D. LA VOITURE ÉLECTRIQUE : UNE TECHNOLOGIE QUI DOIT DÉMONTRER SA VIABILITÉ
La voiture électrique a déjà échoué deux fois à supplanter ou même seulement à concurrencer la voiture à moteur à combustion interne. Deux raisons principales peuvent l'expliquer.
La première était l'immaturité de la technologie. Que ce soit au tout début de l'aventure automobile ou au début des années 1990, les performances des voitures électriques étaient trop faibles et leur coût trop élevé pour qu'elles apparaissent comme des concurrentes sérieuses.
La seconde est la quasi-absence de marché pour les voitures mono usage. En effet, l'autonomie des véhicules électriques est jusqu'à présent restée en-deçà des 100 km, de telle sorte que la voiture électrique ne pouvait être qu'une voiture urbaine, limitant très fortement sa capacité de pénétration sur le marché.
Depuis lors les recherches n'ont pas cessé et plusieurs scientifiques et entreprises misent à nouveau sur la voiture électrique compte tenu des progrès accomplis dans le domaine des batteries et de l'architecture des voitures. La démonstration de la viabilité technologique et économique de ces prototypes reste cependant à faire.
Aujourd'hui la question de la voiture électrique est de nouveau d'actualité. Les véhicules électriques se sont progressivement installés dans le paysage urbain. Plusieurs villes ont mis en place une desserte en bus électrique dans les centres historiques (Bordeaux, Rome...). En Asie, les deux roues électriques se développent très rapidement.
En ce qui concerne les voitures, la plupart des personnalités rencontrées par vos rapporteurs aux États-Unis, en Allemagne et au Japon, ne croient pas à un développement important dans les prochaines années en raison de performances toujours limitées. Cependant, les recherches se poursuivent en France et à l'étranger. De nouvelles batteries à base de lithium sont sur le point d'être commercialisées. En France, les véhicules qui en sont équipés sont encore des prototypes mais pourraient être largement diffusés dans les trois prochaines années.
Il est donc nécessaire de faire le point sur l'état de la recherche et les performances potentielles des nouvelles voitures électriques puis d'examiner leurs capacités à constituer une réelle alternative.
1. Pourquoi la voiture électrique a-t-elle été un échec dans les années 1990 ?
La voiture électrique, porteuse de grands espoirs au début des années 1990, n'a pas pu trouver son marché.
La voiture électrique fait partie à part entière de l'aventure automobile depuis le commencement.
Avant la première guerre mondiale, le moteur électrique est une concurrente potentielle du moteur à combustion interne. En 1899, la première voiture à franchir les 100 km/h est une voiture électrique française, la Jamais contente . Des taxis électriques roulaient à Paris et à Londres en 1911. En 1915, un tiers des véhicules américains étaient électriques.
La voiture électrique a été abandonnée dans les années 1930. Les progrès du moteur à combustion interne (fiabilité, démarrage, facilité d'approvisionnement) l'ont rendue obsolète (problème persistant d'autonomie et de recharge des batteries). En effet, l'un des problèmes majeurs des véhicules électriques est le stockage de l'énergie dans des batteries à la fois légères et performantes .
Après ce premier « échec », ce sont les chocs pétroliers et l'évolution de la réglementation californienne qui ont été les éléments déclencheurs d'un retour à la propulsion électrique. L'un des symboles de cette nouvelle génération et de la relance des travaux fut la R5 électrifiée, présentée au G8 de Versailles au début des années 1980.
Les avantages du véhicule électrique suscitent de nouveau l'intérêt :
* absence de pollution et d'émission locale de gaz à effet de serre,
* silence de fonctionnement,
* rendement énergétique élevé du moteur électrique (x 2 ou x 3 celui du moteur thermique),
* fiabilité mécanique du moteur électrique,
* indépendance vis-à-vis du pétrole.
Depuis cette époque également, ses promoteurs mettent en avant la pression croissante de la réglementation et de la population qui amènerait à limiter l'accès des automobiles thermiques dans les centres villes.
L'une des difficultés de principe du véhicule électrique est l'origine de l'électricité. Si le véhicule ne pollue pas sur le lieu d'utilisation, qu'en est-il de l'électricité qui l'alimente ? Très peu de pays dans le monde ont une production d'électricité « propre » et exempte de production de gaz à effet de serre. Ainsi, dans la plupart des pays du monde qui n'ont ni ressource hydroélectrique suffisante, ni un nombre important de centrales nucléaires, la voiture électrique émet autant ou plus de gaz à effet de serre qu'un véhicule thermique . En France même, l'origine nucléaire de l'électricité ne va pas sans faire hésiter certains partisans de la voiture électrique...
Le véhicule électrique peut être défini de manière large en fonction des différentes filières de provenance de l'électricité et de son lieu de production (en dehors ou non du véhicule) :
* au sol à l'aide de centrales électriques ;
* dans le véhicule par : un moteur thermique (hybride), un reformeur embarqué et une pile à combustible, de l'hydrogène stocké et une pile à combustible.
Cela conduit à proposer de distinguer trois catégories de véhicules électriques :
- les véhicules électriques à batteries . Ils utilisent l'énergie emmagasinée dans les batteries à travers un moteur électrique propulsant le véhicule (BEV : battery electric vehicle) ;
- les véhicules électriques hybrides . Ils sont propulsés à partir de différentes sources d'énergie (fossile et électrique) (HEV : hybrid electric vehicle) ;
- les véhicules alimentés à l'hydrogène . Ils sont propulsés à partir de l'hydrogène soit produit, soit stocké à bord (FCV : fuell-cell vehicle).
Vos rapporteurs ne traiteront ici que du véhicule électrique à batteries.
