3. La partie « industrie agroalimentaire » du système alimentaire
Des transnationales ; des PME ; des TPE. Une grande fragmentation.
Quelles qu'elles soient, les agricultures sont très atomisées : leurs acteurs sont très nombreux et de petite taille. En face d'eux, l'agroalimentaire est constitué d'acteurs vraiment hétérogènes et le secteur demeure très fragmenté. Il faut y regarder de près, sous peine de mal apprécier les liens qui unissent les maillons de ces chaînes et de ces réseaux.
A l'échelle européenne, nous disposons de renseignements statistiques sur l'industrie alimentaire et des boissons. Il y a 280.000 entreprises, rassemblant 4 millions de salariés, pour un chiffre d'affaires supérieur à 800 milliards d'euros.
Les « micro » entreprises, comprenant moins de 10 salariés (appelées en France TPE, très petites entreprises), sont à l'origine de 7 % du chiffre d'affaires du secteur. Elles concentrent 16 % de l'emploi et 9 % de la valeur ajoutée. Elles constituent les trois quarts (78 % précisément) du nombre total des entreprises du secteur.
Les « petites » entreprises, de 10 à 49 salariés, représentent 15 % du chiffre d'affaires et de la valeur ajoutée. Elles sont 17 % des entreprises du secteur.
Les « moyennes » entreprises, de 50 à 249 salariés, font 26 % du chiffre d'affaires et 23 % de la valeur ajoutée. Elles ne représentent « que » 4 % du nombre total d'entreprises.
Les « grandes » entreprises, soit 1 % du nombre total, sont responsables de 52 % du chiffre d'affaires et de 53 % de la valeur ajoutée, tandis qu'elles emploient 39 % des effectifs.
Bien que ce secteur soit le plus important de l'économie européenne (environ 13 à 14 % du chiffre d'affaires, de la valeur ajoutée et de l'emploi), devant celui des industries « automobile » et « chimie », sa croissance est modeste (nous avons vu que les populations de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie ont commencé leur régression démographique, ce qui joue directement sur le volume de la consommation alimentaire). Il reste cependant exportateur. La productivité du travail y est inférieure à la moyenne de l'ensemble des secteurs. Et la confédération des industries agroalimentaires de l'Union juge que sa profitabilité ne croît pas suffisamment. D'autre part, si les marges brutes ( gross margin ) restent supérieures à 20 % pour les grandes entreprises, elles sont à peine supérieures à 6 % pour les moyennes, tandis qu'elles sont de l'ordre de 2,5 % pour les petites. La performance moyenne des grandes, mesurée par le résultat d'exploitation (EBIT), ressort autour de 6-7 %, alors que celle des autres se situe aux environs de 3 à 4 %. La Confédération des industries agroalimentaires européennes (CIAA) observe que les investissements sont en léger déclin aux Pays-Bas, en France et en Italie ; ils sont en croissance au Royaume-Uni, en Hongrie et en Espagne. Et la confédération note par ailleurs que le secteur, caractérisé par de nombreuses marques, est significativement l'objet de contrefaçons en provenance de Russie, d'Ukraine, de République dominicaine, du Nigeria, d'Argentine ...
Le secteur paraît « à la traîne » en termes de croissance et de productivité du travail par rapport à des pays comme le Brésil, l'Australie ou le Canada ; au même niveau que les Etats-Unis en ces termes, mais meilleur qu'eux en valeur ajoutée. Les parts de marché à l'export régressent, sous l'action du Brésil, de la Chine, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et d'autres Etats.
