3. La biomasse : une réelle opportunité à long terme et un enjeu de recherche
Les limitations inhérentes aux biocarburants d'origine agricole : quantité et coût, conduisent à envisager la production de biocarburants de manière chimique et industrielle à partir de la totalité des plantes et plus généralement de la biomasse.
Celle-ci est définie dans la réglementation européenne comme « la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l'agriculture, de la sylviculture et des industries connexes, ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et municipaux » 46 ( * ) .
Le saut qualitatif entre la génération actuelle de biocarburants et la prochaine peut être schématisé grâce au tableau suivant présenté par M. Daniel Le Breton (Total) lors de l'audition publique que vos rapporteurs ont organisé le 18 octobre 2005 :
Ressource actuelle |
1 ère génération |
2 e génération |
Alcool (bio-éthanol), et huiles (colza, tournesol..) |
Les éthers et les esters, issus des alcools et des huiles |
Les bio-hydrocarbures de synthèse issus de la biomasse au sens large |
Fortement oxygénés, ils posent des problèmes de logistique ou de compatibilité avec les moteurs. Leur ressource est limitée (surfaces, cultures dédiées, transformation) |
Entièrement compatibles et fongibles avec les carburants conventionnels, mais contenant encore de l'oxygène, limité en % par la Directive |
Chimiquement identiques aux hydrocarbures fossiles, et donc substituables aux carburants classiques mais renouvelables Souplesse plus grande par la multiplicité des ressources |
• Les filières futures : Biomass to liquid (BtL)
Les filières du futur visent à transformer non pas seulement les graines ou racines des plantes agricoles en carburant, mais l'ensemble de la plante ou biomasse. Au-delà même des plantes agricoles, il s'agit de tirer parti de tous les déchets de la biomasse, par exemple de l'exploitation forestière. Ces procédés sont regroupés sous la dénomination anglo-saxonne de « biomass to liquid » ou BtL.
Comme le montre le schéma ci-dessus, deux voies principales sont aujourd'hui explorées. Elles font l'objet du programme national de recherche sur la biomasse lignocellulosique (PNRB), conduit par l'ADEME et l'ANR.
La voie thermique vise à transformer sous forme gazeuse un matériau qui aura pu être préalablement fluidifié ou non. La gazéification permet de dégager de l'hydrogène et du CO ² . Ces gaz sont ensuite recomposés via le processus « Fischer-Tropsch » pour former un gazole de synthèse d'excellente qualité.
L'Allemagne est le pays le plus avancé dans ce domaine à travers la société Choren, soutenue par Daimler-Chrysler et Volkswagen. Une usine pilote fonctionne. 15.000 t/an devraient être produites dès 2006. Dans cette unité, la biomasse sèche est carbonisée entre 400 et 600°C. S'en dégagent du biococke et du gaz. Ce gaz dégagé par distillation lente est ensuite brûlé avec de l'oxygène à environ 1.500°C, ce qui permet d'éliminer le goudron. Le gaz est ensuite purifié et liquéfié selon le processus Fischer-Tropsch.
Pour Daimler-Chrysler, cette technologie doit permettre de répondre à 20 % des besoins actuels en carburant grâce à la mobilisation de 14 millions d'hectares de culture de plantes énergétiques dont toute la biomasse serait utilisée (15 t/ha de biomasse sèche). Le passage à cette nouvelle méthode de production est apparu incontournable en Allemagne puisque les calculs de rendement conduisent à estimer qu'en 2010 il serait nécessaire de consacrer au colza une surface plus grande que le Land de Thuringe (1,677 Mha) et en 2020 un quart de la surface cultivable de l'Allemagne (2,308 M ha).
La voie biochimique permettra, à la suite d'une hydrolyse enzymatique, de transformer la cellulose en sucres. Puis, par fermentation des sucres, il sera possible de produire de l'éthanol qui se substituerait à l'essence. Ces solutions sont notamment explorées dans les pays nordiques pour tirer parti des résidus de l'exploitation forestière.
L'ensemble de ces recherches devraient déboucher au niveau industriel entre 2010 et 2015.
L'un des points clefs de ces nouvelles filières est leur capacité à trouver une ressource abondante, adaptée et dont la collecte soit bon marché.
Des cultures annuelles pérennes produisant une grande quantité de matière sèche et de tep potentielles à l'hectare sont envisagées comme le triticale, le miscanthus, le sorgho, la canne de provence. L'exploitation de taillis dédiés et à rotation rapide, comme le peuplier, est aussi sérieusement étudiée.
