CHAPITRE III
DÉRÉGLEMENTATION DE LA PUBLICITÉ
TÉLÉVISÉE
ET PLURALISME DES MÉDIAS,
LE
CAS-TYPE DES QUESTIONS POSÉES
PAR LE MODÈLE
ÉCONOMIQUE
DES CHAINES PUBLIQUES
L'inégalité des perspectives de « retours » sur les recettes engendrées par l'ouverture de la publicité télévisée aux secteurs interdits entre les chaînes commerciales et le secteur public conduit à s'interroger, sur la cohérence du modèle économique des chaînes publiques. Le choix d'un financement mixte du secteur public (avec un composé de ressources publiques affectées et de publicité commerciale) semble davantage provenir de contraintes budgétaires qu'inspiré par une logique de financement de missions de service public, pourtant à l'oeuvre chez plusieurs de nos grands voisins (Allemagne et Royaume-Uni). La contrainte budgétaire ressentie motive d'ailleurs les propositions tendant à élargir la place de la publicité télévisée, en particulier sur les chaînes du secteur public, afin de répondre à la « crise de la production audiovisuelle française ». La réponse au débat ainsi ouvert devra intervenir dans des délais rapprochés ainsi d'ailleurs que l'a souhaité le Conseil supérieur de l'audiovisuel, dans son avis du 22 juillet 2003, demandant au Gouvernement : « d'engager très rapidement une réflexion sur l'évolution des ressources des chaînes publiques, en examinant en particulier les possibilités d'adopter des mesures compensatoires, leur permettant ainsi de maintenir leur place dans le paysage audiovisuel. » Pour votre rapporteur, cette réflexion devra prendre en compte les effets induits sur les autres médias, en particulier la presse et la radio, de telles compensations. Si le choix d'une mise à niveau de la redevance devait être écarté, il conviendrait d'explorer les différentes opportunités financières envisageables : le retour à une égalité réglementaire entre secteurs, ou, solution qui n'implique pas d'augmentation du volume de publicité télévisée, une mise à jour des prélèvements existants sur les différents « gisements » envisageables (publicité hors-média, parrainage télévisuel, autres ressources commerciales des chaînes). Il n'est pas acquis que des solutions strictement financières suffisent. La redéfinition du périmètre du secteur public pourrait s'imposer et receler un potentiel intéressant sous conditions de réalisme et d'ambition. Afin de maintenir une création télévisuelle riche et diversifiée, des mesures structurelles concernant la programmation mais aussi les conditions de production sont envisageables. |
La déréglementation de la publicité télévisée , par ses effets asymétriques, pose un problème pour le pluralisme des médias , dont les plus fragiles risquent d'être particulièrement affectés.
Les questions relatives à l'équilibre entre le secteur commercial et le secteur public audiovisuel , qui font l'objet du présent chapitre, fournissent une illustration , typique aux singularités près du secteur public audiovisuel, des problèmes à résoudre . Ainsi, ce qui sera dit ici du paysage audiovisuel est aussi valable, dans l'ensemble, pour les autres médias.
Elles montrent, du moins pour notre pays, que la déréglementation ne peut être pleinement compatible avec le pluralisme qu'à condition d'être accompagnée . Des mécanismes de péréquation des recettes publicitaires s'imposent d'autant plus qu'on se fixe des objectifs élevés de diversité des « contenus ».
Le marché publicitaire semble offrir quelques « gisements ». Toutefois, les interventions strictement financières doivent être secondées par une adaptation industrielle des secteurs fragiles, comme le montre l'exemple du secteur public audiovisuel.
Idéalement, le choix d'un modèle de financement des chaînes publiques devrait dépendre d'objectifs stratégiques. Il est, en réalité, influencé principalement par des contraintes budgétaires.
De fait, la volonté de garantir la spécificité du contenu des chaînes publiques pourrait conduire à les exempter de la recherche de recettes publicitaires 21 ( * ) . C'est du moins ce qu'enseignent les théories des relations entre les modes de financement des médias et de leurs contenus, que l'analyse empirique peut conduire à nuancer mais ne vient pas démentir.
Cette option pourrait, en outre, plus accessoirement, permettre, mieux qu'aujourd'hui, de poursuivre un objectif de compétitivité des chaînes privées nationales, puisque leur serait alors réservé l'essentiel de l'accès au marché publicitaire .
Ces objectifs théoriques ne sont, en pratique, pas prioritaires ; ils s'effacent devant les contraintes financières existant du fait des choix de gestion publique :
• l'évolution de la redevance, qui constitue l'essentiel du financement public des chaînes publiques en France, apparaît soumise à contraintes. En témoigne le fait que lorsque les recettes publicitaires des chaînes publiques sont plus importantes que prévu, l'usage se soit répandu dans le passé d'ajuster les versements au titre de la redevance, de sorte que celle-ci puisse contribuer à améliorer le « compte de résultat » des administrations publiques ;
• par ailleurs, les besoins de financement de la production audiovisuelle française offrent un argument de poids pour maintenir le niveau des recettes publicitaires des chaînes publiques, censées jouer, en la matière, un rôle primordial.