De cet ensemble, où les PME semblent fragilisées, émergent des entreprises transnationales telle que les « françaises » Pernod-Ricard ou Danone. Si elles peuvent sembler énormes, il faut vite relativiser, car Danone, avec une capitalisation boursière de 28 milliards d'euros, est quatre fois plus petit que Nestlé, son concurrent, qui capitalise 105 milliards d'euros. D'ailleurs, Danone fait toujours figure de proie idéale [l'offre publique d'achat (OPA) par PepsiCo n'a finalement pas eu lieu l'an dernier]. Pour se protéger des prédateurs, un des moyens de Danone est de grossir en rachetant d'autres entreprises ; il devient ainsi plus difficile à acquérir.
En ce qui concerne la France, le chiffre d'affaires du secteur est de 140 milliards d'euros (il est de 130 en Allemagne), en deuxième position derrière les Etats-Unis ; les 420.000 salariés sont employés par 10.624 entreprises, artisanales et industrielles ; 3.180 d'entre elles ont plus de 20 salarié ou, si l'on veut, 70 % des entreprises ont moins de 20 salariés ; nombre d'entre elles appartiennent à des groupes de plus de 500 salariés : environ 130 groupes français et 130 groupes étrangers de 500 salariés et plus sont présents dans le tissu industriel agroalimentaire français. Si le secteur reste le premier exportateur français et s'il se maintient au second rang des exportateurs agroalimentaires derrière les Etats-Unis, il y a cependant une dégradation de la balance commerciale.
Comme ces entreprises de l'agroalimentaire sont le débouché direct principal des professionnels de l'agriculture, il est essentiel d'en saisir les défis principaux pour imaginer leur influence sur l'agriculture. La fin de l'année 2006 sera propice à un examen détaillé et rafraîchi à l'occasion des premières assises nationales de l'agroalimentaire organisées par l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) et du prochain salon international de l'alimentation (SIAL).
Compétitivité menacée : réactions à prévoir, mesures à prendre
Les transformateurs savent maintenant que leur marché domestique est « mature ». C'est la réalité du « mur des estomacs » : la population stagne globalement. Mais elle change. En particulier, elle vieillit, ce qui modifie les besoins alimentaires. Or les consommateurs -comme nous le verrons plus loin- sont sujets à des changements constants résultant des modes de vie devenus extrêmement divers et variables : la profession affronte donc globalement un problème d'innovation et de recherche et développement. Il s'avère que dans ces domaines, les industriels de l'alimentation font moins d'efforts que leurs collègues des autres secteurs industriels et les européens moins d'efforts que leurs compétiteurs mondiaux, ceci étant particulièrement vrai des PME. Dans le droit fil de la relance de la stratégie de Lisbonne, qui vise à faire de l'Europe « l'économie basée sur le savoir » la plus compétitive du monde, l'agroalimentaire a tenté de faire connaître sa « vision » à l'occasion des travaux de la plateforme food for life . De manière non surprenante, il y est indiqué que l'on passe d'un marché qui était marqué par l'offre agricole à un marché qui dépend désormais des exigences du consommateur. C'est la perspective fork to farm : les exigences des consommateurs gouverneront à l'avenir les besoins de la recherche et du développement (R & D).
L'autre manière de trouver de la croissance, c'est d'exporter sur les marchés non européens à croissance rapide. Pour y parvenir, il faut que les coûts soient compétitifs, ce qui ne peut se faire qu'en ayant accès à des matières premières agricoles répondant à des cahiers des charges (qualité en particulier) très précis, présentes en quantités suffisantes à des prix adéquats. La profession s'interroge sur la capacité, à l'avenir, du secteur primaire européen à fournir l'agroalimentaire : les utilisations des produits agricoles à des fins non alimentaires (biocarburants et biomatériaux) vont-elles raréfier et renchérir les approvisionnements destinés à fabriquer des aliments ? Ne faut-il pas réactiver, par exemple, les procédures permettant d'importer les matières premières agricoles au prix mondial et de les réexporter après fabrication de produits alimentaires ? De façon générale, la profession s'inquiète de l'issue du cycle de Doha, des accords bilatéraux (zone méditerranéenne, asiatique, latino-américaine ...), des barrières non tarifaires, de la promotion à l'exportation, du développement des standards européens au niveau mondial, etc.
