3. Le défi des jeux à distance
a) Des dangers véritables
Le jeu en ligne a commencé à se développer en 1995 aux Etats-Unis, comme une des toutes premières applications du commerce électronique, à partir, d'abord, de paris sportifs (pris auparavant par téléphone), puis d'offres de jeux de casinos virtuels.
Le jeu en ligne américain représente la moitié du marché mondial, mais ces activités croissent rapidement en Europe (voir sous-partie précédente) et présentent un potentiel de développement particulièrement important en Asie, où le taux d'équipement des ménages en ordinateurs est moins élevé.
La demande la plus forte, sur notre continent, semble actuellement aller vers le poker en ligne et les paris sportifs. L'utilisation d'internet devrait bientôt y être accompagnée, sinon relayée, par celle du téléphone mobile, qui tend à se répandre très vite.
Bien qu'il s'agisse d'un pourcentage encore assez modeste des dépenses de jeux totales, les dangers que présentent ces pratiques pour les opérateurs en place et pour l'ordre public ne doivent pas être sous-estimés .
Mais il ne faut pas confondre, au départ, certaines offres extracommunautaires avec celles de bookmakers européens, régulièrement licenciés par des Etats membres de l'Union, qui soulèvent des problèmes juridiques quelque peu différents (voir plus loin).
Dans tous les cas, les risques encourus par les opérateurs « historiques » sont les suivants :
- leurs nouveaux concurrents en ligne peuvent gagner de l'argent à leurs dépens, en proposant aux internautes de parier sur les événements sportifs qu'ils organisent, sans la moindre participation aux charges correspondantes (c'est ce que le PMU a reproché, devant les tribunaux français, à la société de droit maltais Zeturf 110 ( * ) ...) ;
- l'équilibre économique et financier actuel des jeux risque de se modifier avec la conquête de nouvelles clientèles, l'effacement des distinctions entre les différents secteurs (casinos et loteries notamment, qui, en ligne, peuvent présenter des produits similaires), une substitution aux offres traditionnelles de nouvelles pratiques attrayantes (à plus fort taux de retour) ;
- les interdictions prévues par les législations nationales peuvent être contournées, ce qui entraînerait une remise en cause des monopoles et une diminution non négligeable des ressources publiques dans les Etats les plus restrictifs (qu'il s'agisse de recettes affectées ou de l'ensemble des prélèvements, du fait d'un transfert d'activité vers les pays les plus accommodants).
Aujourd'hui, 3 millions d'internautes français auraient déjà tenté leur chance et 510.000 joueraient régulièrement. Plus de 2.000 sites « honnêtes » leur seraient accessibles. Ce n'est pas encore considérable mais le phénomène se développe rapidement.
Ces activités étant, pour la plupart, illégales, n'en sont que plus difficilement mesurables.
Indépendamment de ses effets sur l'offre de jeux actuelle, le développement du jeu sur internet comporte également des menaces particulières pour l'ordre public.
Les joueurs occasionnels risquent, en effet, de se faire escroquer, tandis qu'il s'agit d'un moyen idéal de blanchiment, tout contrôle de ces pratiques s'avérant extrêmement délicat en raison :
- de la dématérialisation du contact entre le client et l'opérateur ;
- de la facilité avec laquelle il est possible de transférer une activité illégale d'un site à un autre ;
- de la difficulté de suivre le cheminement d'une transaction sur internet (utilisation de la technique de la commutation par paquets, absence d'adresse individuelle pour tous les internautes...).
Une partie des fraudes commises peut être cependant « endogène », c'est-à-dire liée à la dissimulation de la pratique elle-même du jeu illégal et pas forcément de celle de l'origine criminelle de certains fonds.
Selon un cabinet spécialisé, les revenus des jeux illégaux se situeraient entre 300 et 400 millions d'euros, soit les trois quarts des sommes générées par le marché français des jeux en ligne.
Les sites « sauvages », opérant sans licence, représenteraient, dans le monde, plus de 80 % de l'offre disponible sur internet.
Une étude récente (juillet 2006) du laboratoire d'expertise en sécurité informatique montre que si de nombreux sites exercent leur activité dans le respect des bonnes pratiques du jeu, la majorité des offres de casinos, loteries ou paris en ligne est associée à des pratiques cybercriminelles (pédo-pornographie, arnaques aux joueurs, vols de cartes ou d'identifiants de comptes bancaires, infection de postes victimes...).
Plus d'un millier de casinos en ligne seraient ainsi opérés par les groupes criminels et leurs permettraient de blanchir de l'argent. Aux Etats-Unis, un groupe mafieux agissant en tant qu'intermédiaire entre parieurs et bookmakers avait organisé un vaste système d'évasion fiscale découvert en 2005 (en abusant du droit des contribuables à déduire leurs pertes au jeu...). Beaucoup de ces malfaiteurs élisent domicile dans certains pays, comme Antigua, Chypre ou Malte, qui leur proposent la création de sites « clé-en-main » (attribution d'un nom de domaine, hébergement, mise à disposition de logiciels...), et l'attribution de licences de jeux, avec un taux d'imposition très faible de leurs activités (il serait possible, au Costa-Rica, d'acquérir une licence en trois mois pour 10.000 dollars en ne payant ensuite qu'un impôt de 0,35 % sur ses bénéfices).
L'étude souligne in fine le risque particulier de dépendance associé aux jeux en ligne en raison de leur instantanéité, de leur accessibilité et du caractère virtuel et anonyme de leur environnement. Elle estime qu'il est impossible de les interdire aux mineurs avec une fiabilité suffisante.
* 110 C'est ce que la Ligue française de football professionnel reproche à la Française des jeux. Celle-ci invoque, pour sa défense, l'affectation d'une partie des mises de ses joueurs au sport amateur ainsi que les arrêts « fixtures » de la Cour de justice européenne qui s'est opposée à l'octroi aux producteurs de bases de données (relatives en l'occurrence aux matches de football) d'un monopole sur le traitement de celles-ci lorsqu'elles ne sont pas protégées par le droit d'auteur (arrêts du 11 septembre 2004 C 338/02 et C 444/02).