5. M. Rémy
PRUDHOMME, Professeur d'université,
Paris XII
Merci, Monsieur le Président. J'ai l'impression d'être un peu à contretemps car le thème du péage fiscal de Londres, sur lequel on m'a demandé d'intervenir, est assez distinct du thème sur lequel vous travaillez. Il existe cependant une intersection entre les deux, et c'est sans doute la raison pour laquelle on m'a demandé de venir.
Je voudrais présenter une recherche que j'ai conduite avec un étudiant, pour le compte du PREDIT, qui a donné lieu à des publications sur le cas de Londres. Comme vous le savez, Londres a depuis deux ans un péage dans une petite partie de la ville. Le système est relativement bien connu. La zone concernée est petite, elle comporte peu d'habitants (400 000), et beaucoup d'emplois. Depuis janvier 2003, pour avoir le droit de circuler dans cette zone, entre 7 heures et 18 heures 30, il faut payer une taxe qui était de 5 £ (7 €), et qui vient d'être augmentée. Les taxis, les deux roues, les bus en sont exemptés. Les résidents ne paient que le dixième de la somme demandée. J'insiste sur les limites de l'expérience, car encore beaucoup de gens font comme si on avait introduit un péage dans tout Londres. Si on la rapporte à la municipalité de Londres (7 millions d'habitants), la zone considérée concerne un peu plus de 1 %, 5 % de la population. En termes de circulation, cela fait moins de 2 %. Si on la rapporte à l'ensemble de l'agglomération londonienne, qui est comparable à celle parisienne, les chiffres sont encore plus réduits. En ce qui concerne la circulation, cela représente environ 1 %. Il existe donc un problème de langage, lorsqu'on dit qu'il y a maintenant un péage à Londres. C'est à la fois vrai, mais aussi faux, car cela ne concerne qu'une toute petite partie très spécifique de la ville.
On peut dire de cette expérience, qui est très intéressante, est un succès technique et politique. Le système fonctionne convenablement. Quelques petits problèmes au départ ont été surmontés. Les objectifs de mobilité qui étaient prévus et recherchés ont été atteints. Ainsi, la circulation dans la zone considérée a diminué d'environ 15 %, la vitesse des véhicules a augmenté d'environ 20 %, ainsi que celle des autobus, de 7 % (elle a augmenté beaucoup moins car, comme ailleurs, les autobus ont la fâcheuse habitude de s'arrêter tous les deux cents mètres). Par ailleurs, on constate une augmentation des déplacements en transports en commun. D'un point de vue politique, le péage a été un grand succès. Il a été bien accueilli, comme le montrent tous les sondages. Toutes les oppositions politiques qui avaient été formulées ont pratiquement été abandonnées, et le maire, qui avait mis toute son autorité dans cette affaire, a été réélu, peut-être pas uniquement à cause du péage, mais en partie. La question est de savoir si l'on a bien un succès économique. Beaucoup de gens s'arrêtent au constat de la diminution des véhicules. Mais ce n'est pas le point de vue d'un économiste, qui cherche à savoir quel est le prix payé pour obtenir ce résultat.
Je ne vais pas prendre le temps de vous infliger le détour théorique que j'avais prévu, mais je vous signalerai quelques-unes des conclusions auxquelles cette analyse théorique conduit, qui sont très connues. Une taxe ou un péage permet, pour une route ou pour une zone, de conduire à un optimum, c'est-à-dire qu'il y a une quantité optimale d'utilisation de la route, avec un niveau optimal de congestion, qui n'est pas la congestion zéro qui serait obtenue si personne ne circulait. On peut définir et calculer le coût économique de la congestion qui est ce que nous perdons à ne pas être à l'optimum, ou le gain qu'il existe à réduire la congestion à son niveau optimal. Si elle est correctement calculée, une taxe est le moyen d'arriver à cet optimum. La théorie, mais aussi la pratique, montre que le produit du péage est beaucoup plus important que le gain économique du péage, trois ou quatre fois plus important. Mais le produit du péage n'est pas un gain économique. Certains pensent que l'un des avantages du péage est qu'il rapporte beaucoup d'argent. Mais ce n'est pas une façon convenable de raisonner, car c'est un impôt et il est payé par les usagers. On peut faire des choses utiles avec cet argent, mais il existe un coût, qui est le fait que les gens l'ont payé, comme n'importe quel impôt.
