b) Les exemples étrangers
Les bases de notre législation datent encore du XIX e siècle. L'ensemble de notre législation et de notre réglementation est touffu. Les textes des quelques réformes récentes mises en oeuvre, souvent répressifs, sont épars et semblent relever plutôt de l'art d'accommoder les restes d'un système suranné que d'une volonté de réforme globale : une pincée de code pénal, un zeste de code monétaire et financier, quelques dispositions de lois de finances, divers décrets et arrêtés...
Certains de nos voisins européens ont fait d'autres choix.
Sans partager pour autant la vision libérale du Royaume-Uni , moins extrémiste cependant qu'il n'a été prétendu, on ne peut qu'admirer la cohérence et le pragmatisme avec lesquels a été conduite, dans cet Etat, une vaste réforme globale des jeux.
Il y a été décidé, après un travail de réflexion préliminaire approfondi :
- de concilier la recherche du développement d'une industrie des jeux d'argent fructueuse avec les préoccupations liées à la protection des personnes vulnérables et à la préservation de l'intégralité des activités considérées ;
- de regrouper toutes les dispositions concernées, à l'exception de celles relatives à la Loterie nationale, en une seule et même loi, rédigée en termes simples et compréhensibles ;
- que tous les jeux d'argent correspondants seraient autorisés et réglementés par un système de licences 149 ( * ) , y compris les jeux en ligne ;
- enfin, de confier à une instance de supervision unique, le « Gaming Board », le contrôle de l'ensemble des opérateurs et des produits, une autre autorité indépendante, la « Gambling Commission » étant chargée, au préalable, de l'octroi des licences.
Le Gambling Act a été promulgué le 7 avril 2005, mais ne doit entrer en vigueur que dans la deuxième moitié de l'année 2007, après une période de transition (voir plus haut).
Votre rapporteur a pu également apprécier le modèle belge , en se rendant à Bruxelles les 3 et 4 juillet.
Il y a rencontré le Premier ministre, ministre des finances du Royaume, M. Didier Reynders, le Président de la commission belge des jeux de hasard, M. Etienne Marique, et plusieurs de ses collaborateurs.
Mise à part la loi du 31 décembre 1851 sur les loteries, les textes belges applicables en matière de jeux de hasard et d'argent sont beaucoup plus récents que les lois françaises.
Il s'agit essentiellement de trois lois :
- la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection du consommateur 150 ( * ) ;
- la loi du 26 juin 1963 sur le contrôle des entreprises qui organisent des concours de paris sur les résultats d'épreuves sportives 151 ( * ) ;
- la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie nationale.
La loi la plus importante est celle du 7 mai 1999.
Mais elle ne réglemente, sous sa forme actuelle, que les jeux de hasard dans les casinos, les salles de jeux automatiques et les cafés.
Elle pose, comme les lois françaises, un principe de prohibition de tous les jeux de hasard non soumis à une licence.
Les paris sur les événements non sportifs sont interdits en Belgique, pays plus libéral que la France en matière de jeux, où existent cependant des monopoles au profit :
- de la Loterie nationale (y compris sur internet) ;
- du PMU belge, en ce qui concerne les paris sur les courses de chevaux, autorisés par le ministre des finances et régis, ainsi que les paris à la cote, par des dispositions spéciales du code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus (CTA).
La loi de 1963 exige l'autorisation du ministre de l'éducation physique et du sport pour l'organisation de paris sur les événements sportifs en Belgique 152 ( * ) .
La Loterie nationale peut aussi organiser des paris, selon la loi d'avril 2002.
Enfin, certains paris rentrent dans le champ d'application de la loi de 1999 et les règles relatives aux jeux télévisés relèvent d'un arrêté royal.
Les différentes lois, précitées, doivent être appliquées dans le souci d'une canalisation du jeu.
Les principales différences avec la France résident dans :
- l'existence et le rôle de la commission des jeux de hasard, commission administrative indépendante, instituée au sein du ministère de la justice qui est un organisme d'avis, de décision et de contrôle délivrant les licences d'exploitation des jeux de casinos et des jeux automatiques ;
- l'autorisation de jeux automatiques en dehors des casinos (dans des salles spéciales ou dans les débits de boisson...) ;
- un régime plus libéral en ce qui concerne les paris sportifs qui, en dehors des courses de chevaux, sont de la compétence des communautés ;
- mais un numerus clausus pour les casinos, dont le nombre est limité à neuf sur tout le territoire national.
