6. Gagnants et perdants ? Tirer parti des expériences réussies !
Il serait plus judicieux de se mettre dans l'optique de développer les agricultures du Sud sans sacrifier celles du Nord. En demeurant libéral -ce qui est davantage un humanisme et une position politique qu'un strict raisonnement économique- et en recherchant les modes de régulation les plus adaptés, puisés dans les exemples de politique économique qui ont réussi.
Dans les discussions récentes, chacun a cherché à calculer les ordres de grandeur des bienfaits pouvant être retirés de la libéralisation du commerce des produits agricoles. Pour cela, les économistes utilisent les données du Global trade analysis project (GTAP). C'est une tâche extrêmement difficile, même si les données sont simplifiées. Dans leur modèle « amélioré » ID3, les chercheurs du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ont découpé le monde en 13 régions dont l'Europe, les Etats-Unis, le Mercosur ... et, pour finir, le « reste du monde ». Ils ont distingué 17 secteurs : le blé, le lait, les oléagineux, la sylviculture, les industries agroalimentaires regroupées en sous-secteurs, etc. Ils ont limité les facteurs de production à 5 : le travail qualifié, le travail non qualifié, la terre, les ressources naturelles et le capital. Si cela semble extrêmement simplifié, c'est déjà suffisamment compliqué compte tenu des milliers d'équations à résoudre simultanément. C'est cependant ce genre de modèles qui est utilisé pour mesurer les avantages qu'il y aurait à libéraliser les marchés des produits agricoles. De plus, les économistes du CIRAD ont introduit des mécanismes permettant de tenir compte des incertitudes. Les résultats obtenus amènent à conclure que la libéralisation est « bien moins avantageuse que ce que l'on croyait ».
Cette opinion a été de plus en plus partagée par les économistes de toutes les écoles, au fur et à mesure de l'évolution des négociations à l'OMC. Pour leur part, les économistes du CIRAD, avec Jean-Marc Boussard, concluent : « Aussi pouvons nous affirmer que la libéralisation agricole ne produira pas nécessairement une augmentation importante de la production, n'induira pas le développement dans les pays pauvres, n'améliorera pas de façon significative la répartition des revenus dans le monde et ne conduira pas à une baisse des prix des produits alimentaires pour le bénéfice des consommateurs ».
Outre le fait que ces raisonnements généraux ne prennent pas en compte l'existence des agents particuliers que sont les entreprises -qui ont leurs propres comportements-, les experts ajoutent que c'est le caractère spécifique des produits agricoles (aléas, lois des rendements, inélasticité de la demande par rapport aux prix ...) qui font que les « avantages comparatifs » -mis en avant théoriquement pour expliquer les bienfaits de la libéralisation ne trouvent pas réellement les conditions qui leur sont nécessaires pour fonctionner efficacement. Le marché théorique pur et parfait est beaucoup trop éloigné des conditions réelles particulières aux échanges de produits agricoles : c'est la raison pour laquelle tous les pays, et notamment ceux qui en ont les moyens, à savoir les pays développés, mettent en place des substituts au marché pour que les prix soient néanmoins des signaux qui puissent guider le comportement microéconomique des producteurs, des transformateurs et des consommateurs. Les expériences des uns et des autres sont en ce sens extrêmement précieuses : l'étude des politiques agricoles, et surtout des conditions dans lesquelles elles ont été mises en oeuvre, ainsi que celle des résultats obtenus, sont au moins aussi importantes que l'étude des lois des marchés et celle des limites des domaines de validité dans lesquels ces lois se rapprochent suffisamment prés des conditions de la réalité.