CHAPITRE 3 : TRAITER
Pour emprunter au vocabulaire des démographes, la politique de contrôle de l'immigration irrégulière ne peut se limiter à une politique de « flux » : elle doit également agir sur le « stock » de population en situation irrégulière séjournant sur le territoire. Au niveau de la prévention, cela exige, d'une part, d'empêcher la transformation de l'entrée régulière -avec un visa ou en application des procédures d'asile- en séjour irrégulier et, d'autre part, de combattre l'économie souterraine- et en particulier de réprimer le travail illégal.
Au-delà de la prévention, trois catégories de mesures peuvent être envisagées pour mettre fin au séjour irrégulier : la régularisation, l'aide au retour et l'éloignement. Les deux premières n'ont pas fait la preuve de leur efficacité, même si la régularisation individuelle demeure un outil indispensable pour régler les situations inextricables qui peuvent se créer, en particulier en cas de séjour irrégulier prolongé. Quant à l'éloignement, sans la possibilité duquel il n'est pas de politique crédible de lutte contre l'immigration irrégulière, il conviendrait, tant pour assurer son efficacité que pour prévenir des situations humaines difficiles, de s'efforcer, comme le suggérait M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, de dégager des priorités dans les catégories de personnes à éloigner.
I. LUTTER CONTRE LE MAINTIEN IRRÉGULIER SUR LE TERRITOIRE
A. LE CONTRÔLE DU RETOUR DES TITULAIRES DE VISAS DE COURT SÉJOUR
Les études réalisées à la suite de la régularisation de 1981/1983 101 ( * ) ont montré que plus que plus de 68 % des 135 000 « régularisés » étaient entrés en France avec un visa de tourisme (et plus de 6 % avec un visa étudiant).
En l'absence d'autres données chiffrées, ce constat encourage la commission d'enquête à partager le jugement émis par la plupart de ses interlocuteurs -et en premier lieu par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et l'aménagement du territoire- selon lequel les étrangers en situation irrégulière sont dans leur grande majorité entrés dans l'Union européenne de manière légale, avec un visa délivré par la France ou un autre Etat de la zone Schengen.
Il semble donc indispensable à la commission d'enquête que la France, comme elle s'y est déjà d'ailleurs employée, invite nos partenaires à progresser dans la voie du contrôle des entrées et des sorties de l'espace Schengen.
La tâche n'est pas aisée, comme en témoignent d'ailleurs les expériences déjà mises en place, dont l'efficacité demeure limitée et semble en tout cas n'être pas à la hauteur des contraintes qu'elles font peser sur les services -et davantage encore sur les usagers.
Le constat de cet échec relatif doit donc conduire à rechercher des solutions qui, tout en s'inscrivant dans des schémas classiques, pourraient, dans le contexte créé par l'acquis de Schengen et les avancées technologiques en cours, s'avérer à la fois plus efficaces et moins contraignantes.
1. Les expériences déjà réalisées
On peut en retenir deux : l'expérience « d'accord de destination touristique » menée en Chine par l'Union européenne et la procédure expérimentale dite « de déclaration ou rendez-vous de retour » actuellement mise en oeuvre par le gouvernement français.
a) « L'accord de destination touristique »
Cette expérience, dont le rapport de la Cour des comptes sur l'accueil des immigrants et l'intégration des populations issues de l'immigration avait souligné l'intérêt, s'inscrit dans le cadre des dispositions du chapitre relatif à la coopération consulaire au niveau local des instructions consulaires communes de Schengen 102 ( * ) , qui autorisent des voyagistes « renommés et dignes de confiance », par dérogation au principe de l'entrevue personnelle avec les demandeurs de visa, à intervenir en tant que mandataires de ceux-ci.
Mise en place à partir de mai 2004, elle permet de sélectionner des agences touristiques qui se portent garantes du retour de leurs clients et s'engagent à en apporter la preuve, soit en assurant leur « présentation » au retour, soit en produisant des pièces justificatives de ce retour (passeports visés, cartes d'embarquement).
