LES 14 RECOMMANDATIONS DU RAPPORT

Entre le 1 er mars et le 17 octobre 2006, le présent rapport d'information a donné lieu à onze auditions et à une table-ronde avec les professionnels du bâtiment et des travaux publics organisée à Strasbourg.

Ces travaux ont abouti à la proposition d'un plan d'action en quatorze points, examiné par la commission des affaires économiques le 18 octobre 2006 1 ( * ) .

AXE 1 : RENFORCER LES MAILLONS FAIBLES DU CADRE JURIDIQUE ACTUEL

Permettre à la déclaration préalable de jouer son rôle de clé de voûte

PROPOSITION N° 1

Valider au niveau européen le principe de la déclaration de détachement préalable et le fait qu'il ne s'agit pas d'une forme de contrôle.

PROPOSITION N° 2

Ne pas instaurer de période de franchise en matière de détachement.

A défaut, prévoir une exception pour le secteur de la construction.

Donner à l'Etat d'accueil des moyens de contrôle effectifs

PROPOSITION N° 3

Valider au niveau européen :

- que les documents sociaux à tenir dans l'Etat de détachement doivent permettre de s'assurer de l'application des conditions de travail et d'emploi dont la directive sur le détachement impose le respect, en particulier celles relatives au salaire minimum ;

- que la « personne de contact » de l'entreprise dans l'Etat de détachement doit être dûment mandatée de façon à pouvoir réaliser des actes officiels dans ce pays.

Elargir le périmètre de l'évaluation lancée par la Commission européenne

PROPOSITION N° 4

Intégrer aux travaux actuellement menés par la Commission européenne :

- une analyse de la façon dont on passe du statut de salarié à celui d'indépendant dans les différents Etats membres ;

- la recherche des critères constitutifs d'abus au statut de travailleurs indépendants ;

- une étude de la possibilité éventuelle de soumettre, dans certains cas, des travailleurs indépendants aux dispositions de la directive 96/71.

Autoriser la coopération européenne en matière de sécurité sociale

PROPOSITION N° 5

Prendre l'initiative de la création d'une mise en réseau « Social-Net » entre les organismes européens de sécurité sociale.

PROPOSITION N° 6

Inscrire dans la prochaine convention d'objectif et de gestion, signée entre l'Etat et la CNAMTS, le programme de dématérialisation des données relatives aux formulaires de détachement des entreprises françaises.

PROPOSITION N° 7

Préparer dès aujourd'hui une convention bilatérale de coopération administrative en matière de sécurité sociale avec la Bulgarie et la Roumanie.

AXE 2 : FAVORISER L'ACTION DES POUVOIRS PUBLICS

Faciliter les actions de contrôle sur le terrain

PROPOSITION N° 8

Augmenter les contrôles sur les chantiers le dimanche et hors des heures de travail habituelles.

PROPOSITION N° 9

Favoriser le recours à des interprètes et traducteurs, y compris non assermentés.

PROPOSITION N° 10

Prévoir l'obligation pour les entreprises détachées de désigner un représentant officiel, intermédiaire avec les pouvoirs publics français.

Permettre les synergies entre les services de contrôle

PROPOSITION N° 11

Autoriser l'inspection du travail à contrôler la situation des travailleurs détachés au regard de la sécurité sociale et permettre les échanges de données entre les organismes de sécurité sociale et l'inspection du travail dans le cadre de ces contrôles.

AXE 3 : ENCOURAGER ET RESPONSABILISER LES PROFESSIONNELS

Responsabiliser davantage les donneurs d'ordre

PROPOSITION N° 12

Assortir d'une peine d'amende l'obligation de faire accepter chaque sous-traitant.

PROPOSITION N° 13

Rendre obligatoire pour le donneur d'ordre l'affichage sur le chantier du nom de toutes les entreprises intervenant, quel que soit leur rang de sous-traitance.

Renforcer le contrôle par les salariés

PROPOSITION N° 14

Préciser que les informations et documents relatifs à tous les niveaux de sous-traitants dont dispose le maître d'ouvrage sont obligatoirement accessibles à son comité d'entreprise.

