2. Des modalités particulières de coopération régionale sous-utilisées
Lors du déplacement de la délégation de la commission d'enquête en Guyane et en Guadeloupe, les élus du conseil régional et du conseil général ont particulièrement insisté sur la nécessité d'une politique de coopération régionale forte pour limiter les migrations illégales dans le nord du continent sud-américain et dans l'arc caribéen. Cette position avait d'ailleurs été déjà exprimée lors du Congrès des élus départementaux et régionaux de la Guadeloupe réuni le 15 avril 2005 pour évoquer la question de l'immigration clandestine dans l'archipel 96 ( * ) et qui préconisait notamment de renforcer la constitution d'un état civil sûr en Haïti, de contribuer au développement de l'éducation et de la formation des Haïtiens dans leur pays et de renforcer les structures sanitaires dans ce pays d'origine tout en mettant sur pied des missions d'assistance humanitaire et des échanges de personnels de santé.
Dans ce contexte, la commission d'enquête tient à rappeler que les collectivités d'outre-mer bénéficient de dispositifs juridiques particuliers destinés à faciliter la mise en oeuvre d'une politique de coopération régionale efficace.
La loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer a institué des dispositions propres aux régions ultramarines afin de leur permettre d' exercer un rôle de premier plan dans le cadre de l'action internationale de la France avec les Etats de leur voisinage . Le but de ces dispositifs est de faciliter la coopération des collectivités françaises d'outre-mer avec leur environnement régional. Il est cependant, à ce jour, resté peu exploité.
Les conseils régionaux de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion peuvent ainsi adresser au Gouvernement des propositions en vue de la conclusion d'engagements internationaux concernant la coopération régionale entre la République française et, selon le cas, les Etats de la Caraïbe, les Etats voisins de la Guyane et les Etats de l'océan Indien, ou d'accords avec des organismes régionaux des aires correspondantes, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions spécialisées des Nations unies 97 ( * ) .
Par ailleurs, dans les domaines de compétence de l'Etat, les autorités de la République peuvent délivrer pouvoir au président du conseil régional de l'une ou l'autre des quatre régions d'outre-mer aux fins de négocier et signer des accords avec un ou plusieurs Etats ou territoires voisins ou avec des organismes régionaux des aires correspondantes. A défaut, le président du conseil régional ou son représentant peut être associé ou participer, au sein de la délégation française, aux négociations d'accords de même nature 98 ( * ) . Il lui est également possible d'être chargé par les autorités de l'Etat de les représenter au sein des organismes régionaux de l'aire voisine de sa collectivité, muni alors des instructions et pouvoirs nécessaires.
Dans les domaines de compétence de la région, les conseils régionaux d'outre-mer peuvent, par délibération, demander aux autorités de la République d'autoriser leur président à négocier , dans le respect des engagements internationaux de la République, des accords avec un ou plusieurs Etats, territoires ou organismes régionaux. Lorsque cette autorisation est accordée, les autorités de l'Etat sont, à leur demande, représentées à la négociation. A l'issue de la négociation, le projet d'accord est soumis à la délibération du conseil régional pour acceptation. Les autorités de la République peuvent alors donner, sous réserve du respect des engagements internationaux de celle-ci, pouvoir au président du conseil régional aux fins de signature de l'accord.
Quant aux accords internationaux portant à la fois sur des domaines de compétence de l'Etat et de la région, ils sont négociés et signés par les autorités de la République. A sa demande, le président du conseil régional ou son représentant participe, au sein de la délégation française, à la négociation de ces accords 99 ( * ) .
Enfin, il est institué une instance de concertation des politiques de coopération régionale dans la zone Antilles-Guyane, composée de représentants de l'Etat et des conseils généraux et des conseils régionaux de Guadeloupe, Guyane et Martinique. Elle vise à coordonner les politiques menées par les exécutifs locaux et l'Etat, tout en diffusant l'information relative aux actions menées dans la zone. Une instance similaire est également existe également dans la zone de l'Océan indien, rassemblant les représentants du conseil régional de La Réunion et du conseil général de Mayotte 100 ( * ) .
Ces mécanismes restent sous-utilisés alors qu'ils pourraient permettre un renforcement de l'action de développement vers les pays du voisinage des régions d'outre-mer responsables de la pression migratoire que connaissent ces territoires français. La commission d'enquête invite donc les régions d'outre-mer à initier des actions diplomatiques plus fortes avec leurs voisins. Cette action devrait être facilitée par la communauté historique et culturelle qui lie entre eux les Etats de la Caraïbes et le plateau des Guyanes en Amérique du sud.
La commission d'enquête se félicite d'ailleurs que l'ordre du jour de la prochaine réunion de l'instance de concertation des politiques de coopération régionale dans la zone Antilles-Guyane, prévue les 27 et 28 avril 2006, porte précisément sur les mouvements de populations dans la Caraïbe.
Une politique diplomatique active au niveau régional pourrait ainsi davantage qu'à l'heure actuelle favoriser l'intégration économique et politique des Etats de la région et, ce faisant, amoindrir les différences de développement actuelles avec des conséquences favorables sur la pression migratoire à moyen ou long terme.