I. LE CHOIX D'UN FINANCEMENT MIXTE
Même si des inflexions sont intervenues, la structure du financement du secteur public audiovisuel est caractérisée par la mixité , les chaînes publiques devant trouver auprès des annonceurs une part toujours importante de leurs ressources.
A. LE POIDS DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE
C'est en premier lieu le poids de la contrainte budgétaire, telle qu'elle est ressentie dans notre pays, qui explique le choix d'un financement mixte dont les remises en cause partielles ont été rares et peu concluantes.
1. Le faible dynamisme de la redevance au cours des dernières années
Sur longue période , la redevance avait enregistré une croissance relativement forte .
ÉVOLUTIONS DU PRODUIT DE LA REDEVANCE DEPUIS 1988
(en millions d'euros)
Années |
Loi de finances
|
Montant
|
Évolution
|
Évolution
|
1988 |
1 092,32 |
1 103,99 |
11,67 |
+ 1,07 |
1989 |
1 145,50 |
1 146,92 |
1,42 |
+ 0,12 |
1990 |
1 209,45 |
1 221,53 |
12,07 |
+ 1,00 |
1991 |
1 272,90 |
1 273,37 |
0,46 |
+ 0,04 |
1992 |
1 425,22 (1) |
1 440,32 |
15,10 |
+ 1,06 |
1993 |
1 445,43 (2) |
1 466,22 |
20,79 |
+ 1,44 |
1994 |
1 535,16 |
1 538,44 |
3,28 |
+ 0,21 |
1995 |
1 663,92 |
1 664,50 |
0,58 |
+ 0,04 |
1996 |
1 745,42 |
1 757,31 |
11,88 |
+ 0,68 |
1997 |
1 774,26 |
1 793,16 |
18,90 |
+ 1,07 |
1998 |
1 892,69 |
1 935,71 |
43,02 |
+ 2,22 |
(1) dont loi de finances rectificative : 26,19 millions
d'euros
(2) dont loi de finances rectificative : 23,29 millions
d'euros
Source : Service de la redevance
Cependant, cette dynamique a été interrompue .
La contribution de la redevance au financement du secteur public audiovisuel semble désormais très contrainte.
ÉVOLUTION DES RESSOURCES DE FRANCE TÉLÉVISIONS
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
|
Taux de la redevance (€) |
113,4 |
114,5 |
114,5 |
116,5 |
116,5 |
Produit de la redevance (M€) |
1 066 |
1 227 |
1 423 |
1 461 |
1 490 |
Publicité + parrainage (M€) |
691 |
656 |
595 |
641 |
644 |
Total |
1 757 |
1 883 |
2 018 |
2 102 |
2 134 |
% Publicité |
39,3 % |
34,8 % |
29,5 % |
30,5 % |
30,2 % |
Source : Lois de Finances
Au cours des dernières années , on peut observer une augmentation plutôt rapide du produit de la redevance versé à France Télévisions : + 39,8 % entre 1999 et 2003. Mais, les recettes publicitaires ont décru. Ainsi, la part du financement public des chaînes du secteur public a nettement progressé : de 60,7 % du total en 1999 à 69,8 % en 2003.
Cependant , ces variations ne doivent pas faire illusion : elles ne traduisent pas un choix collectif de favoriser le financement public du secteur public.
De fait, le taux unitaire de la redevance est marqué par une forte inertie : il ne varie que de 2,7 % sur la période considérée.
Si la part du financement public augmente, c'est sous l'effet des mesures prises en 2000 : le durcissement de la réglementation de la publicité télévisée sur les chaînes publiques et les mesures de compensation intervenues, c'est-à-dire le « remboursement » des exonérations de redevance.
Or, ces décisions n'ont pas la même portée . La réduction de la durée de la publicité est une mesure structurelle qui accroît durablement le handicap des chaînes publiques sur le marché de la publicité. Les compensations d'exonérations de redevance ne traduisent qu'une mise à niveau des ressources allouées aux chaînes publiques, qui intervient une fois pour toutes .
La dynamique ultérieure des compensations d'exonération est conditionnée à une indexation sur le taux de redevance unitaire, dont l'évolution est, on l'a indiqué précédemment, peu soutenue sur longue période.
Au demeurant, notre pays se singularise par le faible niveau de financement public du secteur public audiovisuel .
FR |
ALL |
R-U |
IT |
|
Taux de la redevance (€) |
116,5 |
193,8 |
180,0 |
92,45 |
Ressources des TV publiques (M€) |
1 883 |
6 211 |
4 119 |
2 558 |
Population (M) |
59 |
82,5 |
60 |
58 |
Ressources TV publique/hab. (€) |
32 |
75 |
69 |
44 |
Source : Observatoire européen de l'Audiovisuel et USPA
Le taux unitaire de la redevance n'y atteint que 60,1 et 64,7 % des taux allemand et anglais respectivement. Il est plus élevé qu'en Italie, mais le ratio ressources de la télévision publique par habitant, qui constitue le meilleur indicateur des politiques des différents pays en la matière montre que le sous-financement du secteur public en France par rapport aux autres pays concerne aussi l'Italie où pourtant il existe une plus large ouverture à la publicité du secteur public.
* 21 Cette option serait en tout cas conforme à une conception des chaînes du secteur public où celles-ci constitueraient un « bien public » au sens économique de ce terme (v. le chapitre I du présent rapport).