Dans leur recherche de compétitivité, les transformateurs souhaitent que les pouvoirs publics prennent des mesures qui favorisent la marche des affaires et allègent en particulier les procédures administratives, tout en laissant efficientes les réglementations (douanes, additifs, produits nouveaux, étiquetage, packaging, hygiène, déchets, pollution ...).
Et ils s'inquiètent de la concentration extrême du secteur de la distribution : les cinq premiers contrôlent plus de 90 % de la distribution en Suède, plus de 60 % aux Pays-Bas, plus de 55 % en France et en Angleterre, plus de 40 % en Allemagne. Ils augmentent leur pouvoir de négociation à l'achat en constituant des centrales européennes (avec siège en Suisse, si possible). Et ils accroissent la proportion de produits à marque de distributeur (MDD), tandis que le hard discount prend des parts de marché.
Que va devenir le réseau alimentaire ? Le pouvoir ne risque-t-il pas de se concentrer sur un nombre relativement restreint de grands transformateurs, et sur un nombre beaucoup plus limité de distributeurs ? Si c'est le cas, comment concevoir le rôle futur des PME et des agriculteurs ? Les PME ne vont-elles pas elles aussi se concentrer ? Certaines trouveront-elles, au contraire, avantage à rester artisanales ? Tandis qu'une proportion significative de micro entreprises agricoles atteindra la taille de certaines PME industrielles ? Est-il si sûr que l'on demeurera dans un flux presque unique fork to farm ? Ou bien des pôles ne vont-ils pas s'agréger différemment en bouquets d'entreprises sur la toile alimentaire ? Pôles à partir desquels la création de la valeur agricole, alimentaire, nutritionnelle, culturelle ou naturelle sera impulsée ?
Ne sommes-nous pas prisonniers de manières de voir qui nous conduisent forcément à peu d'enthousiasme, sinon à un véritable pessimisme ? Il est par exemple curieux que les investisseurs s'intéressent à un secteur qui semble si terne. Et nous croyons utile, sans prétendre faire un tableau complet de l'agroalimentaire, de rapporter quelques tendances observées qui montrent bien la vitalité de l'alimentaire.
Vitalité de l'alimentaire, intelligence économique
Marchés à maturité, peu de croissance (mais régulière), récession démographique, baisse des marges, investissements en baisse : le ciel semble en effet bien nuageux. Mais ce sont des nuages en perpétuel mouvement et en renouvellement permanent. L'agroalimentaire est dans l'obligation d'innover et de se concentrer. C'est finalement un secteur qui regorge d'idées nouvelles et qui, du fait de son morcellement en de nombreuses entreprises, recèle de nombreux petits entrepreneurs. C'est exactement ce qui intéresse les investisseurs. Il faut bien comprendre que l'attrait n'est pas dû aux caractéristiques générales et moyennes du secteur, mais aux caractéristiques particulières de certains acteurs. Les gagnants sont en réalité les acteurs et les entreprises bien informés. Paradoxalement, dans ce secteur qui semble si banal et si proche, l'intelligence économique fait la différence !
Quelques exemples -non représentatifs, par définition- permettront de sentir ce qui peut séduire les investisseurs.
On ne peut éviter de dire quelques mots sur Danone, dont l'OPA virtuelle de PepsiCo a déclenché il y a un an ce mouvement de « patriotisme économique » (au même moment, Pernod-Ricard devenait le numéro deux mondial des vins et spiritueux par le rachat du britannique Allied Domecq, tandis que le Taittinger passait -pour un temps- sous le contrôle du groupe américain Starwood). Depuis lors, le cours de bourse a gagné 25,5 %, soit 10 points de mieux que le CAC 40 !
