b) Une approche répressive et méfiante
En dehors des dispositions qui viennent d'être rappelées, la plupart des principales modifications apportées au droit des jeux depuis la publication, au début de 2002, du premier rapport de votre commission des finances sur cette question, ont une orientation répressive, ou témoignent d'une volonté de prévenir les dangers de l'activité considérée.
La « Loi Perben » du 9 mars 2004 132 ( * ) permet, pour la première fois, une incrimination des personnes morales coupables d'infractions à la loi du 21 mai 1836 prohibant les loteries 133 ( * ) . Elle a, par ailleurs, augmenté d'au moins un tiers le plafond des peines prévues par les autres textes législatifs concernant les jeux (loi du 2 juin 1891 sur les courses de chevaux et loi du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard).
Une nouvelle directive anti-blanchiment , applicable aux casinos, a été adoptée par le Parlement européen en mai 2005. Elle devrait être mise en oeuvre dans un délai de deux ans à compter de sa publication au journal officiel de l'Union européenne qui a eu lieu à la fin de 2005 (le 26 octobre).
Elle abrogera et remplacera, au moment de son entrée en vigueur effective, la directive existante de 1991, modifiée en 2001 134 ( * ) .
Ce texte transcrit dans le droit communautaire la révision, intervenue en juin 2003, des 40 recommandations du groupe d'action financière (GAFI), l'organisme international de normalisation dans le secteur de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Il prévoit des vérifications et des précautions particulières (relevés d'identité, déclaration de soupçons de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme faites aux pouvoirs publics), en cas de paiements en espèces de marchandises dépassant 15.000 euros.
En droit français, et dans le cadre de l'application des précédentes directives, le champ d'application de la « déclaration de soupçon », limitée, à l'origine, aux seuls organismes financiers, à été étendue, en 2001, aux « représentants légaux et directeurs responsables de casinos » qui doivent, en outre, surveiller les paiements de plus de 1.000 euros effectués en une séance 135 ( * ) .
La France est opposée au relèvement à 2.000 euros de ce seuil,prévu par la nouvelle directive européenne précitée,et envisage,comme le lui permet l'article 5 de ce texte, l'application de dispositions plus strictes, pour prévenir le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Une cellule de coordination, chargée du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) a été mise en place le 9 mai 1990, au sein du ministère de l'économie et des finances 136 ( * ) .
C'est à elle que doivent être communiquées les déclarations de soupçons des responsables, non seulement de casinos, mais aussi des cercles et sociétés organisant des jeux de hasard, des loteries, des paris et des pronostics sportifs ou hippiques (lois Perben).
Le rachat frauduleux, par des malfaiteurs, de tickets gagnants du PMU ou de la Française des jeux, à un prix excédant la valeur du gain, se révèle être un moyen possible de blanchiment.
Aussi l'article D.564-3 du code monétaire et financier prévoit-il une identification des gagnants au-delà d'un seuil de 5.000 euros, apprécié différemment pour chaque type de jeu et de pari ou par prise de jeu ou unité de mise.
Les déclarations de soupçons des opérateurs de jeux déclenchent, régulièrement, des actions en justice.
Les casinos, comme les entreprises proposant des jeux et paris sportifs en ligne accessibles aux internautes français sont soumis, lorsqu'ils sont de nationalité étrangère, à un régime d'autorisation et de contrôle strict.
Les activités des premiers, on l'a vu, ont été classées par le décret précité du 30 décembre 2005 parmi celles pour lesquelles les investissements réalisés par une personne physique ressortissante d'un Etat membre de la Communauté européenne sont soumis à une autorisation, en raison des nécessités de la lutte contre le blanchiment de capitaux. S'agissant des cybercasinos, les obligations de déclaration dont doivent s'acquitter les entreprises correspondantes 137 ( * ) résultent de la directive européenne précitée du 4 décembre 2001.
En ce qui concerne les autres activités de jeux et de paris sportifs en ligne, le GAFI prévoit qu'il appartient aux différents pays d'imposer des obligations déclaratives aux entreprises à risque.
Le niveau de vigilance est très inégal selon les pays.
En ce qui concerne la France, plusieurs réunions de travail ont été organisées par le ministère de l'intérieur auxquelles ont participé des représentants de TRACFIN et de la direction générale du Trésor et de la politique économique.
