B. LE LIEN ENTRE LES RISQUES DE CONCURRENCE DÉLOYALE ET LE DÉBAT SUR LA DIRECTIVE « SERVICES » NE DOIT PAS ÊTRE EXAGÉRÉ

Avoir proclamé il y a un an que la directive sur les services était la cause de tous les maux reviendrait désormais à considérer le problème résolu, au motif que ce projet de directive a été presque entièrement remanié par la Commission européenne. Or, cet excès d'optimisme aujourd'hui serait aussi loin de la réalité que l'excès de pessimisme d'hier. En fait, l'arbre « Bolkestein » a sans doute caché la forêt du BTP européen à l'heure de l'élargissement .

1. Une large confusion autour du « principe du pays d'origine »

L'essentiel du débat s'est focalisé sur le principe du pays d'origine (PPO) en vertu duquel les Etats membres de l'Union européenne devaient accepter qu'un service puisse être rendu sur leur sol en y appliquant le droit du pays d'origine du prestataire, et ce même si ces règles étaient moins protectrices que celles applicables chez eux.

Dès lors, aux avantages de coûts dont bénéficiaient déjà les pays en rattrapage économique au sein du marché intérieur allaient s'en ajouter de nouveaux, tirés de l'existence de normes juridiques, techniques, environnementales et surtout sociales moins avancées dans certains pays que dans d'autres.

Plus grave encore, le principe du pays d'origine risquait d'aboutir à ce que, sur le territoire d'un même pays, le droit applicable et les garanties pour le client ne soient pas les mêmes selon que l'entreprise prestataire du service était française, britannique ou hongroise.

Dans le BTP comme dans d'autres secteurs, la directive créait ainsi une forte insécurité juridique sur le point de savoir si les normes et prescriptions techniques nationales seraient applicables aux ouvrages construits par une entreprise d'un autre pays membre 9 ( * ) . Il en était de même s'agissant de la possibilité d'imposer à ces entreprises les règles de garantie décennale dont bénéficient les bâtiments construits en France 10 ( * ) .

Ce risque paraissait d'autant plus sensible que l'hétérogénéité des législations au sein de l'Union venait de s'accroître très fortement, par l'élargissement à dix nouveaux Etats réalisé le 1 er mai 2004.

C'est dans ce contexte que le lien entre le PPO et le faible coût de la main d'oeuvre dans ces nouveaux Etats membres s'est naturellement établi dans une grande partie de l'opinion. Cette dernière, fortement encouragée par les médias, a pu croire que la directive permettrait à des ouvriers tchèques ou polonais de venir travailler en France aux conditions, notamment salariales, de leur pays d'origine.

Cette idée tenace semble encore largement partagée et elle a, il est vrai, le mérite d'imager simplement la portée du principe du pays d'origine. Pourtant, aussi importante qu'ait pu être cette opinion, notamment dans le rôle qu'elle a joué lors du référendum sur le traité constitutionnel européen, elle n'en est pas moins très largement inexacte.

En effet, la situation des salariés était en principe très peu affectée par la question de la libéralisation des services.

2. Le faux débat autour du  « plombier polonais »

a) Le droit à bénéficier du salaire du pays où se situe le chantier n'a jamais été remis en cause

A aucune étape de la discussion entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen, il n'a été question de permettre à des salariés de venir exécuter un service dans un pays de l'Union européenne en étant payés au salaire de leur pays d'origine. Au contraire, parmi les nombreuses dérogations prévues au principe du pays d'origine 11 ( * ) , figuraient explicitement les salaires et les conditions d'emploi des travailleurs.

Ainsi, l'article 16 de la proposition de directive prévoyait-il le maintien de l'application de la directive 96/71 de 1996 sur le détachement des travailleurs 12 ( * ) , qui garantit à tout travailleur les mêmes droits essentiels que les salariés du pays où se situe le chantier. Concrètement, cela signifie que les ouvriers envoyés par une entreprise européenne bénéficient du droit français, notamment en matière de salaire minimum, de temps de travail ou de conditions de sécurité 13 ( * ) .

b) Le projet de directive présentait un risque social réel mais indirect, qui a en principe disparu

Pour autant, la proposition de directive sur les services a pu être considérée, à juste titre, comme une menace pour les droits des travailleurs détachés. Non pas en raison d'une hypothétique remise en cause des garanties reconnues à ces travailleurs, mais du fait d'une modification bien réelle dans la procédure de détachement.

