comparer au nombre d'agriculteurs français !), elle est présente dans 76 pays. Dans ce métier aux marges particulièrement faibles, il est intéressant d'observer que Sodexho a choisi d'assurer sa croissance en apportant à ses clients tout un ensemble de services. A côté de la restauration, d'autres activités « support » sont proposées : maintenance, sécurité, accueil, standard, nettoyage, courrier, reprographie, etc. Alors que le deuxième français, Elior (et troisième européen derrière l'anglais Compass), avec 2,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires (2/3 avec Avenance en cantines, 1/3 en restauration de concession pour autoroutes, aéroports, gares, musées ... avec Eliance, L'Arche ...), a choisi de rester centré sur son métier et de se développer par croissance externe et en s'internationalisant.
Nous sommes certes sur des marchés matures. Cependant, on voit bien combien les changements des habitudes de consommation et la concentration des acteurs sont des moteurs puissants de modification des relations consommateurs-distributeurs ou restaurateurs-industriels-agriculteurs. L'exemple de Buffalo grill (286 magasins), qui a été fortement déstabilisé lors de la crise de la vache folle, montre à quel point consommateurs et agriculteurs se trouvent en relation étroite, malgré ce qui les sépare. Pour des raisons évidentes de sécurité sanitaire, mais aussi parce qu'ils doivent sans cesse améliorer leur efficacité, tous ces acteurs fragmentés sont en permanence à l'affût d'innovations techniques permettant d'accroître la transparence, la fluidité et la fiabilité ; de réduire la main d'oeuvre, les stocks et les ruptures de stocks ; de rendre plus efficace la préparation de commandes et d'augmenter le taux de service au client : les codes barres sont présents partout et les étiquettes RFID 5 ( * ) vont considérablement améliorer les performances de gestion.
Les méthodes de travail s'en trouvent profondément affectées. Les restaurateurs recherchent des innovations pour faciliter le travail et remédier au manque de personnel. Les industriels revoient leurs recettes et leurs organisations de production pour adapter leurs séries aux gammes de MDD, à celles des grossistes et à celles des cash & carry , où viennent s'approvisionner les « métiers de bouche ». Les transformateurs agroalimentaires doivent également s'adapter aux demandes particulières de la distribution automatique. Prenons l'exemple de Selecta, filiale de l'anglais Compass, qui a 20 % de part de marché en France : dans le cadre de la lutte contre l'obésité (retrait des machines automatiques dans les écoles), cette entreprise a fait modifier chez les industriels de l'agroalimentaire ses portions de snacks (moins de 200 calories, de 6 grammes de matière grasse, de 200 milligrammes de sodium, de 20 grammes de sucres simples). Ce métier se transforme donc lui aussi : on parle désormais de « restauration d'appoint ».
Tout bouge, décidemment, dans ce secteur de la restauration, qui touche directement le consommateur, le « mangeur ». Et les méthodes de développement les plus modernes y pénètrent, comme la « franchise » qu'a particulièrement étudiée Louis Le Duff, fondateur de la Brioche dorée : pour lui, qui dispose de 550 points de vente au travers d'enseignes telles que Le fournil de Pierre ou Pizza del Arte, le critère primordial, « c'est les hommes ». Dans son organisation, leur sélection est primordiale : 9 candidats sur 10 sont refoulés. Et, imitant la règle du tiers temps en vigueur chez Leclerc ou Intermarché, les franchisés consacrent leur énergie au réseau. Les investisseurs pensent aussi que la question clé est celle des hommes : ils n'hésitent plus à investir dans la restauration commerciale aux côtés d'équipes d'hommes expérimentés qui créent, innovent et concentrent les entreprises. Citons quelques exemples. Colony et Eurazeo sont entrés chez Buffalo grill ; Albert Frère est entré dans le groupe Flo, opérateur d'Hippopotamus, de Bistro romain et des Brasseries parisiennes. Et qui est entré dans le réseau de sandwicherie Pomme de pain ? Acto, contrôlé par Groupama ! Vraiment, dans ce système particulièrement complexe, de nombreux réseaux mettent en contact l'agriculteur et le consommateur !
* 5 Radio frequency identification.