Il en est ressorti que le champ de la déclaration de soupçon ne recouvre pas l'intégralité de celui du délit pénal de blanchiment et qu'il semble impossible de se servir de cette procédure pour contrer les pratiques illégales de jeux en ligne (le blanchiment suppose qu'il y ait un gain et qu'il soit réutilisé).
Actuellement, seuls les paris hippiques font l'objet d'une incrimination pénale alors que les joueurs d'autres jeux illégaux en ligne (loteries, paris sportifs, casinos sportifs) n'encourent pas de peine de prison.
A l'issue du conseil des ministres de mercredi 18 octobre 2006, le gouvernement a annoncé son intention de renforcer la lutte contre les jeux d'argent illégaux sur Internet.
Un plan d'action interministériel sera élaboré, prévoyant des poursuites judiciaires systématiques à l'encontre des auteurs de publicité en faveur de ces activités 138 ( * ) ainsi qu'une aggravation, à l'occasion de la discussion du projet de loi sur la prévention de la délinquance, des sanctions 139 ( * ) qu'ils encourent.
Un observatoire des jeux d'argent liés aux nouvelles technologies devrait, par ailleurs, être prochainement créé.
Une récente et intéressante étude, précitée, du Laboratoire d'expertise en sécurité informatique identifie quatre façons de lutter contre le jeu illégal en ligne :
- l'attribution de licences à des opérateurs agréés (qui suppose le blocage de tous les autres sites) ;
- la traque policière des sociétés en infraction en vue d'exiger leur mise en conformité (option très difficile à mettre en oeuvre) ;
- enfin, le blocage de l'accès à tous les sites prohibés de jeux en ligne étrangers, répertoriés sur une liste tenue à jour et mise à la disposition des fournisseurs d'accès (solution que vient d'adopter l'Italie) ;
- ou celui des transactions bancaires correspondantes (option que viennent de choisir les Etats-Unis).
Les mesures prises par les Etats-Unis
Le Sénat américain a adopté de façon inattendue, dans la nuit du 29 au 30 septembre, une disposition interdisant les paiements (par carte de crédit, virements ou transferts de fonds), afférents à des paris en ligne de citoyens américains.
Il s'agissait d'un amendement raccroché à un projet de loi sur la sécurité des ports et adopté par la chambre des représentants.
On pensait que le Sénat n'aurait ni le temps, ni la volonté de voter cette interdiction. C'était compter sans la proximité des élections du 7 novembre, dont le jeu en ligne est devenu l'un des enjeux, et sans l'engagement personnel du sénateur Bill Frist auquel on prête des ambitions présidentielles pour 2008.
Le « Wire Act » de 1961 prohibait déjà le jeu sur internet mais la cour d'appel fédérale avait jugé que cette interdiction ne s'appliquait pas aux paris sportifs, au poker (très en vogue) et aux jeux de casinos en ligne.
Le régime des courses de chevaux, par ailleurs n'était pas clairement précisé.
D'autre part, les compagnies les plus importantes de cartes de crédit avaient auparavant, d'elles même, souvent rendu impossible l'utilisation de ces moyens de paiement pour le jeu en ligne.
La nouvelle mesure vise principalement les mouvements de fonds en provenance ou à destination de sites étrangers (comme Neteller.com basé dans l'île de Man).
Le marché des jeux en ligne aux Etats-Unis concernerait 10 millions d'américains et est évalué à 6 milliards de dollars.
L'idée, un instant envisagée, de se servir des moteurs de recherche 1 (Google, Yahoo) pour interdire l'accès aux sites concernés n'a finalement pas été suivie.
La mesure, mal rédigée, s'en prend à toute opération de jeu considérée illégale, soit par une loi fédérale, soit par celle d'un Etat, mais à l'exception, des courses de chevaux, de l'offre des réserves indiennes et des paris sportifs virtuels (fantasy sports betting).
Par ailleurs, il est possible de continuer à pratiquer les jeux en ligne autorisés au sein d'un Etat.