Avant l'émergence de ces carburants, il est probable que pourront être mis sur le marché un ensemble de nouveaux biocarburants intermédiaires :
- les esters éthyliques d'huiles végétales (EEHV) utilisant l'éthanol au lieu du méthanol (remplacement de l'EMHV). Une usine à Sète commencera à en produire dès 2007 à partir d'un procédé mis au point par l'IFP.
- les esters éthyliques d'acides organiques (biomasse non végétale).
- l'hydrotraitement d'huiles végétales et de graisses animales (société NESTE - Total) dès 2008.
• Une solution écologique et économique ?
L'étude déjà évoquée ADEME-DIREM de 2002 a permis d'évaluer à 90 % au lieu de 70 % les gains de CO 2 entraînés par la production d'un gazole issue de la biomasse .
• Une solution économique ?
L'IFP a présenté à vos rapporteurs une prévision optimiste de l'évolution des coûts permettant d'espérer une baisse significative avec l'industrialisation des procédés.
Aujourd'hui |
Demain |
Après-demain |
|
Ethanol ex-lignocellulose |
0.36 $/l 17 $/GJ |
0.29 $/l 14 $/GJ |
0.19 $/l 9 £/GJ |
BtL |
0.8 $/l 21 $/GJ |
0.4 $/l 11 $/GJ |
Vos rapporteurs estiment qu'il est possible de tirer les conclusions suivantes :
- Les biocarburants sont parfaitement compatibles avec les motorisations modernes sans modification à hauteur de 30 % pour le biodiesel, 10 % pour l'éthanol et 15 % pour l'ETBE. Avec modifications des moteurs et des normes antipollution, des taux supérieurs à 85 % sont possibles.
- Les biocarburants présentent un réel avantage, dès maintenant, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. C'est même la seule solution disponible pour toucher l'ensemble du parc automobile et s'affranchir des contraintes de renouvellement.
- Les biocarburants européens ne sont pas aujourd'hui compétitifs par rapport au pétrole, sauf dans le cadre d'un prix durablement supérieur à 120 $ le baril au minimum . Le coût de la tonne de CO 2 évitée est plus de trois fois celui du prix du marché.
- L'Europe paraît en retard dans ce domaine par rapport aux États-Unis et au Brésil.
- La France a perdu sa position de leader européen du secteur et est moins avancée que certains de ses partenaires, notamment l'Allemagne, en termes de préparation du futur.
- Les objectifs du Gouvernement en matière de biocarburant ne pourront pas être satisfaits à partir des seules cultures oléagineuses françaises et impliqueront vraisemblablement une évolution de la réglementation européenne.
- Les objectifs du plan biocarburants développant pour l'essentiel le biodiesel est conforme à l'orientation du marché
Ces conclusions conduisent vos rapporteurs à formuler les propositions suivantes :
- La constitution d'une filière européenne des biocarburants doit être encouragée car c'est la seule solution immédiatement disponible et applicable à tout le parc automobile avec des gains importants.
- L'encouragement de la filière doit être limité dans le temps et dégressif en termes financiers avec pour objectif de conduire les producteurs aux niveaux de prix des États-Unis, les niveaux actuels de soutien n'étant pas soutenables à long terme.
- La priorité doit être donnée à la production d'EMHV et d'EEHV pour faire face aux besoins croissants de diesel.
- Au-delà du plan biocarburants du Gouvernement, un objectif de substitution de 30 % en 2030 paraît pouvoir être retenu.
- La France doit accroître les recherches en matière d'exploitation de la biomasse, seule technologie permettant d'abaisser les coûts et d'accroître les quantités aux niveaux espérés.
- Les véhicules à carburant flexible admettant aussi bien de l'éthanol que de l'essence doivent être encouragés en métropole comme outre-mer. Transparents pour le consommateur, leur diffusion n'a pas les inconvénients des filières alternatives : pas de bicarburation, un seul réservoir, pas de réseau spécifique indispensable en tout point du territoire. En outre, ils peuvent contribuer à un rééquilibrage gazole-essence du marché français, voire européen.
- L'incorporation directe d'éthanol dans l'essence en hiver devrait être expérimentée conformément au rapport IGF-GM-CGGREF.
* 46 Dir. 2003/30/CE.