PREMIÈRE PARTIE :
UNE MALNUTRITION INFANTILE
ENDÉMIQUE AMPLIFIÉE PAR UNE GRAVE CRISE ALIMENTAIRE
Selon les évaluations réalisées par l'Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS) et le Programme alimentaire mondial (PAM) en octobre 2004, la production céréalière avait diminué, par rapport à l'année précédente, de 67 % au Cap-Vert, de 43 % en Mauritanie, de 36 % au Tchad, de 21 % au Sénégal. Malgré d'importants dégâts localisés, les réductions de production enregistrées par le Burkina Faso, le Mali et le Niger étaient apparues plus faibles, de l'ordre de 12 % pour le Niger. Pour ces trois pays, la récolte céréalière de 2004 a été supérieure à la moyenne quinquennale .
Variation de la production brute de céréales des pays sahéliens
(en milliers de tonnes et écart en %)
Pays |
Campagne 2003/2004 |
Campagne 2004/2005 |
Ecart par rapport à l'année précédente |
Ecart par rapport à la moyenne quinquennale |
Burkina-Faso |
3.564,0 |
3.062,5 |
- 14,07 % |
+ 4 % |
Cap-Vert |
12,1 |
4,0 |
-67 % |
- 80 % |
Gambie |
213,2 |
237,5 |
+ 11 % |
+ 35 % |
Guinée Bissau |
121,4 |
207,7 |
+ 71 % |
+ 39 % |
Mauritanie |
181,3 |
102,9 |
- 43 % |
- 35 % |
Niger |
3.575,3 |
3.140,0 |
- 12 % |
+ 5 % |
Sénégal |
1.509,2 |
1.185,1 |
- 21 % |
+ 10 % |
Tchad |
1.618,1 |
1.038,5 |
- 36 % |
- 18 % |
Source : CILSS, novembre 2004
La gravité de la crise alimentaire du Niger ne peut donc s'expliquer valablement par le seul déficit de la production agricole de la campagne 2004, déficit somme tout limité, même s'il convient de relever de fortes disparités régionales en ce qui concerne le déficit de production. La crise alimentaire est en réalité sous-tendue par des facteurs endogènes au Niger, structurels, et par un dysfonctionnement des marchés régionaux, qui a eu pour conséquence de porter le prix des céréales vendues au consommateur à un niveau rarement atteint par le passé.
La crise alimentaire intervient dans un contexte de grande pauvreté et de malnutrition infantile endémique. C'est l'aggravation de cette malnutrition déjà considérable qui a donné un tour dramatique à l'année 2005.
Cette crise avait été anticipée par le gouvernement qui avait fait état, en toute fin d'année 2004, d'un besoin d'aide alimentaire de 78.100 tonnes de céréales. L'envolée des prix à partir de mars 2005, et la baisse concomitante des prix du bétail, ont durci les conditions de vie des populations. Le schéma suivant traduit le déroulement de la crise.
I. UN CONTEXTE DE GRANDE PAUVRETÉ
La crise alimentaire que connaît le Niger en 2005 ne peut être séparée d'un contexte de grande pauvreté marqué, notamment, par un déficit agricole structurel. Ce déficit est lié à une tension entre les besoins d'une population en forte croissance et l'insuffisante progression de la production agricole. En 40 ans, le pays a doublé sa population et vu diminuer, de moitié, sa surface arable, qui ne représente plus que 12,5 % de la superficie du pays. La malnutrition infantile sévère constitue un phénomène endémique.
A. UN PAYS VULNÉRABLE
1. Des indicateurs économiques et sociaux alarmants
Avec une population de 12,1 millions d'habitants 7 ( * ) et une superficie de 1.267.000 km 2 , la République du Niger, pays africain sahélien enclavé, reste un des pays les plus pauvres du monde. Elle occupe une place peu enviable dans le classement du programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) de 2005, s'agissant de l'indice de développement humain : 177 ème sur 177 pays 8 ( * ) . Le taux d'alphabétisation de la population est de 17 %.