1 Comme le gouvernement chinois l'a fait contre son opposition et la France pour les sites nazis.
Les opposants à cette disposition font valoir qu'elle est incomplète (tolérant de nombreuses exceptions) et ambiguë (sera-t-il possible à plusieurs casinos autorisés, chacun, dans un Etat, d'établir des liens entre eux, voir d'offrir aux internautes un jackpot commun ?).
La prohibition des années trente n'a pas empêché la consommation d'alcool, cette nouvelle législation, selon eux, sera fraudée au profit des opérateurs en ligne les plus malhonnêtes et au détriment de tous ceux qui ne pourront pas s'empêcher de continuer à jouer sur internet.
Techniquement - est-il observé - il aurait été préférable d'amender le « Wire Act ».
Il semble donc que la politique française des jeux, malgré sa prise en compte, récente, de la notion de jeu responsable, reste encore empreinte d'une très grande crainte des dangers du jeu.
Il n'est pas certain que cette prévention soit entièrement partagée par la justice européenne.
Ainsi, l'arrêt Schindler fait valoir que la qualification de services donnée aux loteries par la jurisprudence communautaire « n'est pas affectée par le fait qu'elles font l'objet d'une réglementation stricte et d'un contrôle étroit (comme en France et beaucoup d'autres pays...) ... car elles ne peuvent pas être regardées comme des activités que leur nocivité fait interdire... et dont la situation puisse être rapprochée de celle des activités portant sur des produits illicites (stupéfiants) ».
De son côté, l'avocat général de la Cour de justice européenne, M. Damaso Ruiz-Jarabo Colomer a, dans ses conclusions précitées relatives à l'affaire Placanica, émis des doutes, en l'absence de précisions apportées à ce sujet, en ce qui concerne l'incidence , alléguée en l'espèce, des comportements criminels sur les jeux de hasard (par exemple l'escroquerie ou le blanchiment d'argent). Il a estimé que la parcimonie avec laquelle l'Etat italien octroyait des concessions de jeux de hasard n'était pas liée aux impératifs de la lutte contre la criminalité.
Cela a conforté sa double conviction, d'une part, que devaient être pris en considération les contrôles et vérifications déjà pris dans l'Etat d'établissement du bookmaker 140 ( * ) (la Grande-Bretagne) et, d'autre part, que les restrictions apportées à l'activité de son intermédiaire italien allaient « au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par la législation en Italie ».
Nos autorités françaises devraient méditer là-dessus !
En ce qui concerne la Commission, l'étude réalisée pour son compte par l'institut suisse de droit comparé, conclut qu'une corrélation entre le développement du jeu et celui du crime n'est pas scientifiquement prouvée et qu'il s'agit d'une question qui demeure controversée.
La défense du système français d'encadrement des jeux auprès des autorités européennes devrait donc s'appuyer, dans une moindre mesure, sur des considérations de police (lutte contre la criminalité et la délinquance financière 141 ( * ) ) et prendre en compte davantage d'autres arguments tels que la nécessité d'encadrer la consommation pour prévenir les phénomènes de dépendance et d'assurer la protection des mineurs (qui figurent parmi les objectifs du décret du 17 février 2006).
* 132 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
* 133 Quatre peines ont été prévues : amende d'un montant maximum de 150.000 euros (contre 30.000 euros pour les personnes physiques). Fermeture des établissements et filiales concernés - confiscation des biens mobiliers - publicité de la décision de justice.
* 134 Directive 2001/97/CEE du 4 décembre 2001.
* 135 Articles L. 565-1 et D. 564-2 du code monétaire et financier : relevé du nom, de l'adresse et du numéro de la pièce d'identité des joueurs qui remettent ou reçoivent des moyens de paiement supérieurs à ce seuil, en échange de jetons ou de plaques.
* 136 Article L. 562-4 du code monétaire et financier.
* 137 Auprès de la cellule de renseignement financier compétente de l'Etat membre.
* 138 Punissables de 4.500 euros en vertu de l'article 4 de la loi du 21 mai 1836 modifié par la loi Perben du 9 mars
* 139 Jusqu'à cinq fois le montant de l'investissement publicitaire.
* 140 Arrêt du 4 décembre 1986 - Commission/Allemagne.
* 141 De toute façon, pour 15 déclarations de soupçons en 2005, il n'y a eu que 4 transmissions en justice.