Ces derniers sont tenus, comme en France, d'organiser des activités socioculturelles.
On notera enfin trois particularités intéressantes :
- une affectation d'une partie des recettes de la Loterie nationale au financement de l'aide à des pays en développement ;
- la compétence des régions pour la définition de la base imposable et des taux de taxation de la taxe sur les jeux et paris ;
- une informatisation du contrôle et de la surveillance des machines à sous dans les casinos et les salles de jeux automatiques.
Dans une démarche réformatrice assez exemplaire, les autorités belges ont confié à l'université catholique de Louvain le soin de réaliser une étude sur les jeux de hasard en Belgique, dont les résultats ont débouché sur un projet de modification de la loi du 7 mai 1999.
L'objectif principal de la réforme envisagée serait d'étendre le champ d'application de cette loi aux paris, en créant une nouvelle catégorie d'établissements de jeux de hasard, les agences de paris, soumises au contrôle de la commission des jeux de hasard qui leur délivrerait des licences pour leurs activités, à la place du ministère des sports.
Contrairement à la situation précédente, les paris seraient ainsi considérés comme des jeux de hasard.
Il en résulterait une simplification et une harmonisation de la législation belge.
Par ailleurs, les autorités belges s'interrogent sur la création éventuelle d'un système de licence pour l'exploitation de jeux de hasard via internet. Des certificats de fiabilité, destinés à rassurer les internautes belges, pourraient être décernés par la commission des jeux de hasard.
Enfin, la commission, qui verrait son rôle renforcé, donnerait un avis sur les règles fixées par le Roi sur les paris organisés par la Loterie nationale, et pourrait contrôler certaines des activités de cette dernière, sous l'égide du ministre de la justice.
Votre rapporteur s'est également rendu en Suisse , les 21 et 22 septembre où il a rencontré, le président et le Directeur de la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ), le docteur Benno Schneider et M. Jean-Marie Jordan, ainsi que M. Beat Füglistaller, secrétaire général de l'association des casinos suisses.
On ne peut vraiment pas prétendre que la question des jeux, comme en France, ne fasse pas l'objet, dans la Confédération helvétique, d'un débat démocratique ou que le Parlement en soit tenu à l'écart.
C'est tout le contraire !
Le sujet est traité par la Constitution elle-même (cf. encadré).
Celle-ci prohibait auparavant les maisons de jeu et les jeux de hasard (à l'exception du jeu de la boule, avec limitation de la mise dans les Kursaals).
Quelques cantons avaient également interdit l'exploitation d'appareils à sous sur leur territoire.
Les loteries et les paris professionnels sont régis, de leur côté, par une loi fédérale de 1923.
Cadre légal de jeux de hasard en Suisse
La base constitutionnelle des jeux de hasard se trouve à l'article 106 de la Constitution fédérale. Cette disposition partage le marché des jeux : les maisons de jeu (jeux de hasard) d'une part, et les loteries et les paris professionnels, d'autre part. Le premier domaine est régi par la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeu du 18 décembre 1998 (LMJ), le second par loi fédérale sur les loteries et les paris professionnels du 8 juin 1923 (LLP).
La législation en matière de jeux de hasard relève de la compétence de la Confédération. La préparation des actes législatifs dans le domaine des loteries et des paris revient en premier lieu à la section Loteries et paris de l'office fédéral de la justice ; dans le domaine des maisons de jeu, c'est à la Commission fédérale des maisons de jeu que revient cette compétence. C'est également à cette dernière qu'appartient l'exécution de la loi sur les maisons de jeu et de ses dispositions d'exécution.
La Constitution a été modifiée à la suite d'un référendum (votation populaire) qui s'est déroulé le 7 mars 1993. L'interdiction des maisons de jeux a été levée.