C'est que le groupe a continué sa stratégie de recentrage par des cessions ayant forcément intéressé d'autres acteurs : ce fut le cas pour les sauces (Amoy au Japon, HP Foods au Royaume-Uni, Lea and Perrins aux Etats-Unis), les bonbonnes d'eau DS Water ou les biscuits anglais. Le groupe est désormais centré sur les produits laitiers, l'eau et les biscuits. Ses marchés prioritaires sont le Chili, la Tunisie, la Thaïlande, l'Est de l'Europe et la Chine, qui représente 10 % du chiffre d'affaires (« De plus en plus de chinois intègrent le bénéfice santé des produits laitiers », constate Franck Riboud), tandis que le marché ouest européen assure 54 % de l'activité du groupe. Mais le marché américain intéresse aussi Danone, qui retire de cette zone 10 % de ses revenus. Sur ce marché, c'est dans le yaourt -et plus précisément dans le yaourt bio- qu'il réussit avec sa filiale Stonyfield : il devance le groupe General Mills, qui commercialise la marque ... Yoplait (Wal-Mart pourrait rallonger d'au moins un mètre les rayons yaourts !). Et, fort de cette expérience, Danone pourrait lancer en Europe une nouvelle marque de yaourt bio, « organiques », pour générer une activité du même ordre que celle d'Actimel ou Activia (nouveau nom du yaourt « Bio », sur l'emballage duquel on pouvait lire que ce produit n'était pas élaboré à partir de produits issus de l'agriculture biologique).
Danone ? Un groupe opéable, dont 86% du capital est dans le public, dans lequel il n'y a pas de noyau dur d'actionnaires, dont le quart des salariés est chinois, dont l'objectif est d'acquérir des PME pour être présent dans 80 pays, contre une quarantaine aujourd'hui, et dont l'animateur déclarait en 2004 : « Sur le terrain, nous sommes 50 % de non européens. L'avantage compétitif ne réside en rien dans ses origines. Ce n'est pas la nationalité du comité exécutif qui importe (tous Français, sauf un Suisse et un Néo-Zélandais), mais celle de ceux qui font le business sur le terrain ! ». Et l'on dit que ce groupe est géré comme une PME : « Lorsque vous arrivez d'une entreprise anglo-saxonne, le mode d'emploi est incompréhensible », rapportait Lionel Zinsou. Danone n'est pas opéable par n'importe qui !
On peut être jeune et petit, mais en croissance régulière de 15 %, international, coté en bourse et très innovant. C'est le cas de Naturex, société créée il y 15 ans par Jacques Dykansky. Devenue l'un des leaders mondiaux des extraits de plantes à destination des industries alimentaire et neutraceutique, elle est cotée depuis 10 ans sur Euronext Paris et elle vient de lever 13 millions d'euros pour financer un programme d'acquisitions ciblées. Basée à Avignon sur le pôle technologique Agroparc où elle dispose d'un site de production et de laboratoires de recherche, elle est présente au Maroc, dans le New Jersey et en Californie, dispose d'un bureau à Singapour, compte 400 collaborateurs et réalise plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont 90 % à l'export.
Guy Schumacher a également su utiliser pendant 8 ans la bourse pour la croissance de Saveurs de France -dont il fut le fondateur en 1986- et notamment pour l'acquisition de Brossard. Le titre, introduit en 1997, a été récemment retiré pour éviter les turbulences. La bourse n'est pas un outil universel. Et l'immense majorité des sociétés alimentaires n'est pas cotée.
