4. Un système d'éléments interdépendants
L'approche « système » est largement utilisée dans les sciences du vivant et dans les sciences sociales : elle permet de comprendre en particulier que toute modification d'un élément entraîne la modification d'autres éléments.
Ainsi, selon Jean-Louis Rastoin, « le système alimentaire peut-être considéré comme un système :
- finalisé (satisfaction de la fonction de consommation alimentaire) ;
- biologique (de par la nature de ses produits) ;
- ouvert (relations multiples avec les ressources naturelles de base : terre, climat, environnement socio-économique et culturel) ;
- complexe (plusieurs millions d'agents économiques concernés, en France, dans l'agriculture, l'industrie agroalimentaire, la distribution, la restauration, les industries et services périphériques) ;
- partiellement déterminé (la production du système est soumise aux variations aléatoires du milieu agroclimatique et à la volatilité des marchés physiques et financiers) ;
- à centres de commande multiples (les entreprises, les institutions gouvernementales) ;
- à régulation mixte (le marché, l'Etat, les accords internationaux) ».
Le système « opérant » est celui décrit au début de ce chapitre et que l'on peut résumer ainsi : production de matières premières agricoles ; transformation, industrielle ou artisanale, des matières premières ; conditionnement des produits consommés à l'état frais ou transformés ; distribution des produits avec incorporation différenciée de services ; logistique (transport et stockage, ruptures de charge) ; fabrication des biens et services nécessaires au réseau décrit (activités périphériques :machines et équipements, emballages, assurances et financements, recherche et développement, formation et réglementation).
Ce premier sous-système « opérant » fonctionne grâce au sous-système d'« information », que l'on peut symboliser par le code-barres du Gencod, en voie d'être remplacé par des étiquettes « intelligentes » RFID (radio frequency identification). Ces nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) accélèrent les liaisons entre les acteurs, notamment entre les industriels et les détaillants. Les « cartes de fidélité » complètent le dispositif. Plus qu'un moyen de paiement, elles sont un outil permettant de connaître le comportement du consommateur très en détail. Elles autorisent des analyses très fines et plus que quotidiennes des ventes des magasins. Il est ainsi possible d'anticiper la programmation des chaînes de fabrication, d'optimiser les transports sur achats et sur ventes, de minimiser les stocks, de synchroniser les opérations commerciales, de diminuer les frais financiers sur capital circulant, etc. La performance des acteurs du système opérant dépendra de plus en plus de leur agilité à s'intégrer dans le système d'information. Il y a là un champ d'exploration très important, en particulier pour les producteurs agricoles, qui pourraient ainsi s'affranchir de la distance au consommateur final. En sens inverse, c'est tout l'enjeu de la traçabilité, donc de la sécurité et de la responsabilité, qui est soulevé.
Le sous-système de décision tisse des relations très nombreuses avec le premier sous-système opérant et avec le sous-système d'information. Il est lui-même extrêmement divers, réagissant aux signaux du marché (principalement les prix), obéissant aux -ou exerçant des pressions sur les- organisations professionnelles (c'est le lobbying : historiquement, les organisations professionnelles agricoles sont très nombreuses et très démultipliées, du niveau européen au niveau local ; des modifications allant dans le sens de la simplification sont à attendre). Le sous-système de décision doit aussi respecter les normes légales ou les règles que s'imposent volontairement les professionnels, dans les domaines de la qualité et de la sécurité sanitaire, par exemple.
Les institutions interviennent notablement dans ces relations, notamment à travers le droit de la concurrence. On peut ainsi rappeler que le rachat de Lustucru par Panzani n'a été autorisé qu'à certaines conditions pour ne pas créer un abus de position dominante, ou que le nouveau groupe Carrefour a été obligé de se défaire d'un certain nombre de magasins dans les zones où les réseaux Promodès et Carrefour devenaient trop denses. Et, bien entendu, on pourrait évoquer les modifications récentes concernant les pratiques commerciales (interdiction de la revente à perte ou des « fausses » coopérations commerciales).