I. LE DUMPING SOCIAL DANS LE BTP : UNE RÉALITÉ QUI DÉPASSE LE DÉBAT SUR LA DIRECTIVE « BOLKESTEIN »

C'est à l'occasion de l'adoption par la Commission européenne de la proposition de directive sur les services 2 ( * ) du commissaire Frits Bolkestein qu'est née, au printemps 2005, la polémique autour de la figure emblématique du maçon ou du « plombier polonais ». Pourtant, les cas de concurrence déloyale rencontrés sur le terrain par nos entreprises ne sont concernés qu'indirectement par ce projet de législation communautaire.

A. DES CAS DE CONCURRENCE DÉLOYALE SONT CONSTATÉS ALORS QUE LA DIRECTIVE « SERVICES » N'A PAS ENCORE ÉTÉ ADOPTÉE

1. La mobilité internationale des ouvriers du BTP n'est pas nouvelle

Le secteur du bâtiment et des travaux publics est traditionnellement très sensible aux différences de coûts salariaux, en particulier entre pays voisins. En France, il fut ainsi le domaine privilégié d'emploi des immigrés d'Italie, d'Espagne, du Portugal et d'Afrique du Nord comme, plus récemment, de la population d'origine turque en Alsace.

A côté des résidents permanents ayant immigré à titre individuel, ce secteur a aussi toujours donné lieu à des mouvements temporaires de travailleurs sollicités par le pays d'accueil ou envoyés collectivement par une entreprise de leur pays d'origine pour intervenir sur un chantier. Un des exemples les plus connus fut l'appel à plusieurs milliers d'ouvriers de l'Est et du Sud de l'Europe pour la construction à Paris des grands équipements liés à l'Exposition universelle de 1889, dont la Tour Eiffel.

Ces mouvements de main d'oeuvre ne sont d'ailleurs pas insensibles aux évolutions de la mondialisation économique. Ainsi, après s'être imposées sur de nombreux grands chantiers en Afrique en y envoyant des milliers de leurs travailleurs, des entreprises chinoises de travaux publics affichent-elles aujourd'hui clairement leur volonté de conquête des marchés européens.

Ce dernier exemple ne doit toutefois pas occulter le fait que l'essentiel des risques de concurrence déloyale reste aujourd'hui interne à l'Union européenne et qu'il affecte davantage le secteur du bâtiment que celui des travaux publics 3 ( * ) .

2. La perception récente d'une aggravation des risques de concurrence déloyale dans le secteur européen du bâtiment

a) Les cas rencontrés sur le terrain...

Dans le secteur du bâtiment, les professionnels sont de plus en plus confrontés à des pratiques suspectes.

D'une part, les cas se multiplient de chantiers ne respectant pas la réglementation du travail, notamment en termes d'équipements de sécurité des travailleurs ou de temps de travail (travail le dimanche voire la nuit). De même, les conditions de roulement des équipes (intervenant sur plusieurs chantiers) ou leurs conditions d'hébergement (arrivées pendulaires de caravanes d'ouvriers polonais constatées en Alsace) visent manifestement à rendre difficiles la localisation et l'identification des ouvriers.

D'autre part, il est devenu très courant que nos entreprises se voient proposer de sous-traiter leur activité à des ouvriers, essentiellement polonais, pour un tarif horaire d'environ sept euros (le SMIC horaire brut est fixé à 8,27 euros depuis le 1 er juillet 2006). Ces sollicitations émanent d'intermédiaires dont tout laisse à penser qu'il s'agit simplement d'entreprises « boîtes aux lettres » sans activité réelle dans le pays d'origine ou de sociétés spécialisées dans le prêt de main d'oeuvre.

Au cours des auditions menées par votre rapporteur, il est apparu que ces phénomènes faisaient déjà l'objet d'une prise de conscience aiguë de l'ensemble des acteurs, et notamment des pouvoirs publics. Les constats réalisés sur le terrain sont d'ailleurs corroborés par les chiffres dont dispose l'administration.

b) ...corroborés par les chiffres officiels

Si la principale difficulté d'analyse des phénomènes de fraude réside précisément dans leur repérage, les études chiffrées menées par la délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal (DILTI) 4 ( * ) confirment que des changements sont effectivement intervenus depuis deux ou trois années.