Ces agences obtiennent en contrepartie un agrément pour l'organisation de séjours touristiques en Europe, agrément qu'elles s'exposent naturellement à perdre en cas de non-respect de leurs engagements.
On peut relever que si elle présente effectivement un intérêt dans les pays où commence à s'organiser le tourisme de masse, cette expérience ne peut sans doute pas représenter un obstacle très efficace au développement des filières d'immigration clandestine.
b) L'expérience du « rendez-vous de retour »
Cette expérience, dont le principe avait été retenu lors de la réunion du Comité interministériel de contrôle de l'immigration du 27 juillet 2005, porte sur le contrôle du retour des titulaires de visas de court séjour dans le pays de délivrance, au moyen d'une déclaration postale de retour ou d'un rendez-vous au consulat.
Prévue pour se dérouler sur une durée de six mois, elle est actuellement en cours dans 10 consulats d'Afrique et d'Asie : Bamako, Douala, Kinshasa, Nouakchott, Tunis, le Caire, Yaoundé, Dakar, Islamabad et Tbilissi.
Comme le reconnaît honnêtement le ministère des affaires étrangères, elle ne se fonde sur aucun texte 103 ( * ) et néglige aussi le fait que les titulaires de visas ne sont pas tenus de revenir au lieu de délivrance de ce visa après avoir quitté l'espace Schengen.
L'expérience se déroule de la manière suivante :
- le contrôle s'effectue uniquement sur la base de la comparution personnelle, la voie postale ayant été jugée peu sûre, ce qui limite l'application de la procédure en raison des moyens logistiques qu'elle exige ;
- le contrôle est essentiellement ciblé sur certaines catégories de demandeurs : les « primo-demandeurs », les bénéficiaires de visas touristiques, les demandeurs jugés sensibles (ascendants non à charge et enfants d'âge scolaire).
Certains postes ont créé une base de données destinée à gérer cette activité, le contrôle donnant lieu par ailleurs au fichage local sur le réseau mondial visas (RMV) des personnes dont le retour n'a pu être vérifié.
La commission d'enquête a retiré des informations qui lui ont été communiquées l'impression que le ministère des affaires étrangères inclinait à penser qu'il ne serait pas raisonnable d'envisager de poursuivre cette procédure de manière efficace et significative sans un renfort des effectifs, un réaménagement des espaces d'accueil et le développement d'un outil informatique adapté.
Tout en partageant ce jugement, on peut aussi estimer que les sujétions imposées aux postes ne sont peut-être pas, en l'occurrence, les seules à devoir être prises en compte.
Il semble en effet qu'il faudrait également prendre la mesure des obligations que le « rendez-vous de retour » impose aux intéressés, qu'il peut contraindre à de longs et coûteux déplacements.
Trop souvent, en dépit des efforts consentis et quelque compte qu'il faille tenir de l'insuffisance des moyens, les conditions d'accueil des demandeurs de visa dans les postes français suscitent des appréciations défavorables et des critiques qui font craindre qu'elles ne donnent parfois de la France une image négative.
Trop souvent également, l'obtention d'un visa, que ce soit pour un voyage d'affaires ou une visite familiale, est ressentie comme un « parcours du combattant » pénible, aléatoire, voire humiliant.
A cet égard, l'expérience du « rendez-vous de retour », dont il est par ailleurs évident qu'elle ne découragera pas les candidats à l'immigration et pénalisera en revanche les voyageurs de bonne foi, ne paraît pas aller dans le sens de la politique générale de l'accueil que le ministère des affaires étrangères entend faire prévaloir.
* 101 Claude Valentin Marie, « L'immigration clandestine et l'emploi des travailleurs étrangers en situation irrégulière », Commissariat général au plan, « Le devoir d'insertion » 1988, tome III, page 29 (cité par Patrick Weil, « La France et ses étrangers »).
* 102 Chapitre VIII, article 5, « demandes de visas dont se chargent des prestataires de services administratifs, des agences de voyage et des voyagistes ».
* 103 La référence à la mention de l'examen de la bonne foi des demandeurs qui figure dans le chapitre VIII, article 3, des instructions consulaires communes ne peut en effet emporter la conviction.