4. La conclusion de votre rapporteur spécial : un calendrier illusoire pour un DMP substantiel et généralisé
Si ce calendrier fait « bonne impression », votre rapporteur spécial juge, surtout après s'être rendu à Londres, qu'il est illusoire si l'on veut réellement généraliser un dossier médical substantiel.
a) De nombreuses questions stratégiques restent sans réponse
En effet, plusieurs questions stratégiques demeurent aujourd'hui sans réponses, alors que ces dernières conditionnent la réussite du DMP.
(1) De quel dossier parle-t-on ?
La première question clé est celle du contenu du DMP. En effet, les auditions auxquelles a procédé votre rapporteur spécial ont montré qu'un flou entourait le contenu précis de ce dossier : veut-on qu'il soit exhaustif, ou synthétique, qu'il comprenne l'imagerie médicale, etc. ?
Les avis recueillis divergent sur la définition de ce contenu, même si toutes les personnes auditionnées s'accordent pour dire que le dossier médical personnel devra être facile d'utilisation pour les professionnels de santé et donc lisible.
(2) L'articulation du DMP avec le projet de « web médecin » développé par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés
Deuxième enjeu posé par le DMP : comment s'articulera-t-il avec le projet de « web médecin » développé par la CNAMTS ? Ce dernier projet, également prévu par la loi relative à l'assurance maladie, permettra aux médecins de consulter l'historique des remboursements des soins et prestations versés à chaque patient dans les douze derniers mois, sous réserve que le patient donne son accord en remettant sa carte vitale.
Comment les médecins géreront-ils ces deux projets ? N'est-on pas en train d'engager des dépenses inutiles, faute d'avoir prévu une coordination de ces deux systèmes dès le départ ?
(3) La maîtrise du patient sur son dossier et la fiabilité du DMP
Ensuite, la maîtrise du patient sur les données figurant dans son dossier peut se révéler source de difficultés.
On a déjà indiqué qu'aucune donnée ne pourra figurer dans le DMP sans accord exprès du patient, cette liberté pouvant toutefois, en cas de refus d'inscription des données dans le dossier, entraîner des pénalités financières.
Il n'en reste pas moins que ce droit accordé aux patients soulève la question de la crédibilité du dossier médical personnel et, partant, de son utilisation. En effet, ainsi que l'ont confirmé les auditions auxquelles a procédé votre rapporteur spécial, les médecins n'utiliseront le DMP que s'il est fiable , c'est-à-dire s'il contient réellement l'ensemble des informations médicales relatives au patient.
Les médecins auditionnés ont estimé que, dans la plupart des cas, ce problème ne se poserait pas, dans la mesure où une relation de confiance existe entre le médecin et son patient. Toutefois, cette possibilité mérite que l'on en débatte, notamment si un patient souhaitait masquer certaines pathologies pouvant entraîner des conséquences graves dans le cadre du suivi médical.
(4) Quel cadre géographique de mise en oeuvre du DMP ?
Le cadre géographique de mise en oeuvre du DMP doit également être précisé. En effet, il convient de déterminer si toutes les informations contenues dans le DMP doivent être accessibles sur l'ensemble du territoire national ou si l'on s'oriente sur un modèle centré sur des régions, comme c'est le cas au Royaume-Uni.
La gestion d'un système tel que celui du DMP, qui devrait à terme comprendre 60 millions de dossiers, présente un risque trop grand pour pouvoir être confié à un seul hébergeur. Dès lors, quelle logique géographique fait-on prévaloir dans l'attribution des marchés ?
(5) Les acteurs du système veulent-ils du DMP ?
Enfin, une interrogation essentielle concernant le succès de ce projet réside dans la volonté - ou non - des différents acteurs à utiliser le DMP. Le président du conseil d'orientation du GIP DMP a reconnu devant votre rapporteur spécial que la question se posait de savoir si les médecins allaient utiliser cet outil.
Plusieurs questions de natures différentes se posent suivant les acteurs considérés.
Du point de vue des industriels , sans lesquels la mise en oeuvre du DMP ne peut se faire, il ressort des auditions menées par votre rapporteur spécial une attente de définition de choix stratégiques tels que ceux énoncés précédemment et de pilotage réel de ce dossier. Les industriels sont prêts à investir, mais ils ont besoin de connaître les attentes précises auxquelles ils devront répondre.
Du point de vue des patients se pose la question de la confidentialité des données. Le DMP échouera si l'on ne convainc pas les patients qu'ils ont intérêt à utiliser ce système. Cela suppose de mettre l'accent sur la qualité des soins apportée par le DMP, mais également de souligner que les données contenues dans ce dossier seront confidentielles : d'une part, le secret médical couvre ces données ; d'autre part, l'article L. 161-36-3 du code de la sécurité sociale précise que l'accès au dossier médical personnel est « interdit lors de la conclusion d'un contrat relatif à une protection complémentaire en matière de couverture des frais de santé et à l'occasion de la conclusion de tout autre contrat exigeant l'évaluation de l'état de santé d'une des parties », et qu'il ne peut être exigé « ni préalablement à la conclusion d'un contrat, ni à aucun moment ou à aucune occasion de son application ». En outre, le même article dispose que le DMP n'est pas accessible dans le cadre de la médecine du travail. Le cadre législatif est donc très clair et devrait davantage être mis en avant.
S'agissant des médecins , qu'il s'agisse de la médecine ou de l'hôpital, plusieurs questions doivent être traitées. D'une part, la réussite du projet implique une réelle conduite du changement , afin de vaincre les barrières culturelles ou organisationnelles qui pourraient freiner le déploiement du DMP : si l'on ne convainc pas les médecins de l'utilité du système, ils ne l'utiliseront pas.
Ceci amène à rappeler l'importance de la fiabilité des données contenues dans le DMP aux yeux des médecins et à souligner, de manière pratique, la nécessité de prendre en compte leurs attentes concernant le fonctionnement des logiciels qu'ils devront utiliser .
En outre, si l'on considère la situation dans les établissements de santé, il convient de prendre garde à ne pas démobiliser les services précurseurs , qui ont investi dans les systèmes d'information et risquent, aujourd'hui, de voir leurs efforts ignorés. Cet enjeu est, notamment, clairement apparu lors du déplacement effectué à Rennes, les acteurs locaux s'interrogeant sur l'utilisation de la plateforme régionale existante par rapport aux nouveaux projets de systèmes d'information.