5. Cycle de Doha : développement ou démantèlement ?
Tout d'abord, il y a eu l'ouverture du cycle à Doha, puis l'échec de la réunion de Seattle. Ensuite, les pays du Sud se sont manifestés à Cancun en 2003. Puis, en décembre 2005, à Hong-Kong, les principaux dossiers sont restés en suspens, la question agricole ne progressant que très peu : la conférence a approuvé la suppression de toutes les subventions aux exportations agricoles à l'horizon 2013. Mais en juillet 2006, une absence d'accord a été préférée, le différend sur les aides à l'agriculture n'étant toujours pas résolu. Le développement attendra. Du moins, le développement régulé par des accords multilatéraux, alors qu'un développement plus inégal pourrait apparaître dans le cadre d'accords bilatéraux : que penser d'accords multilatéraux par grandes régions et entre grandes régions ? A moins que le démantèlement des distorsions de concurrence sur les marchés ne reprenne. Ou plutôt, ne s'agirait-il pas de diminuer les distorsions de concurrence entre les zones dont les agricultures sont devenues « suffisantes » d'une part, et de construire, d'autre part, les protections temporaires (forcément sur longue durée) nécessaires au développement agricole des zones économiques les moins développées ?
Prenons le point de vue de l'Union européenne sur les distorsions de concurrence induites par la PAC. Elles sont aujourd'hui, après des réformes, limitées. Par exemple, les productions sont « contenues » : les quotas laitiers plafonnent la production laitière (les stocks de beurre et de poudre de lait sont très réduits) et la jachère, en gelant une partie de la surface, a conduit à réduire les stocks de céréales et à mieux respecter l'environnement, ainsi qu'à expérimenter les cultures destinées aux biocarburants. Le découplage des aides diminue le lien entre la production et les aides, tandis qu'il renforce le lien de la production avec le marché ; le découplage fait passer de l'aide au produit à l'aide à l'agriculteur. Sachant que celui-ci ne la perçoit que s'il respecte les normes fixées : l'écoconditionalité aiguille ainsi vers une agriculture qui prend en compte l'environnement.
A l'intérieur de l'Union européenne, bien que le taux de découplage global soit maintenant de 92 %, les Etats membres ont eu le choix dans l'intensité du découplage. La France, par exemple, a choisi à l'inverse un couplage total pour le troupeau de vaches allaitantes, pour préserver l'activité et l'aménagement du territoire dans des zones telles que le Massif central.
Concernant les exportations, les restitutions ont été considérablement réduites : L'Union est même allée au-delà des engagements pris lors de l'Uruguay round.
Globalement, tous les types de soutien ont été notifiés à l'OMC et les subventions sont une information publique. Cela n'est pas aussi clair dans les autres pays industrialisés : certains instruments employés sont complexes ou ne font pas l'objet d'une discipline à l'OMC, même s'ils ont des effets distorsifs puissants sur la concurrence. Comme il s'agit des points importants du « différend agricole », il est utile de les expliquer sommairement.
Certains pays ont organisé des boards . Ce sont des entreprises publiques ou parapubliques qui ont le monopole de l'exportation. Compte tenu de cette caractéristique, elles pèsent sur les prix des exportations sur des marchés mondiaux qu'elles influencent. Il s'agit notamment du New-Zealand dairy board , du Canadian wheat board , de l'Australian wheat board ou de la Queensland corporation , en Australie également.
Ou bien des crédits à l'exportation sont mis à disposition des exportateurs à des taux extrêmement avantageux et avec des remboursements différés : 15 % des exportations agricoles australiennes et 5 % des exportations agricoles canadiennes ont bénéficié de ces crédits à l'exportation, ayant fait l'objet d'un soutien public, entre 1995 et 1998. Sur la même période, les chiffres sont de 2 % seulement pour l'Europe et de 6 % pour les Etats-Unis qui, en jouant sur le « mix-produit », ont concentré leurs opérations sur le blé, qui a bénéficié d'un soutien de 17 %. On peut ajouter que 90 % des garanties en Europe sont accordées pour moins d'un mois, tandis que 94 % des garanties accordées par les Etats-Unis sont supérieures à un an, la durée pouvant parfois aller jusqu'à 10 ans.
Les marketing loans sont une modalité classique de la politique agricole américaine. Ces aides sont notifiées à l'OMC comme instrument de soutien interne, mais ne sont pas notifiées comme subvention à l'export. Or, il est démontré qu'elles ont un effet déstabilisateur sur les prix mondiaux, puisqu'elles tendent à accroître la production lorsque les prix baissent.
L'aide alimentaire est un instrument clé de la politique étrangère américaine. En même temps qu'elle constitue une aide, elle vise à accroître les marchés d'exportation pour les produits agricoles américains. Les opérations d'urgence et de développement de l'agence américaine pour le développement international [United states agency for international development (USAID)] et le programme food for education (cantines scolaires et stocks d'urgence) sont certainement bien de l'aide. Mais trois programmes, représentant 63 % de l'aide, sont utilisés à des fins commerciales : les crédits à taux « concessionnels » (ventes à des conditions préférentielles, taux très bas, durée de remboursement très longue) ; les donations du ministère américain de l'agriculture [United states department for agriculture (USDA)] ; et le programme food for progress (autre programme de vente à crédit et de dons).
Par ailleurs, des barrières non tarifaires sont utilisées. Mettant en avant des mesures environnementales, elles sont utilisées surtout par le Brésil, l'Argentine, la Nouvelle Zélande et l'Australie, qui se distinguent avec trois quarts de leurs importations couvertes par des barrières protectionnistes à caractère environnemental. En Europe, ce genre de pratique concerne trois fois moins de produits qu'au Canada ou aux Etats-Unis.
Signalons enfin une pratique spécifique de l'Argentine, qui applique une taxe à l'exportation de 23,5 % sur le soja et les graines oléagineuses, mais de seulement 20 % sur les tourteaux et les huiles. Cela gène les triturateurs européens, pour lesquels l'achat de la matière première est rendu plus cher que pour leurs compétiteurs argentins.
Mais nous n'allons pas reprendre toutes les discussions en cours ou suspendues ...