On peut définir trois bénéfices et deux coûts. Le premier est le coût de la réduction de la congestion, ou le fait que les voitures roulent un peu plus vite dans le cas de Londres. Ce coût de réduction de la congestion n'est pas très élevé. Je vous épargne les moyens techniques de le calculer, mais il est relativement faible. On est d'après les calculs du côté de 70 M€ par an, ce qui n'est pas grand-chose par rapport à l'ensemble des coûts de déplacement dans l'agglomération londonienne. Un deuxième bénéfice est dû à l'augmentation de la vitesse des autobus, qui est elle-même due au fait que l'on a mis sur le marché plusieurs centaines d'autobus. Cela se fait à un coût sur lequel on pourra revenir. Le fait que les autobus circulent un peu plus vite fait que chaque passager gagne en moyenne une minute trente, gain évalué à 31 M€ par an, ce qui n'est pas négligeable. C'est presque la moitié du gain lié à la réduction de la congestion pour les seuls véhicules. Un troisième gain nous ramène peut-être davantage au thème de cette matinée. Il concerne la réduction de la pollution engendrée par l'évolution constatée à Londres du fait de la diminution de véhicules/kilomètre. Si les véhicules polluaient autant qu'en l'absence du péage, cela représenterait déjà une diminution de 15 % des rejets polluants, mais il y a plus que cela.
Comme le montrait un schéma intéressant de M. MORCHEOINE, une augmentation de la vitesse entraîne une diminution forte de la pollution. J'ai eu beaucoup de mal à trouver des chiffres à ce sujet. J'ai vainement cherché sur le site de l'ADEME ou le site de l'IFP. Tout ce que j'ai trouvé, ce sont des données un peu anciennes de l'UTAC, qui est l'organisme d'homologation des rejets polluants, que je vous présente. D'après les mesures de l'UTAC, le passage d'une vitesse urbaine de 19 km à une vitesse de 11,5 km engendrerait une augmentation de la pollution de 400 % pour le CO, de 200 % pour les HC, de 100 % pour les oxydes de carbone et de 120 % pour les particules. Cela fait des élasticités qui varient de -2 à -9. Lorsque vous augmentez la vitesse de 10 %, vous réduisez les rejets polluants de 20, 30 ou 40 %. J'ai appliqué ces chiffres pour estimer ce qu'était le gain en termes de pollution, aussi bien en ce qui concerne le CO 2 que les autres polluants. Je me suis appuyé sur les chiffres du rapport BOITEUX pour avoir une idée de ce qu'étaient les coûts, car ce rapport, qui a à la fois un caractère officiel et raisonnable, nous dit ce que sont les coûts en euros, engendrés en termes de pollution de l'air et en termes de CO 2 par un véhicule/kilomètre. J'ai donc pris ces chiffres en appliquant les pourcentages de réduction de la pollution que l'on peut estimer sur le cas de Londres. Sur le CO 2 , les chiffres du rapport BOITEUX sont sans doute très généreux, car ils auraient été calculés avec une valeur de 100 € la tonne, et l'on sait maintenant, puisqu'il y a un marché du CO 2 , que l'on est à des chiffres considérablement inférieurs, à près de 25 €. J'ai été surpris du fait que dans le cas de Londres, on obtient des bénéfices qui sont très faibles, de l'ordre de 5 M€ par an, c'est-à-dire que l'on est à moins de 5 % des bénéfices engendrés par le temps gagné. Les enjeux, en termes de coûts économiques, si tant est que l'on puisse comparer les coûts de la pollution calculés par M. BOITEUX avec les coûts liés aux gains de temps, ne sont finalement pas très élevés.