Les fonds d'investissement sont les vecteurs de nombreuses opérations. D'un côté, beaucoup de dirigeants de PME arrivent à l'âge de la retraite et souhaitent vendre leurs affaires ; de l'autre, les grands groupes sont souvent pressés par leurs actionnaires de se concentrer sur leur coeur de métier et de céder des filiales, comme on l'a vu dans le cas de Danone. Ces mouvements offrent des opportunités de reprise pour des entrepreneurs expérimentés, mais qui manquent souvent de capitaux : c'est là qu'interviennent les fonds d'investissement, lesquels ne peuvent se contenter des moyennes du secteur. Pierre Jacquesson, d'APAX Partners, a montré, lors du colloque d'AgroFinance, pourquoi les fonds recherchent des rentabilités élevées, de l'ordre de 25 % : c'est qu'ils doivent offrir à ceux qui mettent des fonds à leur disposition des rentabilités supérieures à la concurrence. Et comme ils n'y parviennent pas systématiquement, ils doivent sélectionner très sévèrement leurs opérations. Très peu de dossiers aboutissent : 2 % environ. Un travail très approfondi d'analyse est effectué en utilisant réseaux et experts (l'intelligence économique) ; des semaines sont passées à rédiger des scénarios susceptibles d'apporter des ruptures de toute nature pour créer rapidement de la valeur. Puis des managers « surdimensionnés » sont recherchés pour mener à bien des opérations faisant l'objet de montages juridiques, financiers et fiscaux très « tendus ». Les horizons de réflexion sont de 10 à 12 ans, de sorte qu'en revendant au bout de 5 à 7 ans, la cible puisse être suffisamment attractive pour un nouvel entrepreneur : il doit rester du potentiel pour servir de base à un nouveau scénario. Et lorsque l'affaire est achevée, « la vitesse d'exécution est incroyable » : 2 ou 3 heures de réunion par mois avec le manager qui a été choisi pour sa créativité et son expérience. La stratégie ayant été définie, sa responsabilité est de la mettre en oeuvre : il est évidemment intéressé à sa réussite.
Andrew Cookson, de la société GIRA, a montré que des opérations très importantes peuvent être conduites et modifier le paysage européen d'un secteur : VION est devenu en quatre ans numéro un en Allemagne sur le secteur très atomisé de l'abattage du porc ; en partant du groupe Moksel, qui représentait 5 % de parts de marché en 2003, le fonds hollandais ZTLO a accompagné les opérations de rachat, notamment de Sovion puis de Sudfleish, pour aboutir début 2006 à une position de leader avec 22 % de part de marché. Ayant poussé la concurrence à faire de même, le secteur s'est structuré, 3 entreprises représentant désormais 45 % du marché.
Quelques opérateurs spécialisés se sont constitués, comme le cabinet Transcapital, spécialiste de fusions-acquisitions agroalimentaires ; des fonds d'origine agricole sont actifs, comme l'IDIA du pôle financement du Crédit agricole, Unigrains , Sofiproteol ou AgroPlus. Mais tous les fonds sont attirés par l'agroalimentaire : ceux qui existent depuis longtemps sont les mieux à même de faire des bonnes opérations, car leur connaissance du secteur est forcément importante ; ils ont donc des spécialistes. A l'inverse des fonds d'origine agricole, ils ne cherchent pas forcément à se spécialiser, car leur comportement est avant tout opportuniste, recherchant avant tout des cibles dont le taux de rendement sur investissement dépassera les 25 %. Mais comme ils évoluent dans ce secteur depuis longtemps, ils ont accumulé une expérience qui leur donne un avantage déterminant.