Recommandation n° 21 : Inciter les régions ultramarines à mener des actions diplomatiques avec les Etats voisins ou les organisations régionales. |
Sur le plan financier, l'action régionale des collectivités ultramarines est notamment soutenue par les fonds de coopération régionale (FCR) créés dans chaque département d'outre-mer sur le fondement de l'article L. 4433-4-6 du code général des collectivités territoriales. La collectivité départementale de Mayotte bénéficie également d'un fonds de coopération spécifique, visé à l'article L. 3551-21 code général des collectivités territoriales.
Sont éligibles au financement de ces fonds les projets concourrant « aux actions de coopération économique, sociale et culturelle » ayant vocation à favoriser l'intégration des collectivités d'outre-mer dans leur environnement régional. Deux conditions sont exigées :
- en premier lieu, que les opérations présentées concernent l'environnement régional proche et associent, d'une part, un Etat, une collectivité ou un organisme public étranger et, d'autre part, un ou plusieurs partenaires du département ou de la collectivité départementale d'outre-mer concerné ;
- en second lieu, que ces opérations s'inscrivent dans les priorités retenues par le comité de gestion du fonds de coopération régionale concernée.
Les fonds de coopération régionale sont en principe destinés à n'intervenir qu'en cofinancement, le montant de la contribution ne dépassant généralement pas plus de 35 % ou 40 % du coût du projet. Pour 2006, les crédits s'élèvent à 4,6 millions d'euros en autorisations de programme et à 3,6 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui, comme l'a souligné M. Richard Samuel, haut fonctionnaire de défense, directeur des affaires politiques, administratives et financières au ministère de l'outre-mer, « est faible pour l'ensemble de l'outre-mer. »
Les actions financées par les fonds concernent prioritairement la coopération en matière culturelle et d'éducation, qui concentre près de 50 % des crédits. Néanmoins, les priorités de programmation sont très variables d'une collectivité à l'autre. Ainsi, les élus de Guyane ont réaffirmé leur volonté de donner la priorité aux dossiers culturels qui représentent 80 % de la programmation, alors qu'à Mayotte priorité a été donnée aux dossiers sanitaires et sociaux. En Guadeloupe, 50 % de l'enveloppe allouée concerne des actions en matière de développement économique
Répartition de la programmation du fonds de coopération régionale de la Guadeloupe |
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Développement économique et lutte contre les freins économiques |
50 % |
Recherche agronomique |
16 % |
Développement durable de la pêche |
10 % |
Formation professionnelle |
10 % |
Programme de recherche santé |
8 % |
Développement culturel |
6 % |
Répartition de la programmation du fonds
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Honorer les engagements des années antérieures |
66,75 % |
Développement des projets dans le domaine culturel, sportif ou de l'éducation |
28,40 % |
Développer des projets dans le domaine économique |
2,12 % |
Répartition de la programmation du fonds
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Projets en matière culturelle, sportive et d'éducation |
34,11 % |
Projets en matière sanitaire et sociale |
30,59 % |
Projets à portée économique |
2,58 % |
Répartition de la programmation du fonds de coopération régionale de Mayotte |
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Développement économique |
15 % |
Recherche agronomique et environnement |
15 % |
Sanitaire et social |
40 % |
Culture |
30 % |
Répartition de la programmation du fonds
|
|
Coopération économique |
28,60 % |
La sécurité |
14,30 % |
Plan Seychelles |
7,10 % |
Les actions dans le domaine médico-social |
21,40 % |
La formation |
14,30 % |
La culture |
14,30 % |
Source : ministère de l'outre-mer.
La commission d'enquête a constaté que les préfets et les collectivités locales partenaires de ces fonds hésitaient à utiliser les dotations pour des actions spécialement destinées à la lutte contre l'immigration clandestine. Ainsi, le ministère de l'outre-mer lui a indiqué que le préfet de la Guyane avait refusé de financer l'installation d'un consulat du Guyana à Cayenne, pour un montant de 10.000 euros, estimant que les dépenses de fonctionnement d'un consulat n'étaient pas éligibles au fonds institué en Guyane.
En revanche, la dernière directive annuelle d'orientation du ministre de l'outre-mer favorise la coopération sur ce thème, qui demeure un thème de coopération possible au moins pour les services de l'Etat dont c'est la compétence.
La commission d'enquête estime que la programmation des concours des fonds de coopération régionale devrait prendre en compte l'impact des actions projetées sur les flux migratoires. Elle juge qu'il serait, en tout état de cause, nécessaire que ces instruments soient dotés d'un financement plus élevé dans les prochaines lois de finances .
Recommandation n° 22 : Renforcer les moyens financiers accordés aux collectivités ultramarines dans le cadre de la coopération régionale en augmentant les dotations des fonds de coopération régionale et en valorisant les actions permettant de desserrer la pression migratoire qu'elles subissent. |
* 96 Sur le fondement de l'article L. 5915-1 du code général des collectivités territoriales, bien que cette disposition n'octroie compétence au Congrès que pour délibérer de « toute proposition d'évolution institutionnelle, de toute proposition relative à de nouveaux transferts de compétences de l'Etat vers le département et la région concernés, ainsi que de toute modification de la répartition des compétences entre ces collectivités locales. »
* 97 Article L. 4433-4-1 du code général des collectivités territoriales.
* 98 Article L. 4433-4-2 du même code.
* 99 Article L. 4433-4-3 du même code.
* 100 Article L. 4433-4-7 du même code.