Le PIB du Niger s'établissait à 2,2 milliards d'euros (2,7 milliards de dollars) en 2003, selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2004. Toujours selon cette même source, le PIB par habitant n'est de que de 159 euros (200 dollars) 9 ( * ) .
Si le PIB du Niger avait accusé un recul d'environ 1 % entre 1999 et 2000, il a progressé en moyenne annuelle de 5,1 % pendant la période de 2001-2003. Cette progression, supérieure à la croissance démographique (+ 3,5 % par an) est notamment liée à un retour récent à la stabilité politique.
Depuis la conférence nationale de 1991, réunissant les forces vives de la nation et ouvrant la voie au multipartisme, le pays a connu une grande instabilité, tant institutionnelle (trois Constitutions, deux régimes d'exception) que politique (une dizaine de Premiers ministres), dont le point culminant a été atteint avec l'assassinat du Président Baré, lui-même auteur d'un coup d'Etat trois ans auparavant. Depuis 1999, une transition démocratique s'est opérée. Des élections, jugées satisfaisantes par les observateurs, ont porté à la Présidence de la République, M. Mamadou Tandja 10 ( * ) .
L'année 2004 a été marquée par un retournement de tendance sur le plan économique . L'invasion acridienne et le déficit pluviométrique ont provoqué en 2004 une décroissance du secteur agricole se traduisant par une performance globale de croissance de 0,9 % selon les estimations du FMI, et donc par une baisse réelle du revenu par tête. L'année 2005, compte tenu de la crise alimentaire, ne devrait pas être plus favorable.
La pauvreté est répandue dans l'ensemble de la population. Des enquêtes sur la consommation des ménages conduites en 1990 et 1993, utilisées pour construire la stratégie de réduction de la pauvreté de janvier 2002 11 ( * ) , soulignent que la population du Niger comprend 63 % de pauvres, dont 34 % classés comme extrêmement pauvres. Avec 85 % de la population, les zones rurales représentent l'essentiel de la pauvreté totale. On compte en effet environ 80 % de sédentaires ruraux, 16 % de sédentaires urbains et 4 % de nomades, confrontés à des difficultés spécifiques.
Population urbaine, rurale et nomade au Niger en 2003 et projection pour 2005
Régions |
Population au 30 avril 2003 |
Projection au 30 avril 2005 |
|||
Urbaine |
Rurale |
Nomade |
Totale |
||
Agadez |
156.543 |
124.572 |
77.075 |
358.190 |
399.327 |
Diffa |
38.006 |
162.254 |
34.004 |
234.264 |
261.168 |
Dosso |
109.892 |
1.434.151. |
27.346 |
1.571.389 |
1.751.860 |
Maradi |
260.259 |
1.834.912 |
38.758 |
2.133929 |
2.379.005 |
Tahoua |
168.723 |
1.598.552 |
73.998 |
1.841.273 |
2.059.924 |
Tillabéri |
71.456 |
1.802.595 |
86.286 |
1.960.337 |
2.185.478 |
Zinder |
263.270 |
1.760.340 |
75.338 |
2.098.948 |
2.340.008 |
Niamey |
703.838 |
- |
500 |
704.338 |
792.420 |
Niger |
1.771.987 |
8.717.376 |
413.305 |
10.902.668 |
12.162.000 |
Source: ministère du développement agricole
* 7 Estimations 2005.
* 8 Les autorités nigériennes font valoir que les chiffres pour le Niger datent de 2001 et que le classement est, de leur point de vue, daté.
* 9 A titre de « comparaison », le PIB par habitant représente pour la France 24.837 euros.
* 10 Celui-ci a été réélu, dans de bonnes conditions de clarté et de transparence, en novembre 2004, avec 65,5 % des voix, contre 34,5 % à M. Mahamadou Issoufou.
* 11 Les objectifs principaux sont la création d'un environnement favorable à la croissance, le développement des secteurs productifs, notamment dans les zones rurales, l'amélioration de l'accès des plus démunis aux services sociaux de bonne qualité, le renforcement des capacités humaines et institutionnelles du pays, la promotion de la bonne gouvernance et de la décentralisation.