Il n'y a pas vraiment de règle ; l'oeil doit être aiguisé et pouvoir distinguer des stratégies créatrices de valeur parfois très différentes à partir de données de base voisines. Le secteur de la boulangerie - viennoiserie - pâtisserie (BVP) en offre l'exemple. On y rencontre des poids lourds comme Barilla, devenu leader dans le pain et détenant Kamps en Allemagne, ou bien Harry's en France. Mais on peut y rencontrer un René Ruello, créateur de Panavi, qui se développe surtout par ses efforts de productivité industrielle (Panavi sur lequel on « lorgne », tandis que lui-même s'intéresse à des marchés prometteurs : on mange autant de pain en Algérie qu'en France ...), à côté d'un Louis Le Duff qui, sur le même domaine de départ, a constitué son groupe de manière commerciale, en utilisant la franchise. Et l'on voit se construire des groupes comme Pasquier, Neuhauser, BCS, RHM ou NORAC, sur le secteur en fort développement des sandwiches ou de la distribution alimentaire autoroutière. La BVP va sûrement poursuivre sa concentration : les progrès dans les techniques de fabrication différée pousseront dans un sens, tandis que la stigmatisation du secteur à propos de l'obésité conduira à des propositions nouvelles ; la pénurie de main d'oeuvre sera compensée par des innovations émanant des équipementiers ; la mise en valeur des rayons « boul'pat' » dans les grandes surfaces continuera, malgré ces modifications, pour maintenir les flux et le trafic de clients. Ce qui ne découragera sûrement pas Apollonia Poilâne de faire du « haut de gamme ».
En revenant à Barilla, autrefois plus spécialisé dans les pâtes sèches, nous pourrions évoquer les changements radicaux qui se sont produits en quelques années : Panzani, appartenant à Danone, repris par Paribas affaires industrielles, qui reprend Lustucru, qui se trouve recédé a Pulvo Ebro, espagnol, numéro deux des pâtes aux Etats-Unis ...
Nous pourrions « faire un tour » au rayon des produits frais élaborés (que l'on trouve aussi en distribution automatique ou sur les autoroutes). Les produits laitiers (ultrafrais, fromage, crème, beurre) sont un pilier de l'agroalimentaire, en quête de croissance. Les fruits et légumes frais élaborés peuvent être très attractifs : ils ne nécessitent pas d'investissements industriels lourds, tandis que l'activité est caractérisée par des besoins en fonds de roulement nuls, ou même négatifs. C'est l'univers de la quatrième gamme, dynamique ; de la cinquième gamme ; des salades « traiteur » qui se développent en MDD et qui innovent en recettes et en packaging ; des «soupes fraîches », qui peinent à décoller ; ou de niches comme les « purées fraîches ». C'est un monde où les rachats potentiels sont nombreux : des leaders industriels sont là comme Bonduelle, Fleury-Michon, Geest, Martinet ou Soleco, à côté de coopératives comme Lunor, de négociants comme Pomona ou d'outsiders comme « 4G » ou Créaline.
Nous pourrions aussi évoquer les produits de la mer, dont la consommation augmente au moment où la ressource devient rare et dont l'organisation est complexe, faisant intervenir de nombreux intermédiaires.
Nous pourrions détailler le monde des ingrédients « santé », celui de Naturex, qui compte une myriade de petites entreprises sur la planète et dont les problématiques ne sont pas forcément des plus simples : le fondement scientifique de ces aliments « santé » est-il suffisant ? L'argument « santé » n'est-il pas déjà surexploité ? Les réponses à l'obésité ou au vieillissement sont-elles sérieuses ? Les études cliniques sont-elles probantes ? Les allégations santé exactes ? Les pathologies « d'avenir » telles que le cancer ou l'ostéoporose peuvent-elles générer de nouveaux aliments ?
Les produits « minceur », qui sont en croissance forte, ont-ils un réel avenir ? En tout cas, on constate un renouvellement permanent de l'offre qui se différencie avec l'apparition de produits « masculins », de produits « jeunes » et de produits « seniors ». Nous sommes au carrefour de l'agroalimentaire, de la pharmacie et de la cosmétique : une illusion ? Nestlé et L'Oréal viennent de fonder une filiale commune : Innéov.
Faut-il revenir sur terre ? Regardons les eaux préemballées (eaux minérales, eaux de source, eaux purifiées) : elles sont conditionnées dans des matières élaborées à partir de pétrole. La pression écologique eau + plastique/pétrole ne va-t-elle pas conduire à des changements, alors qu'en même temps, on constate un décrochage important des prix de vente, les premiers prix tirant le marché ?