Une procédure de consultation de grande envergure a précédé cette réforme, au cours de laquelle se sont exprimés adversaires, trouvant le projet trop libéral, et partisans des jeux de hasard, l'estimant, au contraire, trop restrictif. Les cantons ont souhaité, pour leur part, qu'une partie du produit de l'impôt sur les maisons de jeux leur soit attribuée et certains ont estimé qu'une part trop belle avait été faite à la Confédération.
Le texte qui a finalement été adopté est le suivant (il s'agit de l'article 35 de la Constitution).
Disposition constitutionnelle adoptée lors de la votation populaire du 7 mars 1993
Article 35 de la Constitution :
1) La législation concernant l'ouverture et l'exploitation des maisons de jeu, y compris les appareils à sous servant aux jeux ce hasard, est du domaine de la Confédération.
2) Les maisons de jeu sont soumises à une concession de la Confédération. En l'accordant, cette dernière tiendra compte des conditions régionales mais également des dangers inhérents aux jeux de hasard.
3) La législation fixe les mises maximum.
4) L'admission des appareils à sous servant aux jeux d'adresse est réservée à la législation cantonale.
5) Une taxe calculée en fonction du produit des maisons de jeu et correspondant à 80 % au plus des recettes brutes provenant de leur exploitation sera versée à la Confédération. Elle sera utilisée pour couvrir la contribution fédérale à l'assurance vieillesse, survivants et invalidité.
6) La Confédération peut aussi prendre les mesures nécessaires concernant les loteries.
Il est prévu une répartition claire et souple des compétences entre :
- la législation confédérale (condition d'ouverture et d'exploitation des maisons de jeu et des appareils à sous, plafonnement des mises, mesures concernant les loteries) ;
- la législation cantonale (admission des appareils à sous servant aux jeux d'adresse, seuls autorisés en dehors des maisons de jeux).
Il appartient donc au législateur de limiter lui-même le nombre de maisons de jeux et de définir librement les conditions d'octroi de la concession (ce qui est impensable en France). Il jouit également d'une grande autonomie pour prévenir « les dangers inhérentes aux jeux » (notamment en fixant les mises maximum).
Le constituant a sagement renoncé à définir lui-même la distinction entre jeux de hasard et d'argent et jeux d'adresse payants, compte tenu de l'évolution technique des machines à sous, bien qu'il s'agisse d'une matière très importante 153 ( * ) .
Il revient ainsi à la loi d'en fixer le principe et à l'ordonnance d'en régler les détails.
L'impôt spécial sur le produit brut des jeux (qui s'ajoute, comme en France aux impôts ordinaires sur les entreprises) est utilisé, à 80 %, pour couvrir la contribution fédérale à l'assurance vieillesse, survivants et invalidité (AVS/AI).
Les cantons peuvent percevoir leur propre impôt sur le restant (ce qui entraîne alors une diminution du taux d'imposition de la confédération).
Ils sont aussi la possibilité de s'opposer à l'établissement de maisons de jeux sur leur territoire.
Le Conseil fédéral statue sur l'octroi des concessions, la Commission fédérale assurant la surveillance et le contrôle de l'activité des maisons de jeux.
L'Office fédéral de la justice est responsable de la préparation des actes législatifs dans le domaine des loteries et des paris.
Les exploitants doivent se conformer aux objectifs de la loi en matière de sécurité (dispositions antiblanchiment) et d'action sociale (mesures contre la dépendance).
Le droit suisse des jeux paraît ainsi très clair et équilibré.
Les maisons de jeu se sont, pour leur part, fortement impliquées dans la prise en charge de la dépendance, avec notamment l'excellente procédure préventive de la « convention de visite » décrite dans le chapitre sur la dépendance.
* 149 Une licence par opérateur, attribuée par la commission des jeux d'argent et une autre pour chaque emplacement physique délivrée par les autorités locales.
* 150 On notera l'inclusion de cette notion, moderne, de protection du consommateur dans le titre même de la loi.
* 151 Cette loi est aussi relative, plus généralement, à l'encouragement de l'éducation physique, de la pratique des sports et de la vie en plein air.
* 152 Il est interdit de vendre en Belgique des bulletins de participation à des concours de pronostics organisés à l'étranger.
* 153 Déterminer si un appareil est un jeu de hasard ou un jeu d'adresse est l'une des tâches les plus délicates de la commission fédérale des maisons de jeux (CFMJ).