c) La tenue à l'écart du Parlement
Depuis la loi Pasqua de 1987, modifiant, il y aura bientôt trente ans, certaines dispositions relatives aux casinos autorisés, le Parlement n'a pas été amené à examiner un texte exclusivement consacré aux jeux de hasard et d'argent.
Des dispositions importantes, concernant l'autorisation de certains jeux, ont néanmoins été soumises au législateur par le biais d'amendements à certaines lois (l'« amendement Chaban » de 1988 a été introduit sous forme d'amendement à un projet de loi d'amélioration de la décentralisation) ou d'articles de lois de finances (comme celui de la loi de finances pour 1985 qui a autorisé les paris sportifs).
Des mesures aussi importantes que la permission des jeux en ligne de la Française des jeux ou celle de la prise des paris sportifs du PMU sur internet, ou encore le jeu responsable, ont été prises par décret 154 ( * ) .
Par ailleurs, le Parlement ne détermine pas le niveau des principales ressources budgétaires gouvernementales dites « prélèvements non fiscaux ».
En ce qui concerne les jeux proposés par la Française des jeux, ils sont considérés comme des variantes de la Loterie nationale, créée (à titre provisoire !) par une loi de finances pour 1933 155 ( * ) .
Le Parlement a délégué à l'époque, au gouvernement, le pouvoir de fixer par décret les conditions d'organisation et les modalités de ce jeu.
Par la suite, la Constitution de 1958 n'a pas classé les jeux parmi les activités dont, selon son article 34, la loi « fixe les règles ».
Il s'en suit que la délégation donnée en 1933 par le législateur à l'exécutif a été considérée comme permanente.
Les nouveaux jeux proposés par la Française des jeux ont donc tous été créés par décret.
La légalité de cette procédure a parfois été considérée comme douteuse mais à tort, selon le service des études juridiques du Sénat.
L'architecture juridique présidant à l'organisation des jeux de loterie
L'architecture juridique générale présidant à l'organisation des jeux de loterie ne semble pas susciter de véritables difficultés dans l'ordre interne.
Pourtant, certains juristes, principalement Pierre Gioanni, maître de conférences à l'université de Picardie, l'ont contestée. Le raisonnement avancé par cet auteur consistait à faire valoir que les règlements des jeux édictés par le président-directeur général de la Française des jeux comportaient des sanctions pénales en cas de fraude et constituaient ainsi « une atteinte au monopole législatif de création des incriminations » (Pierre Gioanni, Répertoire Dalloz de droit pénal, n° 58)
Un examen attentif des règlements contestés montre cependant que, loin de créer des incriminations, ils se contentent de rappeler que les faits de fraude sont susceptibles d'être poursuivis conformément aux articles 313-1 et suivants du code pénal (cf. par exemple, le règlement général des jeux de loterie instantanés, article 12). Du reste, le Conseil d'État en a jugé ainsi dans sa décision du 22 mars 1978 (Société d'encouragement pour l'amélioration des races de chevaux en France). En l'espèce, il a considéré que le texte contesté par les requérants « n'avait eu ni pour objet et n'aurait pu avoir légalement pour effet de compléter ou d'étendre la législation pénale en vigueur ; qu'il s'était borné à rappeler, à l'intention des joueurs et des agents placés sous ses ordres, la législation qui, selon lui, est en vigueur en ce domaine ».
Plus généralement, le Conseil d'État a considéré que la loi du 31 mai 1933, en dépit de sa rédaction assez restrictive, constituait une habilitation au profit du gouvernement à créer toutes sortes de loteries (même arrêt, confirmé par Conseil d'État, Syndicat des casinos autorisés de France, 17 mars 1995).
Toutefois, le Conseil d'État exige que le gouvernement, avant de confier au président-directeur général de la Française des jeux le soin d'organiser les jeux, fixe les caractéristiques essentielles des tirages et notamment les conditions de détermination des gains (idem, 17 mars 1995).
Source : service des études juridiques du Sénat.
Ce dessaisissement du Parlement n'en est pas moins regrettable , il s'agit d'un important sujet de société, en pleine évolution. Un projet de loi d'ensemble sur ces questions suivant les exemples britannique, belge et helvétique est souhaitable.
Mais encore faut-il une volonté de réforme du gouvernement qui peut s'obstiner à vouloir appliquer les lois héroïques de 1836, 1892, 1907 et 1983, aux nouvelles pratiques, comme celle du jeu à distance.
Il n'est pas question pour autant pour le Parlement de vouloir fixer lui-même le détail de la réglementation des jeux.
Il devrait se contenter de déterminer les principales orientations concernant le jeu responsable, le jeu en ligne, la protection des mineurs, etc. et laisser à une autorité indépendante, ou interministérielle, le soin de fixer les modalités d'application des grands principes.
La Commission européenne a souligné, dans la récente mise en demeure qu'elle a adressée à la France, que la plupart des autres Etats-membres disposent d'une autorité de régulation des jeux de hasard chargée de superviser et de contrôler les opérateurs (il en existe, en tout cas, en Belgique et en Grande-Bretagne et, en dehors de l'Union européenne, en Suisse, comme indiqué plus haut...).
Créer une telle autorité dans notre pays n'implique pas de « libéraliser » le secteur, ni de remettre en question l'option actuellement retenue qui consiste à confier l'exclusivité de certaines activités à un nombre unique (Française des jeux) ou limité (sociétés de courses, casinos) d'opérateurs.
C'est la seule façon de réguler, de façon impartiale, différentes activités soumises, qu'on le reconnaisse ou non, à une certaine forme de concurrence entre elles.
Qui d'autre qu'une autorité indépendante pourrait, par exemple, examiner la demande des casinos tendant à les autoriser à offrir des jeux en ligne aux internautes, sans être soupçonné d'y être opposé a priori, pour défendre les intérêts de la Française des jeux ?
La création d'une autorité de régulation indépendante, supervisant l'ensemble des activités des trois secteurs considérés (ouverture de casinos, créations de nouveaux produits, publicité, protection des personnes vulnérables, informations et suivi etc.) donnerait au Parlement l'occasion de légiférer et de s'exprimer, enfin, sur cette importante question de société qui mérite un débat national.
Les différents comités (COJER) ou observatoires, instaurés ou envisagés, auraient vocation à y être intégrés.
Il appartient au Parlement de consacrer le principe du jeu responsable qui veut que les acteurs concernés ne soient plus seulement considérés comme des administrés ou des réprouvés.
Mais c'est à lui aussi d'exiger la prise en compte des personnes vulnérables (dépendantes et mineures).
Comme l'écrivait Dostoïevski, le joueur responsable « ne doit pas considérer toutes ces tables de jeu, ces roulettes, ces trente-et-quarante, autrement que comme un divertissement organisé uniquement pour son plaisir ».
* 154 - Décret n° 97-783 du 31 juillet 1997 précisant qu'il est mis à la disposition du joueur « un support qui peut être représenté par tout moyen technique , comportant toutes les caractéristiques utiles à la participation au jeu (FDJ) ».
- Décret n° 2002-1346 du 12 novembre 2002 modifiant le règlement du PMU.
* 155 Article 136 de la loi du 31 mai 1933 portant fixation du budget général de l'exercice 1933.