Un premier changement, modeste en valeur absolue, concerne l'augmentation très importante du nombre de déclarations de détachement de travailleurs le temps d'une prestation de service, dont le BTP représente environ un tiers 5 ( * ) . Ce nombre aurait été multiplié par six en deux ans, passant de 1.631 à 9.811 entre 2002 et 2004. Parallèlement, le nombre de salariés déclarés comme détachés a lui aussi crû de façon considérable 6 ( * ) en passant, sur la même période, de 12.856 à 23.101. Dans ce dernier total, la part des salariés des nouveaux Etats membres représente 18 %, alors même que la liberté de prestation de services des entreprises de ces pays ne les a concerné que les huit derniers mois de l'année 2004 7 ( * ) . En fait, les difficultés apparaissent à d'autres niveaux

D'une part, au moins 80 % des détachements de travailleurs ne font pas l'objet de la déclaration préalable de détachement qui, bien que ne poursuivant qu'un but d'information obligatoire , y compris pour des entreprises de l'Union européenne. Ainsi, le nombre de travailleurs envoyés en France par leur entreprise pour une prestation de service dépasserait en réalité les 150.000, l'augmentation de ce mouvement étant évaluée à environ 35 % par an depuis 2002. Cette absence de déclaration signifie la non connaissance par l'administration de l'identité des personnes concernées et de leur lieu de travail. Aussi, bien qu'elle ne constitue pas une fraude à proprement parler, elle ouvre potentiellement la porte à tous les abus quant aux garanties protectrices que le droit communautaire reconnaît aux travailleurs détachés, en particulier en termes de salaires 8 ( * ) .

D'autre part, les absences de déclarations semblent se concentrer sur un secteur d'activité et sur certaines origines géographiques bien déterminées. Le BTP représente en effet 81,2 % des interventions d'entreprises étrangères non déclarées identifiées lors des contrôles (très loin devant l'agriculture, qui concerne 6,4 % de ces cas), alors qu'il ne représente que 33,9 % des détachements déclarés et 28,7 % des contrôles de l'administration en 2004. C'est ainsi que les interventions des entreprises étrangères du BTP contrôlées en France se révèlent dans 95 % inconnues de l'administration .

Quant à l'origine de ces entreprises, un groupe de six pays se distingue tristement. Il s'agit de l'Allemagne, du Portugal, de la Pologne, de l'Italie, de l'Espagne et de la République tchèque, dont les entreprises représentent 91,3 % des non déclarations constatées dans le secteur du BTP, ce qui est presque exactement l'inverse de la proportion des entreprises de ces pays dans les déclarations enregistrées (11,3%).

Les informations dont a pu disposer votre rapporteur au sujet des résultats de l'enquête de 2005 confirment et accentuent les tendances déjà observées.

Le recoupement de ces chiffres et des observations des différents acteurs conduit ainsi à un diagnostic largement partagé , selon lequel la perspective d'élargissement de 2004 a fortement amplifié dès avant cette date les phénomènes de détachement des travailleurs dans des conditions mal encadrées, en particulier dans le BTP. Cet afflux a pu émaner d'entreprises des nouveaux Etats membres, ou dans un premier temps, de structures basées en Allemagne.

Le changement d'échelle du phénomène a donc été constaté sans attendre l'adoption éventuelle d'une nouvelle directive européenne sur la libéralisation des services.

* 1 Cf. le compte-rendu de la réunion de commission page 51.

* 2 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur - COM 2004/2 final du 13 janvier 2004.

* 3 En effet, l'activité de travaux publics est moins directement dépendante du seul coût de la main d'oeuvre, en raison de l'importance qu'y occupent l'ingénierie et la mobilisation de moyens techniques importants. Ceci explique aussi que ce secteur soit dominé par quelques entreprises de grande taille, par ailleurs très actives au niveau international en général et au sein de l'Union européenne en particulier, comme en témoigne l'acquisition récente du principal acteur tchèque SSZ par le groupe français Eurovia.

* 4 Enquête 2005 de la DILTI sur l'intervention en France des entreprises étrangères prestataires de services.

* 5 33,9 % en 2004.

* 6 En effet, une déclaration pour un chantier concerne généralement plusieurs ouvriers et, à l'inverse, un même travailleur peut faire l'objet de plusieurs demandes.

* 7 La date officielle de l'adhésion de l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, Chypre et Malte est le 1 er mai 2004.

* 8 Cf page 20.

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