En effet, au nom de la suppression des entraves à la libre circulation des services, la première version de la directive interdisait à l'administration du pays d'accueil d'imposer des obligations de déclaration au prestataire du service , alors que ces procédures existent aujourd'hui en France comme dans beaucoup d'autres Etats membres 14 ( * ) .

Ceci signifiait concrètement que l'Etat d'accueil n'aurait plus disposé d'aucunes informations relatives à l'identité des travailleurs ressortissant d'autres Etats de l'Union présents sur son sol. Ce n'est qu'en cas de contrôle sur un chantier qu'il aurait pu obtenir des informations de la part du prestataire. Même si l'on sait que l'obligation de déclaration est parfois contournée, elle n'en demeure pas moins un filet de sécurité ainsi que l'unique instrument d'information de l'Etat d'accueil. La suppression de cette obligation aurait alors pu aboutir à rendre beaucoup plus difficile le contrôle du respect des droits des travailleurs détachés.

Bien que d'effet indirect et non immédiat 15 ( * ) , ces dispositions de la directive « Bolkestein » ont servi d'arguments de base à la plupart des critiques lui reprochant de permettre l'emploi de travailleurs aux conditions de leur pays d'origine.

Aussi, la nouvelle version de la directive relative aux services présentée par la Commission européenne le 4 avril dernier 16 ( * ) , en même temps qu'elle supprime toute référence au principe du pays d'origine, s'abstient de modifier les conditions actuelles d'application de la directive 96/71 par les Etats membres.

La question de l'évolution du droit communautaire du détachement reste toutefois ouverte dans le cadre d'une réflexion spécifique lancée par la Commission dans une communication rendue le même jour 17 ( * ) .

Une fois levée l'hypothèque de la directive « Bolkestein » et de ses suites, reste à comprendre en quoi le cadre actuel peut favoriser des situations de concurrence déloyale.

En fait, ce cadre se révèle perméable à des fraudes, réellement constitutives de concurrence déloyale , notamment en matière de salaires. Ces phénomènes s'ajoutent aux distorsions de concurrence liées, même en l'absence de toute irrégularité, aux différences de coût du travail entre les pays européens.

* 9 La portée du principe du pays d'origine était d'autant plus difficile à apprécier sur ce point que le texte prévoyait d'imposer le respect du droit du pays du chantier, dans deux cas :

- lorsque des exigences spécifiques étaient liées aux caractéristiques particulières du lieu et que leur respect était indispensable pour assurer le maintien de l'ordre public ou de la sécurité publique ou la protection de la santé publique ou de l'environnement ;

- lorsque la validité formelle des contrats créant ou transférant des droits sur les biens immobiliers était soumise à des exigences formelles impératives selon le droit de l'Etat membre dans lequel le bien immobilier était situé.

* 10 Ce dispositif très particulier à la France et à la Belgique ne trouve malheureusement pas exactement sa place dans la nouvelle version de la directive. Certes, celle-ci impose bien les règles du pays d'accueil en matière d'assurances professionnelles ; mais cette mention ne contre pas le système de la garantie décennale qui consiste en une obligation de garantie sans obligation d'assurance.

* 11 Voir le rapport n° 230 (2004-2005) de M. Jean BIZET, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 9 mars 2005.

* 12 Directive 96/71 CE du 16 décembre 1996 relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

* 13 Le régime dont bénéficie le travailleur détaché est présenté en détail aux pages 18 à 20 du présent rapport.

* 14 Outre la France, onze Etats membres imposent aujourd'hui une obligation préalable à l'entreprise étrangère qui détache ses travailleurs : l'Autriche, la Belgique, l'Allemagne, l'Espagne, la Grèce, le Luxembourg, la Hongrie, la Lettonie, Malte, les Pays-Bas et le Portugal. Par ailleurs, la Slovénie et la République tchèque imposent une obligation comparable aux destinataires des services.

* 15 Il était prévu que certaines activités telles que le bâtiment, les travaux publics, la maintenance et le nettoyage (énumérées à l'annexe prévue à l'article 3 paragraphe 1 de la directive 96/71) puissent être l'objet d'obligation de déclarations de détachement imposées jusqu'au 31 décembre 2008.

* 16 Voir l'annexe I, page....

* 17 Cf page 36.

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