A côté de ces bénéfices, on observe deux coûts. Le premier est celui de la mise en oeuvre du système à Londres. On a eu une surprise générale, car ce système coûte terriblement cher, aux environs de 70 M€ par an. Ce coût provient à la fois des investissements qui ont été faits, que l'on a amortis, et du paiement annuel à une société privée qui gère le péage. Un autre petit coût économique est lié au fait que les autobus sont très largement subventionnés, et que les subventions ont un coût économique, qui revient à peu près au quart de la subvention, mais qui n'est pas négligeable.
Ainsi, lorsque l'on compare l'ensemble des bénéfices du péage de Londres avec les coûts, on trouve que ces derniers sont plus importants que les bénéfices. L'économiste qui compare le 177 de coûts avec le 104 de gains, conclut que ce n'est pas une bonne affaire, et que Londres se trouve plus pauvre du fait du péage. Ceci provient de la valeur du temps qui est utilisée pour apprécier les gains de temps. La valeur du temps à Londres est beaucoup plus élevée que celle qui est utilisée à Paris. Certains pensent que dans le cas de Londres, il faudrait prendre des valeurs encore plus élevées, car il s'agit du temps des financiers de haut vol de la cité, dont le temps est extrêmement précieux, et que les 15 € par heure ne sont pas suffisants, ce qui est peut-être le cas, mais ce qui limiterait considérablement l'intérêt du péage. En effet, s'il ne vaut que dans les zones où ne circulent que des gens qui gagnent 200 000 € par an, cela limite beaucoup l'intérêt du système. On peut dire quelques mots des effets redistributifs, qui sont plutôt mauvais. Ce sont plutôt les riches qui gagnent au péage de Londres, mais ce n'est pas quelque chose de nouveau car les économistes le savent depuis longtemps.
Pour conclure, je note trois points. Un premier point concerne le fait qu'un péage peut réduire la circulation à un niveau optimal. On peut montrer que le péage n'a pas été trop mal choisi, et qu'il a effectivement réduit la circulation à un niveau qui n'est pas très loin de l'optimum. La théorie se trouve donc tout à fait confirmée, et les économistes sont partisans du péage urbain. Cette première conclusion n'est donc pas du tout une surprise. La deuxième conclusion l'est, en revanche, car le gain économique de cette réduction est faible, contrairement à l'opinion commune. Ainsi, les coûts de la congestion, même dans le cas de Londres, qui passe pour l'un des endroits les plus congestionnés du globe, ne sont pas très élevés. De la même façon, les gains environnementaux apparaissent comme relativement faibles. On ne savait pas vraiment cela avant de faire le travail. La troisième conclusion, beaucoup plus surprenante encore, est que le coût de la mise en oeuvre est particulièrement élevé dans le cas de Londres. Personne ne peut être sûr que Londres n'a pas « essuyé les plâtres », et il est possible que d'autres systèmes technologiques puissent fonctionner à des coûts moindres. Cela a été le cas longtemps à Singapour, où l'on se contentait d'afficher un ticket lorsqu'on avait payé son péage pour entrer dans le centre. Si vous étiez pris à circuler dans Singapour sans avoir votre péage sur votre vitre, la police s'en occupait, et tout cela se faisait à un coût très faible. On peut dire que tout le monde n'a pas une police singapourienne sous la main, ce qui n'est peut-être pas plus mal, mais le fait est que la technologie qui a été utilisée à Londres, qui n'est sans doute pas le dernier cri, encore que Londres n'est pas très sous-développé en matière de technologie, coûte très cher.
Voilà en quelques mots ce que je voulais dire à cette assemblée, dans le temps qui m'a été laissé. Merci.
• M. Christian CABAL
Merci, Monsieur PRUD'HOMME. Vous avez pu donner des informations très intéressantes. Nous avons un peu de temps pour la discussion sur cette deuxième partie de la matinée. Quelqu'un souhaite-t-il poser des questions complémentaires à nos intervenants ?