Au début des années 1990, les recherches menées depuis le premier choc pétrolier ont semblé devoir porter leurs fruits. En effet, la mise au point des batteries Nickel Cadmium était un véritable saut technologique permettant des performances très nettement supérieures à la traditionnelle batterie plomb acide .
A l'époque, les principaux experts et plusieurs industriels français de l'automobile pensaient que les temps étaient mûrs pour un développement rapide de la voiture électrique. La production de 50 000 véhicules par an en France en 1995 était estimée très probable.
Les performances atteintes, 100 km d'autonomie, semblaient suffisantes pour que les consommateurs qui ont un usage quotidien urbain de leur véhicule et effectuent peu de trajets par jour se tournent massivement vers cette technologie. De plus, les évolutions des recherches devaient permettre de commercialiser rapidement de nouvelles batteries plus performantes.
Des politiques publiques très favorables vont être mises en place en France et en Europe :
Elles comprendraient notamment une politique de développement des bornes de recharges et de mise à disposition gratuite.
En effet, les véhicules électriques se rechargent normalement dans des lieux privés à partir d'une prise de 16 A protégée par un disjoncteur différentiel de 30 mA, identique à celui d'une salle de bains. Ce sont les prises installées dans les maisons ou les parkings d'entreprises.
Les bornes mises à la disposition des usagers sur la voie publique sont du même type (16 A). L'électricité peut être facturée mais plusieurs villes ont choisi de les mettre à disposition gratuitement (Paris et La Rochelle). L'électricité n'étant pas soumise à la TIPP, le « plein » coûte de l'ordre de 1 € aux 100 km. Ces bornes permettent de retrouver une autonomie de 5 km par 10 minutes de charge. Ces bornes, comparables aux bornes domestiques conviennent aux usages actuels de la voiture électrique (longue recharge de nuit et petit complément le jour). La longueur du temps de charge est cependant une telle contrainte et une telle peur - celle de la panne électrique - que d'autres solutions doivent être envisagées .
Des bornes de recharge rapide ont été mises en place dans quelques villes dont La Rochelle. Elles permettent de récupérer 20 km d'autonomie en 10 minutes. Il en existe 90 exemplaires .
Au total, en France, il y aurait environ 850 bornes de recharge.
• Les ventes de véhicules électriques entre1995 et 2000 37 ( * ) :
En réalité, ce sont moins de 15 000 véhicules électriques qui auront été produits depuis le début des années 1990 par les constructeurs français. Aujourd'hui une centaine de véhicules électriques sont vendus chaque année. Comment expliquer cet échec technique et commercial ?
Tout d'abord le marché a été surestimé. Très peu de ménages ont les moyens d'acheter une voiture mono usage, uniquement pour la ville. Peu de ménages ont également l'habitude de louer un véhicule pour les fins de semaine et les vacances. Seuls les cadres supérieurs urbains déjà bimotorisés et sensibles à l'environnement pouvaient donc acheter un véhicule électrique. Ce n'était pas suffisant pour vendre 50 000 véhicules par an, surtout quand les produits ne correspondent pas à cette tranche très spécifique de la population. Chacun souhaite pouvoir tout faire avec sa voiture, c'est un outil de liberté individuelle. Or, l'autonomie limitée et le temps de charge excessif des véhicules électriques étaient opposés aux fondements de l'achat automobile.
Ensuite, la préoccupation environnementale de la population était et reste faible au regard des autres critères d'achat d'une voiture : performance, beauté, sécurité, budget...
La troisième raison est le coût trop élevé des batteries. Le surcoût à l'achat étant inacceptable pour le consommateur, des solutions de location ont été proposées mais n'ont pas permis de proposer le véhicule électrique à un coût équivalent de la petite voiture diesel qu'elle était censée remplacer. Ni les consommateurs, ni les administrations n'ont souhaité ou pu investir dans une technologie chère et inadaptée.
En effet, la quatrième raison est l'insuffisance des performances. En effet, l'autonomie de ces véhicules se situe plutôt autour de 80 km que de 100 km. Encore cela doit-il être converti en heures d'utilisation ou être réévalué du fait de l'usage du chauffage ou d'autres équipements de confort. Il était également difficile de connaître l'état de charge exact de la batterie et de mesurer sa durée de vie restante en raison d'effets mémoire indésirables. Plusieurs utilisateurs se sont aperçus que dans un relief mouvementé ou par faible température l'autonomie devenait trop faible pour envisager d'utiliser de tels véhicules.
Le problème technologique est complexe car les capacités des batteries sont liées à la nécessité de les recharger sur le réseau électrique normal. Dès lors elles doivent être rechargées pendant près d'une dizaine d'heures car elles supportent mal les recharges partielles ou rapides. Une fois l'autonomie épuisée, il faut donc attendre une journée ou une nuit entière pour retrouver une voiture avec tout son potentiel. L'échange standard des batteries pose jusqu'à présent des problèmes insolubles car elle n'est pas aussi aisée que celle des chevaux de poste. Il s'agit de 200 à 400 kg à manipuler. De plus, comme il est difficile de connaître leur état exact en raison des effets mémoire, le consommateur ne peut pas être sûr de disposer d'une capacité identique. C'est en définitive beaucoup trop complexe par rapport au plein d'essence dans une station-service.
L'échec de la voiture électrique dans les années 1990 permet de tirer un enseignement principal. Une voiture électrique ne pourra concurrencer avec succès les véhicules thermiques que si elle respecte le principe de transparence, c'est-à-dire proposer aux consommateurs un véhicule ayant les mêmes performances, la même polyvalence et le même coût qu'un véhicule thermique.
* 37 L'AVERE est l'association européenne des professionnels du secteur. Elle a été créée en 1978 sur l'incitation de la Commission européenne.